Autres pères de l’Église d’Orient (III) : Jean Chrysostome († 407)

Cours de patrologie de soeur Gabriel Peters o.s.b., chapitre 3
Samedi 1er mai 2010 — Dernier ajout dimanche 2 mai 2010

O souffrance qui resplendis
O Croix qui étincelles !
Le soleil s’obscurcit, les astres tombent comme des feuilles,
mais la croix brille plus éclatante qu’eux tous,
elle occupe le ciel tout entier !

Homélie Sur la Providence de Dieu
  • Laissons le Christ s’exprimer à travers nous. Tel un instrument, tiens-toi tout prêt pour la main de l’artiste. Ne laisse pas les cordes se détendre et s’amollir sous l’effet des plaisirs, ne deviens pas une cithare inutilisable. Serre les cordes, tends-les pour le chant. Rends-toi digne des mains très pures qui se serviront de toi !… Si le Christ se met à jouer sur son instrument, alors le Saint-Esprit viendra sûrement et le miracle qui dépasse tous les autres se manifestera : la charité !
    Commentaire de l’épître aux Romains, homélie 8, 7
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I - VIE

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1. Famille et formation intellectuelle

Jean naît en 344 à Antioche de parents chrétiens. Son père, Secundus, est un officier (princeps militum), peu de temps après la naissance de son fils, il meurt. Sa mère, Anthousa, très pieuse, est une grecque de pure race. Elle demeure veuve à 20 ans, elle perd aussi sa fille aînée et elle se dévoue entièrement à l’éducation de son fils unique.
Après avoir parcouru le cycle de la paideia (programme d’éducation classique des jeunes Grecs), Jean étudie sous la direction du célèbre rhéteur Libanios, païen convaincu. Parmi ses condisciples, il faut mentionner Théodore, le futur évêque de Mopsueste.
Les empereurs comblaient Libanios d’honneurs ! Jean raconte lui-même qu’un jour son maître fit publiquement l’éloge de sa mère. Apprenant qu’âgée maintenant de 40 ans, elle était veuve depuis 20 ans, il s’était écrié : « Ah ! Quelles femmes il y a chez les chrétiens ! » Devenu vieux, il aurait répondu à quelqu’un qui lui avait demandé qui il désirait avoir pour successeur : « Jean, mais les chrétiens me l’ont enlevé ! »

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2. Baptême, formation théologique et monachisme

En 369, Jean reçoit le baptême. Il aimerait vivre en moine avec son ami Basile, le futur évêque de Raphanée en Syrie, dans l’école cléricale et monacale de Diodore de Tarse, mais sa mère s’y oppose ! Tandis que Basile devient moine, Jean demeure élève externe ! Pendant trois ans, il s’initie dans cette célèbre école d’Antioche aux côtés de son ami, Théodore de Mopsueste, à l’exégèse littérale et à la théologie.
En 370, il est ordonné lecteur par Mélèce, l’évêque d’Antioche. C’est en cette même année qu’à Césarée en Cappadoce, Basile le Grand était élu évêque.
En 374, Jean épris de perfection fuit au désert malgré sa répugnance instinctive.

  • Je me demandais d’où me viendraient les provisions nécessaires, s’il me serait encore possible de manger du pain frais du jour, si l’on ne m’obligerait pas à me servir de la même huile pour ma lampe et pour ma nourriture, si l’on ne me réduirait pas au pauvre régime des légumes et si l’on ne m’obligerait pas à un travail pénible comme de bêcher, de porter du bois et de l’eau et de faire toutes sortes de travaux de ce genre. Je me souciais beaucoup de tout ce qui est confortable.
    De compunctione ad Demetrium, 1, 6

Pendant quatre ans, Jean mène la vie cénobitique. Ensuite, il passe deux ans solitaire dans une caverne. Son austérité, sans être extravagante, est effrayante et sa santé en demeurera marquée.

  • Pendant deux ans, il passa la plus grande partie du temps sans dormir. Il apprit par cœur le Testament du Christ afin de se débarrasser complètement de l’ignorance. Jamais il ne s’est couché ni de jour ni de nuit.
    Palladius, V

L’expérience du désert révèle à Jean sa vocation : il y saisit le sens profond d’une vie qu’il avait pratiquée sans en comprendre la richesse ; désormais son idéal personnel est d’associer à la vie monastique la vie apostolique au service de l’Église.

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3. Diaconat et prêtrise à Antioche

En 380, Jean revient à Antioche où il devient diacre en 381, en l’année du Concile de Constantinople. Mélèce, l’évêque d’Antioche, meurt en cette même année. Jean restera diacre cinq ans, il reçoit ensuite la prêtrise des mains de l’évêque Flavien. Il se voit confier la charge de prédicateur.

  • Mon sacerdoce est de prêcher et d’annoncer l’Évangile.
    Homélie 29, 1 in Rm
  • Ma prédication me guérit, dès que j’ouvre la bouche pour prêcher, toute fatigue est vaincue.
    Homélie après le tremblement de terre
  • C’est le corps même du Christ qui est confié à notre garde.
    De Sac, 4, 2

Dès février 387 éclate une sédition. Mécontents de l’augmentation des impôts, les citoyens renversent et brisent les statues de l’empereur Théodose, de l’impératrice défunte et des deux jeunes princes Arcadius et Honorius. En ce carême de panique et d’effroi, Jean prononce dix-neuf homélies et calme le peuple, tandis que l’évêque Flavien se rend à Constantinople pour implorer et obtenir la grâce de la malheureuse cité. Dès ce moment, Jean est reconnu par tous comme la grande voix de l’Orient.
L’insignifiant Nectaire, évêque de Constantinople, meurt. Les intrigues se succèdent et Théophile, évêque d’Alexandrie, s’efforce de faire accéder au siège de Constantinople un de ses protégés. Cependant Eutrope, favori et conseiller de la cour, désigne Jean. Jean fut littéralement enlevé et emmené à Constantinople où Théophile d’Alexandrie dut présider au sacre.

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4. L’évêque de Constantinople (398-407)

Jean reçut la consécration épiscopale le 26 février 398. Il devint aussitôt le prédicateur de la grande église dédiée au Christ-Sagesse [1]. Sa fidélité héroïque à l’idéal chrétien et sa liberté de langage l’opposeront bientôt à l’empereur et à l’impératrice qui le condamneront à la disgrâce.
Tout commença bien cependant. Le jeune empereur Arcadius, qui avait vingt ans et se montrait très faible de caractère sinon franchement incapable, l’honorait de son estime. Quant à l’impératrice Eudoxie, autoritaire et passionnée, elle fit tout pour se montrer chrétienne exemplaire. Elle voulut présider elle-même une procession de transfert de reliques et l’évêque l’en remercia dans le style de cour :

  • Vous êtes grande, ô reine, nous vous appelons bienheureuse, hôtesse des saints, patronne des Églises, rivale des Apôtres par votre zèle !
    Homélie 2

En 399, le conseiller de la cour Eutrope est disgracié. Lui qui peu de temps auparavant avait voulu supprimer le droit d’asile des églises, il se réfugie auprès de l’autel.
L’évêque protège le fugitif, il prononce les deux homélies sur Eutrope. Il lui sauve ainsi momentanément la vie, car elle lui sera enlevée, peu après, par la décapitation. L’impératrice Eudoxie est nommée Augusta en l’an 400, c’est elle qui, désormais, exerce le pouvoir.
En 401, Jean se rendit en Asie pour y déposer des évêques simoniaques.
En 402, les « Longs Frères », moines accusés d’origénisme, fuient l’Égypte et viennent solliciter la protection de Jean de Constantinople contre l’évêque Théophile d’Alexandrie.

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Le premier exil (403)

Théophile irrité se venge et il réunit en 403 près de Chalcédoine le Synode du Chêne. Jean fut condamné à l’exil. Mais très peu de temps après, il fut rappelé par l’impératrice effrayée d’un incident qu’elle interpréta comme un châtiment divin.

  • Les circonstances ont changé mais la doxologie reste la même. Que le nom du Seigneur soit béni ! Béni soit Dieu qui a permis mon exil, béni soit Dieu qui ordonne mon rappel.
    Homélie, Post reditum

Mais deux mois plus tard, Jean se compromet : on a fêté avec un luxe effréné l’inauguration d’une statue de l’impératrice Eudoxie. Et dans une homélie, Jean fait allusion à l’impératrice :

  • De nouveau, Hérodiade fait rage, de nouveau, elle s’emporte, de nouveau, elle danse, de nouveau, elle demande à recevoir la tête de Jean sur un plateau !
    Spuria
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Le deuxième exil (404-407)

Les intrigues contre Jean se succèdent et vers Pâques 404, l’empereur ordonne l’exil. Après la Pentecôte, il part, il dit adieu à son Église, à l’Ange qui en a la garde, puis, au baptistère, à Olympias [2] et aux autres diaconesses.
Il se livre ensuite aux soldats, on le conduit au port, il embarque et le soir du même jour, un violent incendie ravage Sainte-Sophie (20 juin).
Jean en appelle à Rome.
Le premier voyage dure soixante-dix jours et le conduit à Cucuse. Les deux soldats qui l’escortent se montrent pleins d’égards.
La vaste correspondance de Jean révèle en lui un professeur d’énergie.
Jean demeura trois ans à Cucuse, les visites se multiplient, Cucuse devient un lieu de pèlerinage ! Aussi une nouvelle déportation est-elle exigée.

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La mort (407)

Ici se place le calvaire de Jean, le long voyage de trois mois en direction de Pityonte (sur la Mer Noire).
Jean, épuisé, meurt en route. Il demande, sentant la mort venir, d’être revêtu de blanc (foi en la résurrection) et prononce ses paroles habituelles : « Gloire à Dieu pour toutes choses ». C’est le 14 septembre 407.

  • Gloire à Dieu pour toutes choses… Ne cesse de répéter ce mot et de l’enseigner aux autres. C’est ce mot qui a fait couronner Job, ce mot qui fait fuir le diable. C’est lui qui enlève tout trouble. Continue donc d’en charmer tout ce qui t’arrive.
    Ad Paenium, Ep. 193
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5. La survie

En janvier 438, le successeur de Jean sur le siège de Constantinople fit ramener les reliques du saint qui reposaient au martyrium de Cumana et il les fit déposer à côté de la sépulture de l’impératrice Eudoxie.
En 451, le Concile de Chalcédoine proclame Jean docteur de l’Église. Au VIe s., Jean fut appelé « Bouche d’or », Chrysostome. Bossuet appelle - Jean Chrysostome « le Démosthène chrétien ». Pie X le proclame patron des prédicateurs.

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II – ŒUVRES

La plus grande partie des œuvres de Jean Chrysostome est constituée par ses Homélies. On possède aussi quelques traités et les Lettres d’exil.

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1. Homélies et sermons

Il y a les homélies exégétiques et les sermons de circonstance. Parmi les homélies exégétiques, signalons celles Sur la Genèse, sur 58 Psaumes, sur Isaïe, - pour le Nouveau Testament, les importantes Homélies sur saint Matthieu (90) dont saint Thomas d’Aquin a dit qu’il les préférerait à la possession d’une ville comme Paris, les Homélies sur saint Jean (88), 3 séries d’homélies sur les Actes des Apôtres et son chef d’œuvre : les homélies (environ 250) sur toutes les Épîtres de saint Paul dont les plus belles sont celles Sur l’Épître aux Romains. _ Une affinité spirituelle unit Jean Chrysostome à saint Paul qu’il aime avec passion et dont le programme de vie est le sien.
Dans son exégèse, Jean Chrysostome dépend de l’école littérale d’Antioche. Toute son œuvre est pénétrée de l’amour de l’Écriture.

  • Les saintes Écritures ne nous ont pas été données pour que nous les laissions dans les livres mais pour que, par la lecture et la méditation, nous les gravions dans nos cœurs. La loi doit être écrite sur des tablettes de chair, nos cœurs.
    In Jn. Hom. 32, 3

Parmi les sermons de circonstance, relevons les fameuses 21 Homélies sur les Statues, les 2 Homélies sur la disgrâce d’Eutrope, les 12 très belles Homélies contre les anoméens [3] sur l’incompréhensibilité de Dieu, les 12 Catéchèses baptismales dont 8 furent découvertes par le Père Wenger en 1967.

Notes sur les Homélies sur l’incompréhensibilité de Dieu

Soulignons l’importance des Homélies sur l’incompréhensibilité de Dieu. Elles ont été prononcées contre l’anoméisme, forme antiochienne de l’arianisme. Eunome réfuté tour à tour par saint Basile et Grégoire de Nysse s’en faisait le fanatique propagateur : rien de plus simple que l’essence divine, disait-il, rien de plus aisé que de la connaître et Dieu ne sait de son être rien de plus que nous. Les homélies de Jean forment un vrai traité de la transcendance divine.
Dans son livre Le Sacré, Rudolf Otto en a montré toute l’importance, tant au point de vue du concept de transcendance qu’à celui de la réaction subjective de l’homme. Voici ce que dit saint Jean Chrysostome :

  • Tu m’as terriblement étonné (Ps 138, 14). Pourquoi terriblement ?… Quand nous admirons la grandeur de la mer et son abîme immense, alors nous admirons terriblement, en nous penchant sur sa profondeur. C’est ainsi que le prophète s’étant penché sur l’océan infini et sans fond de la Sagesse divine et, saisi de vertige, ayant admiré terriblement, est pris d’un mouvement de recul.
    Hom. 1, 4 ; PG, 48, 705 B

Jean Chrysostome considère tout particulièrement la crainte sacrée dans le climat de la liturgie, moment essentiel de la manifestation de Dieu et expression officielle d’adoration, et surtout au moment de la messe, kairos par excellence :

  • Le moment (kairos) de la messe où les hommes s’unissent à la liturgie des anges et où Dieu se manifeste est rempli d’une grande terreur.
    cf. Hom. IV, 5 ; PG, 48, 733 C
  • Avec quelle vénération faut-il s’approcher de ces réalités très remplies de terreur.
    Hom. III, 7 ; PG, 48, 725 C
  • L’homme se tient alors près du trône de gloire et il chante l’hymne très saint - cri rempli de terreur sacrée - aussi doit-il se tenir devant Dieu dans la terreur et le tremblement.
    Hom. IV, 6 ; PG, 48, 734 C

     [4]

Cette crainte se pénètre d’attirance, de fascinatio.
Le sacrifice eucharistique constitue un événement extraordinaire, un moment unique, un temps de grâce.

  • Quelle espérance de salut ne peux-tu pas avoir en ce moment (kairos) ?
    Hom. III, 7 ; PG, 48, 726 D

L’Eucharistie est présence en mystère du kairos unique de la croix.

Trois éléments principaux justifient l’exceptionnelle importance de la circonstance historique de la messe : l’assemblée de la communauté - la présence des anges - l’offrande du Corps du Christ :

  • Tu ne peux pas prier à la maison comme à l’église où il y a le grand nombre, où le cri est lancé à Dieu d’un seul cœur. Il y a là quelque chose de plus, l’union des esprits, l’accord des âmes, le lien de la charité, les prières des prêtres.
    Hom. III, 6 ; PG, 48, 725 C-D
  • Représente-toi dans quels chœurs tu vas entrer. Revêtu d’un corps, tu as été jugé digne de célébrer avec les Puissances célestes le commun Seigneur de tous.
    Hom. IV, 5 ; PG, 48, 734
  • Les hommes agitent devant les rois des rameaux d’olivier afin qu’ils se souviennent (l’anamnèse) de leur amour et de leur pitié, ainsi les anges présentent le corps du Seigneur et prient le Seigneur pour la nature humaine :…
    Nous te prions pour ceux-ci que tu as daigné le premier aimer, jusqu’à donner ta vie. Nous répandons nos supplications pour ceux pour lesquels toi, tu as répandu ton sang. Nous intercédons pour ceux pour lesquels tu as offert ce corps en sacrifice.
    Hom. III, 7 ; PG, 48, 726 D - 727 A

Ce qui fait l’efficacité souveraine du Kairos de la messe, c’est qu’il est l’anamnèse (la memoria) du sacrifice de la croix par lequel le Christ a engagé son amour irrévocable : rappel à Dieu de son amour des hommes et rappel aux hommes de l’amour de Dieu envers eux.
Jean Chrysostome n’est pas l’auteur de la liturgie qui porte son nom et qui résulte d’un développement de plusieurs siècles, mais on a pu se rendre compte que l’esprit de la liturgie byzantine est bien le sien. Les principales sources de la liturgie dite de saint Jean Chrysostome sont ses catéchèses et prédications, celles de Théodore de Mopsueste et celles de Cyrille de Jérusalem.

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2. Le Traité du Sacerdoce

Retenons seulement, parmi d’autres traités, le célèbre traité De Sacerdotio. Il imite en l’amplifiant le discours de Grégoire de Nazianze, Sur sa fuite. Il étudie l’éminente dignité de l’épiscopat et de l’apostolat sacerdotal, supérieur à la vie monastique.

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3. Les lettres d’exil

On compte 236 Lettres qui datent toutes du second exil, les 17 Lettres à Olympias sont un petit traité de la providence et de la souffrance chrétienne.

Notes sur les Lettres à Olympias

Olympias était la pupille et la protégée de Grégoire de Nazianze. Elle resta veuve à 19 ans. « Quel homme que cette femme », disait d’elle Palladius ! Nectaire l’admit au rang des diaconesses et elle s’occupa, avec quelques autres diaconesses, du temporel de l’évêque Jean. Affligée par son exil, elle tomba dans un état maladif d’apathie. Jean, avec une simplicité charmante et une délicatesse exquise, oublie ses propres souffrances pour la réconforter :

  • On ne saurait vous empêcher d’être comptée parmi le chœur des vierges bien que mariée. Car, pour Paul, la vierge n’est pas celle qui ne connaît pas le mariage, mais celle qui fait du Seigneur l’objet de sa sollicitude. Le Christ lui-même montre combien est supérieure à la virginité la charité (parabole des dix vierges).
    Ep. 8, 4
  • Il n’y a, Olympias, qu’une seule chose à craindre, une seule épreuve, le péché. Je n’ai pas cessé et ne cesserai pas de le dire : une seule chose doit nous affliger : le péché.
    Ep. 7, 1
  • C’est sur le visage que se concentrent tous les sentiments et tous les sens… donnez-moi donc de jouir de la présence de l’être aimé : je veux lui parler, entendre sa voix. Je veux le voir, ce visage d’où s’échappe le son de la voix que j’aime. Je veux entendre cette parole qui me révèle la pensée de ce cœur, voir ce visage où des oreilles recueillent mes propres paroles et où les yeux peignent à mon regard tous les mouvements de l’âme : ce n’est que face à face que réellement je puis jouir de ceux que j’aime.
    Ep. 8, 12
  • Auriez-vous sous les yeux toutes sortes de troubles, de bouleversements et de tempêtes, ne vous tourmentez de rien. Notre Maître peut tout… Ne vous laissez pas troubler par les événements, mais cessant de rechercher un appui auprès d’un tel ou d’un tel et de poursuivre des ombres (car c’est cela le secours humain), suppliez sans cesse Dieu que vous adorez de faire un signe seulement et tout en un instant s’arrangera.
    Ep. 7, 2
  • Souffrez, je le veux bien, mais souffrez en mettant une mesure à votre peine.
    Ep. 8, 1
  • Si vous voulez vous soigner comme il faut, vous vous porterez mieux !
    Ep. 17, 1
  • Montrez-moi que vous m’aimez en obéissant à mes lettres : ce que je désire c’est que vous retrouviez la même joie que je vous ai connue jadis !
    Ep. 8, 13
  • Ce n’est pas dans la nature des choses mais dans la pensée des hommes que réside le bonheur.
    Ep. 10, 1

Le style

Jean de Constantinople fut un orateur de race semblable à un Démosthène ou à un Cicéron. Ses prédications sont toujours directes et il joue de main de maître sur le clavier des sentiments. Le style est animé d’un mouvement intense, tantôt simple, familier, naturel, tantôt frémissant et indigné, parcouru d’éclairs d’une ironie cinglante.
La parole interpelle l’auditeur, aussi communicative que le sera plus tard celle d’Augustin.
Mais tandis que la prédication de l’évêque d’Hippone sera théologique, celle de Jean est nettement moralisante, elle poursuit directement un but utilitaire. Augustin est homme de pensée, Jean est homme d’action.
Un petit exemple de style pittoresque :

  • Le coureur qui s’élance est celui qui tout en courant des pieds s’efforce de prendre les devants avec le reste de son corps : il se tend en avant et étend les mains afin de couvrir un peu plus d’espace.
    In Ep ad Phil., homélie 12, 2
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III - QUELQUES ASPECTS DE LA PENSÉE

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1. Sur le monachisme

 [5]

Après avoir mené une vie quasi-monacale auprès de sa mère, fréquentant l’Asketerion de Diodore de Tarse, Jean fut moine six ans, il passa après quatre ans de noviciat cénobitique à l’érémitisme le plus rigoureux.
Il semble que cette expérience révéla à Jean sa vraie vocation : la vie apostolique au service de la communauté des fidèles. Désormais son but sera d’élever le niveau spirituel de la communauté chrétienne en proposant à des laïcs une spiritualité conforme à leur état.

  • Gens du monde et moines ont le devoir d’atteindre au même sommet de la perfection.
    Adv. opp. vit. mon., 3, 14 [6]

De part et d’autre, il faut rechercher l’amour de Dieu le plus total.

  • Aimer le Christ, c’est n’être pas mercenaire, ne pas s’adonner au petit commerce, mais pratiquer la vertu d’une façon absolue et tout faire pour l’amour de Dieu.
    Homélie 6in Ac

La différence réside donc pour Chrysostome uniquement dans le devoir de la virginité et de la pauvreté, imposé au moine qui s’y engage librement. Mais au moine autant qu’au laïc est demandé le service de la communauté chrétienne : service de prière, service d’édification, service apostolique. C’est dans ce dernier point que se trouve la pensée essentielle de Jean Chrysostome, pasteur et apôtre, sur le monachisme.

  • Tu aurais beau rester à jeûn, coucher à la dure, manger de la cendre, pleurer sans cesse, si tu n’es pas utile à d’autres, tu ne fais rien de grand.
    In Tit. 6, 2
  • Les moines prient pour l’univers, voilà le plus grand témoignage de leur amitié.
    Homélie 78, in Jn

Que le monachisme soit donc le signe de la possibilité de l’idéal évangélique réalisé d’une façon absolue dans l’Église qui demeure malgré les persécutions :

  • Nous vous exhortons à faire l’aumône, un autre s’est dépouillé de tous ses biens, nous vous pressons de vivre chastement dans le mariage, un autre a renoncé au mariage.
    Homélie 3 9 in Mt

Les moines sont un « signe eschatologique » car déjà ils réalisent la parole du Seigneur : « ils seront comme des anges » (Mt 22, 30). Et certes d’abord par leur virginité mais cette virginité les rend plus aptes au service de tous leurs frères :

  • En quoi consiste le ministère des anges ? A servir Dieu pour notre salut. C’est donc une œuvre angélique de tout faire pour le salut de ses frères.
    Homélie 3, 2 in He

L’accent est toujours mis chez saint Jean Chrysostome sur l’utilité des moines. Aussi tandis qu’il insiste auprès des laïcs pour qu’ils se rendent dans les solitudes, afin de faire halte auprès des moines, il insiste auprès des moines, afin qu’il n’hésitent pas à venir établir leurs solitudes dans les villes. C’est le message dont le moine est porteur qu’il importe de faire connaître. La mission d’accueil, la vertu d’hospitalité sont donc aspects essentiels, corollaires indispensables de la vie monastique :

  • Les monastères sont des phares qui brillent de haut pour éclairer au loin ceux qui viennent à eux. Établis dans le port, ils invitent tout le monde à partager leur tranquillité, ne permettant pas que ceux qui les voient fassent naufrage ou demeurent dans les ténèbres.
    Homélie in 1 Tim, 14, 3
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2. Le moralisme

Oui, Jean Chrysostome est un moraliste et il l’est toujours, mais par nécessité. Cet aspect de sa pensée ne doit pas nous porter à perdre de vue que Jean avait comme seul but la croissance de l’amour chrétien

  • Presque toutes nos instructions sont consacrées aux exhortations morales. Il ne devrait pas en être ainsi. Vous devriez veiller vous-mêmes à la réforme de vos mœurs.
    De Statuis, 16, 2
  • N’applaudissez pas. Je ne vous ai pas parlé pour me faire applaudir mais pour provoquer chez vous une sainte émulation.
    Discours sur le mariage, III, 9

Ce fougueux dénonciateur des vices fut accusé au synode du Chêne d’encourager à pécher en disant : « Si tu as péché de nouveau, fais de nouveau pénitence, aussi souvent que tu auras péché, viens à moi et je te guérirai ». Cet homme qui consacra sa vie à combattre le mal sait que la miséricorde de Dieu est plus puissante que la faiblesse de l’homme.

  • Ne désespérez pas, gardez-vous du désespoir. Je le répéterai mille fois : si vous péchez tous les jours, faites pénitence tous les jours… Oui, tu seras sauvé. Parce que le Seigneur a pour les hommes une grande bonté. Mon espoir n’est pas fondé sur ta pénitence. Ta pénitence ne peut effacer tes crimes, mais bien la clémence de Dieu qui s’y joint aussitôt, qui n’a pas de mesure, qu’aucune parole ne peut expliquer. Ta malice est celle d’un homme, elle est bornée, la miséricorde qui pardonne est celle de Dieu, elle n’a pas de bornes, elle est infinie. La malice de l’homme est à la bonté de Dieu ce qu’une étincelle tombant dans l’océan est à l’océan. Non, moins encore. L’océan a des rives, la bonté de Dieu n’en a aucune.
    Homélie 31 in Ro
  • Vous redoutez l’enfer ? Mais moi, je ne cesserai de vous crier que d’offenser le Christ est plus insupportable et plus redoutable que n’importe quel enfer.
    Homélie 36, 4 in Mt
  • Je vous aime et je suis aimé. Mais ce n’est pas cela que je vous demande. Aimons Jésus-Christ d’abord. C’est le premier commandement. Vous remplissez si bien le second, appliquez-vous au premier ! Aimons Jésus-Christ, aimons-le de toute l’ardeur de nos âmes.
    Homélie 44,4 in Ac.
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3. L’apôtre des laïcs

L’ardeur apostolique de Jean Chrysostome trouve sa source dans la doctrine de notre incorporation au Christ, telle qu’il l’a comprise en étudiant saint Paul. Tout chrétien est membre, membre uni au Christ dans la solidarité à tous ses frères. Voilà pourquoi incombe à tout chrétien le devoir de l’apostolat. Les laïcs sont, dit Jean Chrysostome, « le plérôme de l’évêque ». À chacun d’eux de particulariser l’enseignement épiscopal.

  • Tu ne peux corriger l’Église, mais tu peux avertir ta femme. Tu ne peux prêcher à la multitude, mais tu peux ramener ton fils… ce petit cercle n’excède pas tes forces…
    Homélie 4, 2 in princ. Ac
  • Ce qui entretient le corps de l’Église, c’est la diffusion de la nourriture spirituelle dans tous ses membres. Le membre qui garde pour lui toute la nourriture sans la communiquer à son voisin se nuit à lui-même et nuit au corps entier.
    Sermon 9, 2 Gn
  • Le Christ nous a laissés ici-bas pour que nous répandions la lumière… pour que nous soyons le levain… pour que nous soyons des adultes parmi les enfants, des spirituels parmi les charnels, des semences qui porteront de nombreux fruits. Les actes remplacent avantageusement les paroles. Il n’y aurait plus de païens si nous nous comportions en vrais chrétiens.
    Homélie 10, 3 in 1 Tim
  • Certes, il faut désirer le ciel, mais avant que le ciel ne soit concédé le Christ nous ordonne de réaliser le ciel sur la terre, de nous comporter sur terre comme si nous étions au ciel et de porter dans nos prières la sollicitude du monde entier. Il ne nous a pas enseigné à dire : que ta volonté soit faîte en moi - ou en nous - mais sur la terre partout.
    Homélie 19, 5
  • Rien n’est plus vain qu’un chrétien non appliqué à sauver les autres.
    Homélie 62, 4 in Mt
  • Si le ferment ne fait lever toute la pâte, comment est-il ferment ? Si le parfum ne parfume pas, comment est-il parfum ? Ne dis pas : c’est impossible. Si tu es chrétien, il est impossible qu’il ne se passe rien. Cela fait partie de l’essence même du chrétien. Autant dénier au soleil la possibilité d’éclairer qu’au chrétien celle c’être utile à son prochain. Ne dis donc pas : impossible. C’est le contraire qui est impossible. Cesse d’insulter Dieu.
    Homélie 20, 34 in Ac

Comment fera le chrétien pour devenir parfum ? Qu’il prie Dieu, qu’il fréquente l’église. Il pourra alors diffuser la parole entendue.

  • Si quelqu’un entre dans la boutique d’un parfumeur et s’y arrête un peu, il sentira bon, il répandra autour de lui une douce odeur, à plus forte raison la répandra-t-il, cette bonne odeur, s’il fréquente l’église.
    Homélie 53, 3 in Jn

Le pire tourment de Jean en exil ne fut-il pas la pensée de son « peuple »(les laïcs = le laos - le peuple) demeuré sans pasteurs zélés.

  • J’ai été très peiné d’apprendre que vous et Théophile manquez de zèle. L’un de vous n’a prêché que cinq fois depuis octobre et l’autre pas du tout. Voilà qui m’accable plus que la désolation de mon état présent. Dans un temps où les autres sont persécutés, bannis, tourmentés, vous êtes impardonnables de ne soutenir votre peuple malheureux ni par votre présence, ni par vos paroles.
    Ep 203
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4. Le sens social

L’amour de Jean pour le pauvre est au premier plan de sa pensée [7]. Cet amour est au cœur de la doctrine chrétienne car le pauvre est membre et membre éminent du Christ. Le « c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt., 25) du jugement dernier ne cesse de le hanter avec tout son réalisme : Jésus s’offre à nous dans les pauvres.

  • Ses paroles en effet sont plus dignes d’être crues que nos propres yeux. Quand donc tu vois un pauvre, souviens-toi de ses paroles qui t’affirment que c’est lui qui est nourri.
    Homélie 88, sur Mt

Jean n’a rien épargné pour aider le pauvre et il a invité à donner aux pauvres avant de donner aux églises. La richesse de l’Église le peinait et il voulait qu’elle revienne à ceux auxquels elle appartient : les pauvres.
Il rendait la dureté des fidèles responsable de la richesse de l’Église. Le riche ne devrait être qu’un bon administrateur des richesses.

  • C’est votre dureté qui oblige l’Église à posséder des champs, des maisons de rapport, des véhicules, des chevaux, des mulets. Elle eût mieux aimé vous les laisser et que votre zèle fût sa richesse… Votre amour pour les biens du monde a effrayé vos pasteurs : ils ont dû réserver un patrimoine à l’Église afin que les veuves, les orphelins et les vierges ne restassent pas dans l’abandon.
    Homélie 85, in Mt

Aussi Jean nourrit-il un rêve et il en propose en vain l’accomplissement à ses fidèles, se faisant ainsi le prophète d’une charité communautaire dont les trois éléments seraient :

  • une pauvreté volontaire à l’instar de celle des moines,
  • une fraternité effective dans le partage,
  • un modeste standard de vie.

Peine perdue ! Si du moins les 100.000 fidèles de Constantinople offraient chacun un pain ou même une obole… (Homélie 85, in Mt).

Mais les gens d’Église eux-mêmes comprennent-ils mieux ?

  • Autrefois, je me suis moqué des princes qui ne regardaient qu’à la fortune, qu’à l’influence… Mais depuis que j’ai vu les mêmes abus chez nous, je n’en suis plus scandalisé… Les gens du monde sont dominés par leur misérable passion pour l’or et pour la gloire, mais ceux qui font profession d’y renoncer agissent-ils mieux ?
    De Sac., 15

Il faut signaler aussi la délicatesse de Jean envers le pauvre.

  • Que le pauvre soit païen ou Juif, s’il a besoin de miséricorde, n’hésite pas. Il a droit à être secouru.
    Homélie 10, in He
  • Que l’amitié se resserre entre vous. Demandez-leur quelque service pour qu’ils ne rougissent pas de recevoir. Ainsi ils seront plus à l’aise et entre vous régnera liberté et confiance.
    Homélie 48, 7, in Mt
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5. Le Docteur de l’Eucharistie

Le réalisme eucharistique de Jean Chrysostome nous est bien connu [8] En fait, et précisément à cause de l’importance que Jean accorde à la doctrine de notre incorporation au Christ, Jean est reconnu comme le docteur de l’Eucharistie. Citons seulement deux beaux textes [9] :

  • Moi, je m’insinue en toi de toutes parts. Je ne veux plus rien entre nous deux : je veux que les deux deviennent un.
    Homélie in 1 Tim, 15
  • Bâtissons donc sur le Christ, qu’il soit notre fondement, comme la vigne l’est pour le sarment, et que rien ne s’intercale entre nous et lui : si venait la moindre séparation, nous péririons à l’instant. Car le sarment vit de son rattachement et la construction tient par l’appui qu’elle trouve : si celui-ci venait à se dérober, elle s’effondrerait, n’ayant pas de soutien. Et ne nous attachons pas seulement au Christ, accolons-nous à lui ; le moindre intervalle nous ferait mourir. Car il est écrit (Ps 72, 27) : « Ceux qui s’éloignent de toi périront » Accolons-nous donc à lui et accolons-nous par les œuvres. Car, dit-il, « C’est celui qui observe mes commandements qui demeure en moi » (Jn 14, 21). Et en vérité, il fait notre union avec lui de beaucoup de manières. Vois : il est la tête, nous, le corps, peut-il y avoir un espace vide entre la tête et le corps ? Il est le fondement, nous l’édifice ; lui, la vigne, nous, les sarments ; lui, l’époux, nous, l’épouse ; lui, le berger, nous, les brebis ; lui, la voie, nous, les voyageurs nous, le temple, lui, l’habitant ; lui, l’aîné, nous, les frères lui, l’héritier, nous, les cohéritiers, lui, la vie, nous les vivants ; lui, la résurrection, nous, les ressuscités ; lui, la lumière, nous, les illuminés. Tout cela parle d’union, tout cela indique qu’il ne peut demeurer d’intervalle, fût-ce le plus petit. Qui se sépare, même très peu, verra la brèche grandir et sera écarté. Est-ce que notre corps, quand un glaive y fait une déchirure même exiguë, ne périt pas ? Est-ce qu’un édifice, par des fissures même étroites, ne va pas à sa ruine ? Est-ce qu’une branche, coupée de la racine, même délicatement, ne dessèche pas ? Ce, peu de chose, vous le voyez, n’est pas peu, c’est presque tout.
    Homélie 8 in 1 Co, 4
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6. Sur le travail

 [10]

Notre âge scientifique, où la technique modifie les conditions de vie, s’interroge sur la valeur du travail et, pour la première fois peut-être dans l’histoire, l’Église se montre soucieuse d’élaborer une théologie du travail. Une enquête dans la tradition patristique s’impose. Quels éléments la pensée de Jean Chrysostome pourra-telle apporter ?
Les renseignements sont épars et lorsque les textes sont réunis, nous constatons qu’en fait Jean n’a guère parlé que du travail « corporel », invitant les riches à le respecter, à en comprendre la dignité.
Instinctivement, Jean répugnait à ce travail… Voici ce qu’il dit au moment de se faire moine :

  • Je me demandais… si on n’allait pas me faire faire un travail pénible, par exemple me faire bêcher, porter du bois ou de l’eau…
    De Compunctione ad Dem., 1, 6

L’estime du travail

La riche société d’Antioche méprise l’humble travailleur et Jean, pasteur d’âmes, réagit.

  • Ne dis pas : c’est un ouvrier en airain, c’est un cordonnier, un cultivateur,… ne le méprise pas. Ne regardons jamais le travail comme une honte.
    In Prisc. et Aquila, 1, 5
  • Paul était corroyeur, après avoir prêché, il se mettait à son métier.
    In 1 Co, homélie 20, 5-6
  • Nous sommes les disciples de pêcheurs, de publicains, de faiseurs de tentes, de celui qui a été nourri dans la maison d’un charpentier.
    Ad pop. Ant., 19, 2
  • Paul… a consacré dans ses lettres comme sur une stèle d’airain le souvenir de son métier, et nous, indignes que nous sommes,… nous rougissons de ce dont il se montre fier.
    In Prisc. et Aquila, 1, 5

Aussi Jean veut-il s’adresser aux plus humbles :

  • Je veux que les serviteurs et les servantes, la pauvre veuve, le marchand, le matelot, le simple laboureur, puissent aisément me comprendre.
    Quod Christus sit Deus, 1

Et en une fête de l’Ascension, Jean se réjouit de saluer dans la basilique d’Antioche, des prêtres-agriculteurs.

  • Je regarde ce jour comme une très grande fête à cause de la présence de nos frères. Ils ne rougissent pas de travailler comme les habitants de notre cité. Tantôt ils courbent les bœufs sous le joug, tantôt montant en chaire, ils cultivent les âmes qui leur sont soumises, tantôt, serpe en main, ils coupent les épines du sol, tantôt ils purifient les âmes de leurs péchés, par la parole.
    Ad pop. Ant., 19, 1

Jean, qui n’envisage guère que le travail manuel, semble quelque peu méprisant pour les vains jeux de l’esprit

  • Diogène n’est pas plus admirable que les charlatans qui avalent des clous et mangent des souliers ; tout travail qui ne produit aucun fruit n’a droit à aucune louange.
    De S. Babyla cont. Jul., 8

Si le riche cependant apprend à faire un bon usage de ses richesses, alors il possède « un art supérieur à tous les autres, car son atelier est dans les cieux »(Homélie 49 in Mt, 34).

Le rôle de l’art

L’art, la technè est pour Jean une réaction de la sagesse mise par Dieu dans l’homme aux besoins et difficultés que lui pose la vie.

  • Voyez quelle grande chose est l’art. Un homme plein de force ne vient pas toujours à bout de maîtriser un seul cheval, tandis qu’avec le secours de l’art un adolescent souvent en gouverne deux sans peine et les guide à son gré.
    In Act. Ap. Hom. 29,4
  • Le cheval est plus rapide que l’homme, mais tandis que le cheval le plus rapide parcourra 200 stades en un jour, l’homme en attelant successivement plusieurs chevaux pourra en parcourir jusqu’à 2000…
    Ad pop. Ant., II, 4

L’art engage l’homme tout entier, corps et âme, dans l’œuvre de domination et de transformation du monde - par là se manifeste sa qualité d’image de Dieu.

L’homme, image de Dieu, est maître sous un Maître

L’homme est situé entre le Dieu pantocrator et le monde créé pour lui. Quelles sont les incidences du travail sur la vie spirituelle ?
La tendance eschatologique de Jean l’amène à affirmer avec force que la fin de l’homme n’est pas la construction de la cité terrestre, car « la figure de ce monde passe » (De Virginitate, 73), on ne peut donc oublier la fin supérieure, s’aliéner dans les choses temporelles. Il faut travailler comme les moines, sans se laisser prendre aux soucis de cette vie. Tout chrétien doit prendre du « loisir » pour vaquer aux choses spirituelles. Le labeur spirituel de la prière est un art supérieur (De Resurr. Mort., 5).

  • Moi, je ne vous demande pas de rester sept, dix jours sans travailler, mais de me prêter deux heures dans une journée et de garder les autres.
    In inscr. alt., 2
  • Tu es ouvrier ? Chante des psaumes, assis au travail. Mais tu ne peux pas chanter à haute voix ? Fais-le par l’esprit. Tu peux être dans ton atelier comme dans un monastère.
    Ad illum. Cat., 2, 4

Tout chrétien a une première profession : être chrétien. Il y a donc le primat de la prière, le premier labeur de la prière :

  • L’Église de Dieu se lève pendant la nuit pour offrir à Dieu le sacrifice de louanges. Lève-toi donc aussi… Tu vas objecter : j’ai travaillé tout le jour, je suis fatigué, je suis incapable de me lever. Ta fatigue égale-t-elle celle du métallurgiste qui travaille péniblement la plus grande partie de la nuit ? Ouvre donc un atelier spirituel, non pour y fabriquer des marmites et des bassins, mais pour y façonner ton âme. Cette âme vieillie dans le péché, plonge-la dans le creuset de la confession…
    Homélie 26, 3-4 in Ac

Dieu par sa parole a donné à la terre l’impulsion initiale (Hom. in Gen., 6, 4) et c’est sous la main bénissante du Maître suprême que l’homme doit travailler. Avant d’offrir aux paysans des bains, qu’on leur construise une église, si simple soit-elle :

  • Que personne n’ait une terre sans église. Vous trouvez que c’est une dépense trop considérable ? Commencez ; par une construction modeste : votre héritier l’agrandira.
    Homélie 18 in Ac
  • Une campagne où il y a une église ressemble au paradis de Dieu.
    Homélie 23 in 2 Co
  • Que ce soit de là que les mains prennent leur élan vers le labeur ; qu’elles soient d’abord étendues pour la prière, qu’ensuite elles partent au travail.
    Homélie 18 in Ac

Deux thèmes dominent dans la pensée de Jean Chrysostome sur le travail : • Toute la création est pour l’homme. • L’homme est « dominateur » à l’image de Dieu : à lui de dominer la création. La création est pour l’homme

  • Comme quelqu’un qui aurait construit un palais magnifique, étincelant d’or, éblouissant de l’éclat des pierreries, ayant disposé le monde, Dieu introduisit l’homme pour régner sur tout ce qui s’y trouve.
    De Comp. ad Stel., 2, 5
  • Lorsque la création fut achevée, lorsqu’il ne resta rien d’imparfait et que tout fut terminé, le corps réclama sa tête, la cité son chef, la création son roi, l’homme.
    Contra Anomeos, II, 2
  • Le monarque est nécessaire aux sujets et les sujets au monarque.
    Ad pop. Ant., II, 4

Le monde est ainsi un signe de la philanthropie divine, le inonde est tout entier « la nourrice d’un enfant royal » (In Rom. hom. 14, 5).
La venue de l’homme au terme de la création est bien plus qu’un symbole, l’homme est à tous les sens du mot la fin (l’achèvement, le but) de la création.

L’homme est « dominateur » à l’image de Dieu

La dignité de l’homme est celle d’image de Dieu et certes, de là vient d’abord sa nécessaire soumission à l’Être suprême dont il est l’image, mais de là découle aussi son droit d’empire absolu sur la création.

  • Ce petit être de trois coudées, tellement inférieur aux animaux par la force du corps, Dieu l’a élevé au-dessus de tous, lui donnant avec lui-même la parenté de la raison, le gratifiant d’une âme raisonnable, ce qui est le sommet de l’honneur.
    In pasc. 48, 7

Le terme d’ « image de Dieu » est compris expressément par Jean Chrysostome comme signifiant une similitude de pouvoir.

  • Ce qu’est Dieu, en effet dans le ciel, l’homme l’est sur la terre, je veux dire quant au pouvoir.
    In He homélie 2, 2

À l’homme responsable de ne pas décevoir l’espérance de la créature, de ne pas décevoir - en restant fidèlement son image l’amour de Dieu qui lui transmet son pouvoir créateur.
La création soumise à l’homme chante ainsi la gloire de Dieu :

  • Tout est au service de l’homme, c’est-à-dire de l’image du Maître. La création n’honore pas l’être terrestre, elle révère le signe céleste, le signe du roi.
    Texte cité dans Échos d’Orient, II, 1908, p. 81

Bien des notations devraient être ajoutées ! Signalons seulement que le travail est la source première de l’aumône, service du pauvre, et qu’il est facteur d’union entre les hommes soumis ensemble au labeur et travaillant au service des autres.

  • Ne comprenez-vous pas que si l’abeille l’emporte en dignité sur les autres, ce n’est pas parce qu’elle travaille, mais parce qu’elle travaille pour les autres. L’araignée aussi travaille, elle prend beaucoup de peine à tisser ses toiles, mais son œuvre ne nous est en rien profitable.
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CONCLUSION

Peut-on tracer un portrait de Jean Chrysostome ? On sait qu’il fut d’un aspect physique insignifiant : petit de taille, chétif, de mine souffrante, très sensible au froid. Mais la parole qui fut sa vocation et sa passion le transfigurait.
La postérité ne s’est pas trompée en choisissant de désigner Jean de Constantinople sous le nom de Jean Bouche d’Or (Chrysostome) : l’éloquence de Jean est si vivante, si familière qu’elle nous atteint aujourd’hui encore. Ce prédicateur infatigable parle encore et il développe pour nous ses thèmes préférés : l’Eucharistie, l’amour du pauvre, la charité, l’appel universel à la sainteté.
S Jean Chrysostome fut en effet le défenseur passionné des humbles, il sut dénoncer avec véhémence le révoltant contraste qui existait entre les pauvres auxquels le Christ s’identifie et les riches qui se prétendaient chrétiens :

  • Ton chien est repu et le Christ est dévoré par la faim.
    Homélie 17 in 2 Co

Condamnant le luxe, Jean vécut pauvrement et suscita ainsi l’inimitié de ceux pour lesquels cet exemple était une trop dure leçon.
Jean Chrysostome fut formé à l’exégèse à l’école d’Antioche, aussi s’attache-t-il avec soin au commentaire du sens littéral, mais il le fait toujours en prédicateur, en pasteur, soucieux du progrès spirituel de ses auditeurs.
Les lettres d’exil nous révèlent un Jean Chrysostome très humain : oublieux de lui jusqu’à l’héroïsme, il sait cependant reconnaître ses souffrances très dures, mais surtout il se préoccupe de chacun avec une affection délicate et vibrante, une étonnante compréhension.
Newman s’est demandé longuement pourquoi Jean Chrysostome lui était si particulièrement cher : « Je l’aime comme j’aime David ou saint Paul. Comment l’expliquer ? » Il répond en décrivant avec finesse la « bienveillance attentive », l’amour personnel de Jean pour chacun.

  • Je considère, dit-il, que le charme de Chrysostome réside dans sa sympathie et sa compassion profonde pour le monde entier, non seulement dans sa force, mais dans sa faiblesse… Tout possédé qu’il est du feu de la divine charité, il n’a pas perdu une fibre, il ne laisse échapper aucune vibration de l’ensemble compliqué de la sentimentalité et de l’affectivité humaines, tout pareil au buisson miraculeux du désert qui, malgré la flamme qui l’enveloppait, n’était pas pour cela consumé. [11]

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Source :

Soeur Gabriel Peters, Lire les Pères de l’Église. Cours de patrologie, DDB, 1981.
Avec l’aimable autorisation des Éditions Migne

[1Cette église - la Mégalè - est Sainte-Sophie, elle fut endommagée par l’incendie de 404, détruite en 532 lors de la sédition Nika et reconstruite sous Justinien dans sa forme actuelle.

[2Olympias est une veuve diaconesse. Lors de son deuxième exil, Jean lui écrira 17 lettres sur la souffrance.

[3Les anoméens disaient que le Fils était totalement différent du Père, seul inengendré.

[4Nous avons traduit « terreur », mais le terme propre est plus fort encore, c’est l’« horreur », c’est-à-dire la crainte sacrée.

[5Pour plus de détails, voir Théologie de la vie monastique, Paris 1961, à l’article de J. - M. Leroux, p. 143-190.

[6Contre les ennemis du monachisme : Adversus oppugnatores vitae monasticae.

[7Voir de très beaux textes réunis dans E. Mersch, Le Corps mystique du Christ, t. 1, 1936, p. 476-485.

[8Voir les lectures lues autrefois au 2e dimanche après la Pentecôte, homélie 60 au peuple d’Antioche.

[9On en trouvera d’autres dans E. Mersch, op. cit., t. I, p. 469-476.

[10D’après Lucien Daloz, Le travail selon saint Jean Chrysostome, Paris 1959.

[11Voir J.H. Newman, Esquisses patristiques, trad. D. Gorce, Paris 1962, p. 383-388. Il faut lire ces pages merveilleuses que Newman n’a pu écrire que parce qu’en cela, il fut si semblable à saint Jean Chrysostome.

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