uisque tu prends bien la plaisanterie [1], nous allons continuer. Homère fournira le préambule : « Allons, poursuis et chante la beauté du dedans » [2], cette cabane sans toit et sans portes, ce foyer sans feu et sans fumée, ces murs desséchés par le feu pour éviter que la boue qui en dégouttait ne tombe sur nous — oui, nous étions, comme Tantale, condamné à mourir de soif au milieu de l’eau [3] —, 2. et ce pitoyable festin où l’on n’avait pas de quoi manger et auquel on nous avait invité du fond de la Cappadoce en nous faisant espérer non point la frugalité des Lotophages [4], mais le repas d’Alkinoos [5], malheureux naufragé que nous étions, nous aussi !
3. Je me souviens de ce pain que l’on nous servait et de ce que l’on appelait les brouets… et je n’oublierai jamais comment mes dents glissaient sur les croûtons, puis s’y engluaient et s’en détachaient comme au sortir de la vase ! 4. Tu peux sans doute célébrer tout cela sur un ton tragique, avec des accents sublimes que t’inspireront tes propres souffrances ; toujours est-il que si cette noble femme, vraie nourrice des pauvres — c’est-à-dire ta mère —, ne nous avait tirés de ces difficultés en se montrant à nous comme un port à des navigateurs battus par la tempête, nous serions morts depuis longtemps et l’on nous plaindrait au lieu de nous louer de notre « foi pontique » [6].
5. Comment ne pas parler de ces soi-disant jardins qui ne produisent aucun légume, et de ce fumier d’Augias que nous avons retiré de la demeure pour en couvrir les jardins ? Alors toi, mauvais plaisant, et moi, vendangeur, nous traînions ce chariot haut comme une colline, avec ce cou et ces mains qui portent encore la trace de nos travaux. Ô terre, ô soleil, ô air, ô vertu ! pourrai-je m’écrier en prenant un peu le ton de la tragédie — et nous ne voulions pas unir les rives de l’Hellespont [7], mais combler un fossé.
6. Si notre récit ne te cause aucune peine, il ne nous en fait pas davantage ; s’il te contriste, que devons-nous dire, nous qui avons subi la chose même ! Et encore, nous passons sous silence la majeure partie de nos maux, en considérant les avantages dont nous avons joui.