Eucher de Lyon : Éloge du désert

Lettre à Hilaire de Lérins
Jeudi 11 novembre 2004 — Dernier ajout vendredi 9 avril 2010

Eucher a été évêque de Lyon au milieu du cinquième siècle. L’une de ses lettres à Hilaire de Lérins est une riche et belle méditation sur le désert et la solitude. Nous en publions ici la traduction de Christophe Carraud. Elle est introduite par un petit essai du traducteur auquel appartiennent les éléments biographiques mentionnés ci-dessous.

Éloge du désert : cliquez pour télécharger le texte d’Eucher.

Éléments biographiques

« D’Eucher, on ne sait presque rien. Ce seront, pour l’essentiel, des conjectures. Voici à peu près à quoi ressembla sa vie.
Il naît dans une grande famille lyonnaise ; la date est incertaine. (Celle de sa mort n’est pas plus assurée : entre 449 et 455. Du moins a-t-on ces repères.) Il lit beaucoup, connaît un peu le grec. On voit passer dans ses textes, dans le Mépris du monde, dans les Instructions, l’ombre d’un long cortège, Cicéron, Sénèque, Aulu-Gelle, Pline, Symmaque, Prudence, Claudien ; et Virgile et la Bible, dont il est évidemment pétri, comme le sont ceux qui vivent en sachant où est la vie. Il devient sénateur (il n’y a pas de plus haute fonction). Il a épousé Galla, qui est très pieuse elle aussi ; viennent deux fils, Salonius et Veranius - Salon et Véran -, qu’il envoie à Lérins pour y être élevés par le moine Hilaire dans le monastère de l’île, qu’Honorat vient de fonder. Les deux fils seront évêques du vivant de leur père, le premier de Genève, le second de Vence, sans doute.
La charge de sénateur ne semble pas le satisfaire ; on lit dans l’abrégé de sa Vie par Adon, telle qu’on la découvre en tête de la traduction qu’Arnauld d’Andilly a faite du Mépris du monde : « Il renonça à la qualité de Sénateur si relevée pour s’aller enfermer dans une caverne en l’une de ses terres assise sur la rivière de la Durance, où ne s’occupant qu’à servir Dieu il passait tous les jours & les nuits en jeusnes et en prieres ». Le désir grandit ; Eucher va retrouver ses fils à Lérins en 422, et embrasse la vie religieuse. Galla, de son côté, se retire dans un cloître. Le père, la mère et les deux fils : il y aura quatre saints dans la famille. Puis le monastère même ne suffit pas ; il choisit la vie d’anachorète, fait la traversée de l’île de Lérins (Saint-Honorat) à celle de Lero (Sainte-Marguerite), et s’y établit. Il est seul. Ses vertus sont connues, son exemple rayonne ; on vient le chercher pour l’asseoir sur le siège épiscopal, à Lyon […] Je cite Adon : « L’Evesque de Lyon estant mort, toute cette Eglise suivant l’ancienne coûtume jeusna & pria durant trois jours, pour demander à Dieu de luy vouloir donner un Pasteur capable de la gouverner. Vn ange apparut alors à vn enfant & luy dit : Il y a dans une caverne assise sur le bord de la Durance, vn Senateur nommé Eucher qui a tout abandonné pour suivre IESUS-CHRIST. Il faut l’aller trouver & le prendre pour vostre Evesque : car c’est luy que Dieu a choisi. » Le voici donc à Lyon, sans doute jusqu’à sa mort.

Sa réputation grandit encore. Il défend Augustin contre les « semi-pélagiens » provençaux , correspond avec bien des gens, si l’on en juge par ce qui reste des lettres qu’on lui envoie, Paulin de Nole , Cassien, qui lui dédie l’une de ses Conférences, participe activement au premier concile d’Orange, écrit vraisemblablement La Passion de saint Maurice d’Agaune, ce chef de la légion thébaine qui se fait massacrer au verrou du Rhône, ou alors c’est juste à côté, sur les hauteurs de Martigny (Octodure). Claudien Mamert, qui l’a connu, et avait écouté ses prédications, fait de lui ce bref éloge : « D’âge jeune et d’esprit mûr, méprisant la terre et n’aspirant qu’au ciel, profondément humble et d’un mérite éminent, doué d’une intelligence pénétrante, d’une science étendue et d’une éloquence débordante, il fut sans conteste le plus grand parmi tous les évêques de son temps ». Et c’est à peu près tout. Eucher a-t-il lu ces quelques phrases ? Peu importe. On découvre avec plaisir qu’on peut faire de quelqu’un le portrait le plus précis en ne reprenant que les lieux de l’exemplarité et de la dévotion. Les signatures et les fiertés viendraient plus tard, avec l’invention des individus et celle des écrivains. Je note simplement (et je ne reviendrai plus sur le contraste, c’est inutile) que l’extrême singularité de l’expérience de solitude, celle aussi bien, pour reprendre les termes anciens, du colloque avec Dieu, s’accompagne naturellement d’un certain effacement, et même d’un désir d’oubli, c’est-à-dire d’une confiance ; et qu’à l’inverse, les identités rivées à elles-mêmes, inquiètes et closes, sont comme la petite monnaie de masses indistinctes, leur conversion illusoire et apeurée. Le sens du tragique, donc celui de l’œuvre, s’en est accru ; le changement nous apporte des chances étranges, chèrement payées. »

Sources :

Traduction : Christophe Carraud dans CONFÉRENCE, Nº 9, automne 1999.

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