Office des lectures

Grégoire de Nysse : la Croix théologienne.

14 septembre : fête de la Croix glorieuse
Mercredi 13 septembre 2006 — Dernier ajout lundi 3 mai 2010

Dans la même rubrique…

Mots-clés

Articles liés

La Croix n’est pas simplement un instrument de supplice, tiré au hasard, pour la mise à mort de Jésus. Non, l’instrument, jusque dans la forme, proclame la puissance de Dieu. C’est à ce titre que Grégoire peut reconnaître dans la croix une théologienne qui annonce le pouvoir de Jésus Christ.

ui pourrait encore rendre facilement compte de toutes les interprétations que contient la croix où s’achève le mystère de la Passion ?

N’y avait-il pas des milliers de manières d’être supplicié, qui auraient pu être adoptées pour que soit accomplie l’économie de sa mort en notre faveur ? Or, entre toutes, celle-ci fut fixée par celui qui s’est fixé, de lui-même selon sa puissance, sa propre passion. Le Fils de l’homme doit, dit-il en effet, et il n’a pas dit : Le Fils de l’homme souffrira ceci ou cela, comme on le dirait simplement en parlant du futur, mais le mot qu’il emploie nous enseigne, comme un dogme la nécessité absolue et issue d’un dessein indicible, lorsqu’il déclare : Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir, être rejeté et crucifié, puis, le troisième jour, se relever (Lc 9, 22). Comprends-moi bien le sens de ce doit par lequel on trouve que la passion qui a été annoncée ne pouvait se réaliser autrement que par la croix.

Croix
© BnF. Ms. Arabe 169, fol. 1v.

Quelle en est donc la raison ? Il revient au seul grand Paul à partir des paroles ineffables qu’il a entendues lorsqu’il a été initié dans les régions inaccessibles du paradis, d’expliquer clairement ce qui concerne ce mystère, comme il l’a fait en partie dans sa lettre aux Éphésiens quand il fait allusion à ce qui est caché en disant : Afin d’avoir la force de comprendre avec tous les saints ce qu’est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, et de connaître l’amour du Christ qui dépasse toute connaissance, pour que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu (Ep 3, 18-19). Car cet œil divin de l’Apôtre n’a pas médité en vain sur la forme de la croix, mais il a aussi clairement montré à travers cela qu’il avait dégagé de ses yeux toutes les écailles de l’ignorance et qu’il portait un regard pur sur la vérité des êtres : il a vu que cette forme, constituée de quatre bras partant de son centre, indiquait clairement la puissance universelle et la providence de celui qui est apparu sur elle. Aussi désigne-t-il chaque bras par un terme particulier, appelant profondeur celui qui descend du centre, hauteur celui qui se trouve au-dessus, largeur et longueur la transversale s’étendant de chacun des côtés de la jonction, de sorte qu’il appelle largeur l’un des côtés du centre et longueur l’autre. Ce texte me semble clairement signifié qu’il n’est rien au monde qui ne soit totalement soutenu par la nature divine, ni ce qui est au-dessus du ciel, ni ce qui est sous terre, ni ce qui s’étend de toute part horizontalement jusqu’aux limites des êtres. Il signifie en effet par la hauteur la partie supérieure, par la profondeur la partie souterraine, et par la longueur et la largeur, il délimite ce qui est au milieu et qui est maintenu par la puissance qui supporte tout l’univers.

Ce qui se passe dans ton âme, lorsque tu considères Dieu, t’apportera la démonstration de ces dires. Regarde en effet là-haut, vers le ciel et par ta réflexion représente-toi, en bas, les profondeurs, ouvre ton intelligence aux étendues et aux hauteurs de tout ce qui existe et réfléchis à la puissance qui embrasse cela, reliant pour ainsi dire l’univers tout entier, et tu verras alors comment la forme de la croix, par l’idée que tu te fais de la puissance divine, se gravera d’elle-même en ton esprit descendant des hauteurs jusqu’aux profondeurs et s’étendant horizontalement jusqu’aux limites extrêmes du monde.

Cette forme, le grand David la chanta lui aussi par une parole le concernant : Où aller loin de ton esprit ? dit-il, où fuir loin de ta face ? Si je monte au ciel (c’est la hauteur), si je descends aux enfers (c’est la profondeur), si je reprenais mes ailes le matin (le lever du soleil, c’est-à-dire la largeur), si je posais ma tente aux extrémités de la mer (c’est en effet ainsi qu’il nomme le coucher du soleil, c’est la longueur) (Ps 138/139,7). Vois-tu comment la forme de la croix est parfaitement décrite dans ses propos ? Tu es, dit-il, celui qui vient à travers tout et qui réunit l’univers en un lien, celui qui embrasse toutes les extrémités ; tu es en haut, tu te trouves en bas, ta main est dans ces confins, et ta droite sert de guide dans les autres.

Et c’est pourquoi, le grand Apôtre, lorsque tout a été rempli de foi et de connaissance, dit que celui qui est au-dessus de tout nom (Ph 2, 10) est adoré sous le nom de Jésus-Christ dans les cieux, sur la terre et sous terre. En cela, il répartit une nouvelle fois l’adoration du Christ selon la forme de la croix : la région céleste rend en effet toute adoration au Maître dans la partie supérieure de la croix, celle qui est terrestre dans les parties médianes, tandis que la région souterraine s’attache à ce qui est bas.

À mon avis, il en va de même du iota, qui va de paire avec le petit trait (keraia en grec), et qui est plus stable que les cieux, plus solide que la terre et plus durable que toute l’ordonnance de l’univers. Le ciel et la terre passeront (Mt 24, 35), comme l’ordre de l’univers, mais pas un iota de la Loi ni un petit trait ne passeront (Mt 5, 18). La lettre, formant une verticale descendante, se nomme iota et le signe oblique s’appelle accent (keraia), comme nous l’apprennent aussi les marins, qui désignent du terme vergue (keraia), à cause de sa forme, le bois placé en oblique sur le mât et d’où l’on déploie la voile. C’est pourquoi il me semble que la parole divine de l’Évangile s’intéresse là à ce en quoi toutes choses subsistent, qui est éternel et non pas dominé, et qui révèle, comme par énigme et en un miroir à travers la forme de la croix, sa propre puissance qui maintient tous les êtres.

Et c’est à cause de cela qu’il est dit que le Fils de l’homme doit non simplement mourir, mais être crucifié, pour que, par sa forme, la croix devienne théologienne en annonçant aux plus perspicaces le pouvoir tout-puissant de Celui qui est apparu sur elle et qui est tout en tout.

Sources :

Grégoire de Nysse, Au sujet du délai de trois jours dans Le Christ pascal, PDF 55, trad. Ch. Bouchet et M. Canévet, Paris 1994, p.65-68.
Traduction modifiée d’après GNO IX p. 298-303.

Revenir en haut