Hilaire de Poitiers : Commentaire sur le Psaume 51

Mercredi 14 novembre 2007 — Dernier ajout jeudi 8 avril 2010

Voici une traduction inédite du Commentaire du psaume 51. Pour vous guider dans votre lecture vous pouvez lire l’introduction générale parue sur patristique.org ou consulter les explicitations propres à ce psaume.

Psaume 51 : Relatif à David en vue d’une fin in finem, quand Doec, Édomite, vint annoncer à Saül cette nouvelle : David est arrivée dans la demeure d’Abimelech (cf. 1 Sam 22, 9 ss.).
Pourquoi te glorifier, toi qui es puissant à faire le mal, à commettre l’iniquité tout le long du jour ? Ta langue médite l’iniquité… et la suite.

1. Cette suscription du psaume requiert un soin attentif pour satisfaire l’intelligence avide de sens. En effet, dès le début est posé ce fait : Pour la fin, en vue d’une compréhension. Car d’une part, il est clairement montré que le psaume ne contient pas de faits qui lui soient contemporains ; cela relève de l’intitulé portant in finem (pour la fin). D’autre part, puisque la compréhension est pour la fin, il ne peut y avoir d’autre compréhension de la réalité de ce psaume qu’en vue d’un accomplissement final. Cependant, la fin, comme nous l’indiquons souvent, c’est le terme où se concluent toutes choses et dont la cause entraîne toutes les autres choses ; fin vers laquelle toutes les œuvres entreprises se pressent d’aboutir, dans l’espérance.

2. La compréhension de ce psaume repose donc sur celui à cause de qui tous les faits rapportés prennent sens, et en dehors de qui rien ne tient (pour établir une explication cohérente). Qu’est-il donc cet individu (Doec) ? La suscription elle-même l’indique, elle qui se réfère au contenu de l’histoire des faits. Tel est-il : pour la compréhension ultime, il convient de se référer à David lorsque Doec, l’Édomite, vint annoncer à Saül cette nouvelle, lui disant : ’David est entré dans la demeure d’Abimelech’. Et pour que nous puissions suivre sans restriction l’argument présenté par la suscription, l’ordre même des actions qui constituèrent l’événement doit être exposé. Doec, le préposé aux soins des mules de Saül, est celui qui dit à Saül : J’ai vu le fils de Jessé venir à Nob chez Abimelech, fils d’Achitub. Celui-ci a consulté le Seigneur pour lui (David) ; il lui a donné à manger ; il lui a remis l’épée de Goliath, ce (philistin) fils d’étranger. Ayant entendu ce propos, le roi (Saül) donna pouvoir à Doec sur les prêtres de la cité de Nob. Ensuite, l’Écriture ajoute : Et Doec, l’Édomite, passa de l’un à l’autre, et porta la main sur les prêtres. Il tua en ce seul jour 85 d’entre tous ceux qui portaient l’éphob (le pagne de lin) ; et la ville de Nob, la cité des prêtres, périt sur l’heure par le glaive (cf. 1 Sam 22, 9ss.).
Telle est la véracité des faits dont on a tiré pour le titre du psaume tout ce qu’il fallait pour satisfaire au mystère du psaume et à l’enseignement prophétique. En effet, on ne trouve seulement indiqué que ceci, dans la suscription : Lorsque Doec, Édomite, vint avertir Saül et lui dit : ’David est entré dans la demeure d’Abimelech’. Nécessairement, après le cinquantième psaume dans lequel la rémission des péchés joue en faveur de ce sanctifié qu’est David - comme nous en sommes informés par l’exorde des psaumes relatifs à David -, fait suite à cette vertu du nombre cinquante, cet autre psaume, antérieur quant au temps, et placé dans un rang postérieur (le cinquante et unième), afin que ce qui est prescrit : comprendre en vue de la fin, puisse être compris pour des catégories de faits parfaitement accomplis et pour des genres de réalités achevées dans l’accomplissement des mystères (c’est-à-dire parvenus à leur fin).

3. L’interprétation du nom d’Abimelech se rend par qui a le pouvoir souverain sur mes frères. Que signifie pour nous le pouvoir souverain sur les frères, c’est-à-dire ce que les hébreux mettent sous le nom d’Abimelech ? Lors donc qu’il est dit à Saül : David est entré dans la demeure (ou la patrie) d’Abimelech, David s’annonce comme l’ennemi de Saül, en tant qu’il pénètre dans le territoire où s’exerce le pouvoir souverain sur des frères. Cependant, cette demeure du pouvoir sur les frères, c’est l’Apôtre Pierre qui indique ce qu’elle est, lorsqu’il dit : Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel en vue d’un sacerdoce saint. Et plus loin, il poursuit : Mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis (1 Pi 2, 5.9). Nous sommes donc dans cette « demeure » spirituelle qui doit être édifiée pour un peuple royal, si, à travers l’édification spirituelle des corps par laquelle nous devenons conformes à Dieu, nous méritons d’être cette race royale. Donc, la demeure d’Abimelech est cette Maison du Règne Fraternel de ce véritable David, Saint, Roi, Juste, Soleil levant, fait Homme par notre corps (assumé) ; cette demeure est pour lui un Royaume fraternel (cf. Ro 8, 17) parce que nous sommes cohéritiers par la gloire de ce corps, cohéritiers de son Règne à lui qui (nous) dit : Venez les bénis de mon Père, prendre possession du Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde (Mt 25, 34). Mais que ses frères soient ceux-là mêmes qu’il aura fait entrer dans la demeure royale, cela est attesté par la prophétie, dans le psaume 21, qui dit : J’annoncerai ton Nom (ô Dieu) à mes frères ; au cœur de l’Assemblée, je Te louerai (Ps 21, 23). Donc, pour la concession faite aux pécheurs concernant leur remise de dettes qu’exprime le Ps 50, qui précède le Ps 51, le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous (Jn 1, 14), nous qui sommes ses frères, sa demeure spirituelle, une race royale.

4. Cependant, le peuple impie, parricide et traître, qui est signifié par le nom de Doec [1], livra son Roi - c’est-à-dire David -, comme ennemi, le dénonça comme ayant pénétré dans la demeure d’Abimelech ; et c’est bien ce que fit ce peuple lorsqu’il livra l’Homme à Pilate pour qu’il soit crucifié, lorsque, répudiant son Roi, il confessa qu’il n’avait d’autre roi que César, livrant celui-là même qui était entré dans la demeure d’Abimelech sans comprendre qu’il fût entré dans la demeure du pouvoir fraternel et souverain, à savoir le corps dans lequel se trouve constituée pour lui l’Église des sanctifiés, Église qui est le Corps du Christ (cf. Col 1, 18 ; Éph 1, 23) et qui lui est conforme pour régner avec lui. Entré ainsi en elle, il consomma pour lui-même la nourriture désirée - car d’un grand désir, j’ai désiré manger cette Pâque (Lc 22, 15) -, et, de cette demeure - le Corps du Christ qui est Église -, il subtilise l’arme de Goliath, c’est-à-dire l’arme du diable. Il en extirpa lui-même les dépouilles du fort (cf. Mt 12, 39). Après quoi, par ce même Doec - à savoir le peuple traditeur -, les apôtres sont mis à mort et les Églises bouleversées. Dès lors, le titre du psaume : Pour la fin en vue de la compréhension se comprend donc, parce que dans le Christ qui est David, Soleil levant, le Juste, le Roi éternel et le Pasteur, la consommation de toute notre espérance et la fin de la Loi se réalise, Christ qui, selon le titre du psaume et selon l’ordre de la relation des faits, fut livré dans cette demeure de son propre Corps qui, en relation intime à lui, est signifiée comme étant la Demeure de la Puissance Souveraine et Fraternelle.

5. « Pourquoi te glorifier, toi l’homme fort, qui commets l’iniquité à longueur de jour ? » (v.3)

C’est une plainte en justice de Prophète (le Psalmiste) qui repose sur le fait que celui qui se glorifie à longueur de jour de son iniquité, se rend puissant pour opérer le mal. Et la fausseté de cette gloire de l’iniquité, qui plus est, est mise en lumière. Par contre, il y a bien une gloire qu’il convient d’attendre, qu’il faut même proclamer, et dont il faut parler avec un certain transport de joie, qu’un autre Prophète désigne sous des termes identiques, lorsqu’il dit : Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, ni l’homme fort de sa force, ni le riche de ses richesses, mais que celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur (Jr 9, 23-24 ; cf. 1 Co 1, 31 ; 2 Co 10, 17). Il montre en effet, d’abord par les causes d’une gloire insoutenable et qui doit être proscrite, ensuite, par son contraire, en la juste cause d’une gloire qu’il convient d’ambitionner, que le bienheureux apôtre doit être instruit par cet exemple pour ne se glorifier en rien pour lui-même, mais seulement en un seul ; cela est manifeste lorsqu’il dit : Pour moi cependant, que Dieu me garde de me glorifier, si ce n’est dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. par qui le monde est pour moi un crucifié et moi, pour le monde (Ga 6, 14).
Ce n’est donc pas d’une gloire de ce type-là qu’il trouve à redire, mais de la gloire de l’iniquité, et de celui qui, de son iniquité, se glorifie tout au long du jour. Nous nous souvenons d’avoir l’habitude de nommer jour l’âge ou le temps vécu par l’homme, lorsqu’il est dit : Le jour de l’homme, je ne l’ai pas désiré (cf. Jr 17, 16), ou son contraire lorsqu’Abraham désire voir le jour du Seigneur (cf. Jn 8, 56), ou encore lorsque l’Apôtre livre un individu à Satan pour la perte de sa chair afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur (1 Co 5, 5) : il montre qu’il ne s’agit pas là du jour déterminé par le lever et le coucher du soleil, mais du jour constitué d’instants rassemblés et d’âge. Donc est puissant en malice celui qui se glorifie de son iniquité tout au long du jour (Ps 51, 3).

6. Mais que la cause des griefs attribués à Doec le soit à sa personne, il ne convient pas de penser que cela se trouve parfaitement justifié. Qu’en est-il en effet d’une puissance que possédait un gardien de mules en tant que personne, du droit de transférer d’un lieu à un autre des animaux appartenant au roi, ou ne consistant seulement dans le fait d’annoncer que David soit entré dans la demeure d’Abimelech ? S’est-il glorifié effectivement tout le jour, de son iniquité ? En vérité, sous le nom de ce personnage, c’est le peuple qu’il convient de reconnaître, peuple dont le parcours dans le temps de l’histoire fut vécu dans l’iniquité, peuple auquel la gloire de son iniquité, tirée d’une puissance venant de la malice, a surabondé.
Il fut en effet puissant, lorsque, asservi, il fut visité par le Seigneur, lorsqu’à cause de lui l’Égypte frappée de tant de plaies ; lorsque la lumière demeurant avec lui, il passa trois jours dans les ténèbres sans ressentir l’effet de ces ténèbres ; lorsqu’il quitta Égypte la dépouillant de son argent et de ses ornements ; lorsqu’en fonction des aspect du temps, de jour ou de nuit, ce fut ou bien une nuée ou bien une colonne de feu qui le guidait ; lorsqu’il traversa la Mer Rouge à pieds secs ; lorsqu’il survécut par la nourriture des anges ; lorsque se tournant vers la Montagne de Dieu, il vit la majesté de celui qui en descendait (Moïse) ; lorsqu’il entendit la voix de Celui qui lui parlait depuis le feu ; lorsqu’il renversa par des guerres onéreuses de nombreux règnes ; lorsqu’il vit couler en sens contraire le Jourdain afin qu’il fut sec pour sa traversée ; lorsqu’il eut des prophètes ; lorsqu’il put se servir de prêtres pour être purifié de ses péchés et être racheté en son âme ; lorsqu’il mérita d’obtenir de Royaume. Mais en tout cela, alors qu’il fut puissant, sa puissance fut toujours une occasion de manifester puissamment sa malice, lorsqu’il désira les concombres et les oignons Égypte et manger de la viande ; lorsque, sous l’habitude invétérée de ses vices, il préféra la servitude impie à la pieuse et sainte liberté ; lorsqu’il adora le veau, qu’il maudit Moïse et qu’il exécra Dieu. Il offrit en sacrifice ses propres enfants aux démons, tua ses Prophètes, suspendit à la croix ce Dieu même, son Seigneur, qui pour lui naquit homme, et qu’il livra au Préteur (Ponce Pilate). Ainsi, se glorifiant chaque jour de sa vie de son iniquité - alors qu’il était puissant -, il le demeura, mais pour persister dans une malice exercée avec puissance.

7. Donc, après la plainte concernant ici ce peuple, expression d’une douleur prophétique, une parole se tourne maintenant vers lui : Tu as conçu l’injustice par ta langue (v.4). L’office de la langue humaine c’est, sous l’impulsion de la raison naturelle, de séparer la parole en mots diversifiés par des mouvements différents et en même temps réglés, et par elle (i.e. la raison naturelle) de manifester, par la tonalité confuse d’un esprit, la parole différenciée qui sort impétueusement et conduit à l’intelligence des réalités. Et quel que soit celui de qui procède ce mouvement de la raison pour obtenir cet effet, cette voix elle-même exprimée est plus signifiée cependant à la raison qu’elle ne fait comprendre par le sens de la raison. À la vérité, ce qui manque au sens de l’intelligence manque à l’impulsion rationnelle. Mais quiconque manque d’impulsion rationnelle, manque de pouvoir méditer pour acquérir de la Sagesse (un conseil éclairé). Et comment comprendre avec justesse ce que dit le prophète (le psalmiste) sur la conception d’une langue qui profère l’injustice, lorsque la réflexion produite à partir du sens rationnel d’une âme vivante passe à l’attaque, langue qui n’est pas de nature à s’engager dans cette voie, mais qui fut instituée pour le service d’une nature raisonnable ? Mais le dire de cet homme parfait et l’apport par l’autorité du prophète, un autre prophète le signifie en disant : Le cœur des sots est dans leur bouche (Si 21, 26). Car traitant des choses sous le conseil de leur raison et attachés à une méditation téméraire autant qu’au mouvement d’une langue irréfléchie, ils ne parlent de rien d’autres que de choses fortuites et sans consistance. C’est pourquoi le cœur des sots est dans leur bouche, car ils ne parlent pas de ce qu’ils ont pensé après réflexion, mais ils pensent à ce qu’ils auront exprimé par la parole. Cela est vrai du sot à propos de sa langue. Par contre, nous lisons en ce qui concerne la langue du sage : la bouche de l’homme intelligent médite la sagesse (Ps 36, 30) ; et encore : Ma langue est comme le calame d’un scribe agile en écriture (Ps 44, 1). Car, que la langue de l’homme sensé qui s’exprime à partir de la méditation de la sagesse soit identique au calame d’un scribe qui écrit et ne fait rien qu’il ne compose, rien d’incertain, mais dont les éléments qu’il aura pensés ou le contenu des lectures qu’il aura faites, il se prêtera à les transcrire rapidement en se conformant au conseil éclairé de la raison.

8. Que la langue soit estimée comme devoir être davantage au service d’une raison dont la nature est la réflexion que d’être utilisée pour concevoir l’injustice, il nous est enseigné par les sentiments du devoir que ce second usage n’est pas conforme à la nature de la raison. En effet, un autre texte poursuit en bonne logique : Comme par un rasoir effilé, j’ai accompli la fourberie (d’après Is 7, 20). Le rasoir est aiguisé pour la parure du visage afin de rendre lisse par un rasage la face rugueuse et hirsute. Si cette langue est plus encline à commettre le mal, elle aura assurément montré que, préparée pour le bel accomplissement d’un service, elle s’emploie à blesser. Une telle langue donc, puissante en malice, et prompte à commettre l’iniquité commet l’imposture (cf. v.6) ; c’est-à-dire qu’alors que la nature l’avait préparée à émettre des paroles raisonnables et des pensées accordées à ce que lui conseillait son cœur, elle a bien plutôt produit des pensées irrationnelles et iniques. En effet, ce peuple que l’on doit comprendre comme celui que signifie le nom de Doec, peuple élu pour magnifier le nom de Dieu et préparé pour célébrer les louanges de ce même Dieu, l’a déshonoré, l’a trahi, lui, si grand en lui-même ; il l’a fait mourir par la mort de la croix. Et par le rasoir de sa langue dont il a usé pour crier : Crucifie-le, crucifie-le, il a consommé le crime. C’est pourquoi, comme un rasoir effilé qui agit par ruse, ce peuple accomplit cela en usant de cette langue-là ; et par cette manière d’agir, les gens de ce peuple enseignent la ruse mensongère.

9. Le texte poursuit : Tu as préféré la malice à la bonté, l’injustice à la droiture, en tes paroles (v.5). La faute de l’usage de la ruse mensongère est d’autant plus lourde qu’il a aimé la malice et négligé la bonté, lorqu’il a commis l’iniquité en omettant de proférer la parole de justice.
Cette propension affectée à préférer la malice, le Seigneur la condamne dans les évangiles lorsqu’il dit : Et voici le jugement : la lumière est venue en ce monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière (Jn 3, 19). C’est pourquoi ce peuple pour qui - en vue de la rédemption des péchés -, le Verbe s’est fait chair (cf. Jn 1, 14) et Dieu s’est fait homme, afin que par la justification de la foi le livre de la Loi fut pour le maudit - non pour le juste -, aussi longtemps que par la transgression de la Loi ce peuple préféra servir comme maudit, ce peuple donc livra au supplice celui-là même qui était son Dieu, prenant sur lui son sang (cf. Mt 27, 25), alors que le Préteur (Ponce Pilate) le jugea innocent. Et cette transgression en acte changea l’habitude de la nature (en contre nature) ; il aima mieux en effet la malice que la bonté, et il convertit l’amour du bien en celui de choses détestables ; il préféra aimer l’injustice plutôt que la justice en ses paroles.

10. Selon l’habitude judaïque, la parole prophétique fait autorité par la force même de ces paroles : Tu préfères la méchanceté à la bonté, l’injustice à la droiture, en tes paroles (v. 5). En effet, là où la parole prophétique dit : Tu préfères la méchanceté à la bonté, elle ne condamne rien d’autre, par comparaison, que l’opposé d’un amour. Là où elle dit : L’injustice est préférée à la justice en tes paroles, elle met ici en évidence non pas encore la préférence affective pour un amour de choix, mais la haine même dans l’usage de la parole, disant : l’injustice bien plus que la justice, en tes paroles. En effet, les Juifs peuvent avoir coutume, alors qu’ils n’aimaient pas la bonté, de la simuler cependant en en parlant. Mais, à la vérité, parler de notre Seigneur Jésus-Christ qui selon le bienheureux Apôtre Paul s’est fait pour nous justice, sanctification, rédemption (cf. 1 Co 1, 30), ils ne peuvent d’aucune manière en parler. Ils ne peuvent contenir par une quelconque patience leur parole lorsque l’on montre, à partir des autorités prophétiques, que pour nous il est Dieu Unique Engendré, né avant tous les siècles, qu’en tant qu’homme il a souffert, fut crucifié, est mort. C’est alors, en effet, qu’ils évitent et fuient tout ce discours ; et s’ils ne trouvent de lieu de refuge pour s’éloigner, oppressés de douleur par une sorte de violence tacite, ils obstruent leurs oreilles de leurs mains pour ne pas entendre, de peur que le discours (de la foi) ne pénètre en eux ; ils l’excluent, n’aimant ni la bonté - en en parlant cependant parfois -, ni la justice - parce qu’elle est le Christ, et n’aimant pas en parler.

11. Même si la pause introduite par le diapsalma (fin du v. 5) n’introduit pas un changement de personne [2], cependant il faut comprendre qu’une modification de sens s’est opérée. En effet, bien que la parole (sermo) soit celle de celui dont il est parlé antérieurement et celle à qui et vers qui elle est auparavant adressée, cependant la même parole signifie maintenant autre chose que ce qu’elle signifiait antérieurement. En vérité, les choses qui ont été dites plus haut étaient lourdes de reproche, à tel point qu’elles furent l’expression de la douleur du Prophète (le psalmiste) avant qu’elles ne se fassent entendre sous la forme de violentes invectives lorsque la langue conçoit l’injustice, produit le faux comme un rasoir effilé, lorsqu’est préférée la malice à la bonté et qu’un langage d’injustice prévaut sur celui de la justice. Pour cette raison, il s’agit ici comme d’une accusation du Prophète auprès de Dieu présentée par des motifs argumentés lorsqu’il dit : Pourquoi te glorifier de ta méchanceté tout au long du jour, toi le puissant en iniquité (v.3). Et de peur que la douleur de la plainte apparaisse non fondée, la cause même de cette plainte est maintenant présentée.

12. Maintenant, vraiment, à la faveur de la pause (diapsalma), non que le reproche ait déjà précédé, mais tandis que la très lourde cause du péché a été démontrée, cette sentence de condamnation est alors portée : Tu aimes toutes les paroles destructrices, langue perfide ; c’est pourquoi Dieu te perdra à la fin ; il t’arrachera de ta tente et te jettera dehors ; il extirpera ta racine de la terre des vivants (vv. 6-7). Sentence qui ressemble à ce que nous lisons dans la Genèse sous ces mots : Parce que tu as fait cela, tu es maudit de cette terre (Gn 3, 17), et après, le texte poursuit : Parce que tu as écouté la voix de ta femme ; mais, à partir des considérations de l’Apôtre, alors que la très grave faute de l’impiété humaine ait été commise, il est dit : C’est pourquoi Dieu les a livrés à leur esprit sans jugement (Ro 1, 28). Et encore : Tu as aimé les paroles qui détruisent, langue perverse ; c’est pourquoi Dieu te détruira pour finir (Ps 51, 6-7). L’expression latine (sermo) n’a pas maintenu la force du terme. En effet, ces paroles qui pour nous sont des paroles destructrices, les Grecs les rapportent comme des paroles de ce qui est précipité au fond de la mer ; ce qui indique une précipitation de ce qui est rejeté au fond de la mer. L’expression peut cependant être entendue au sens général, non pas tant comme d’une précipitation dans la mer, mais être compris de tout genre de lieux qui s’écroulent, provenant de hauts lieux ou de temples aussi bien que de cavernes dans le rocher. Donc, selon le sens indiqué de précipitation, le fait que Doec ait aimé plus que tout des paroles de destruction par précipitation, le soumet à une très sévère condamnation.

13. En effet, toute âme infidèle en ce siècle se trouve portée de-ci de-là par le mouvement incertains des vagues comme dans un naufrage en haute mer, et elle dérive sous l’ardeur des cupidités diverses attisées par la puissance diabolique ; habitante abusée du siècle, elle ne se fixe sur aucun point ferme où s’appuyer pour résister au diable duquel lui vient les excitations des mouvements de la cupidité qui la rejettent, indécise et toute désemparée. Que cependant le mouvement de ce siècle et le flux des vagues de la mer soit comparés aux bouillonnements des flots, qu’il soit habité par le diable dominateur, le psaume 103 le montre, selon le sens prophétique et allégorique, sous la signification néanmoins corporelle des créatures : Voici la mer, vaste et spacieuse ; là vivent des reptiles sans nombre, des animaux petits et grands ; là circulent des navires et le dragon que tu formas pour t’en rire (cf. Ps 103, 25-26). C’est pourquoi, pour nous retirer du profond naufrage de ce siècle, le Fils de Dieu-Unique-Engendré, Verbe de Dieu et Dieu-Verbe, descendit le filet de son enseignement, filet auquel le Royaume des cieux est semblable (cf. Mt 13, 47) ; et cette grande quantité de poissons en tout genre sera tirée de ce peuple impie duquel il (le Verbe de Dieu) devra les extraire ; il sera lui-même honoré par ce peuple réformé pour qu’il soit son associé et pour se jouer du dragon qu’il engloutit lui-même ; et, dans cette abîme, il se précipita lui-même d’en-haut vers cette communauté de partage dont il fit le lieu de sa résidence sur la terre. Ainsi, le peuple des Égyptiens, incrédules à Moïse, fut précipité et englouti ; les flots de la mer absorbèrent ces gens impies à cause de leur refus de croire en lui (Moïse), et le flot de la mer refoulée engloutit en lui-même le peuple impie alors qu’il se fit l’amant des paroles destructrices en s’opposant à Dieu.

14. Ainsi donc, parce que le peuple incrédule des Juifs a aimé les « paroles de destruction » disant, en livrant son Roi, : Je n’ai pas d’autre roi que César (cf. Jn 19, 15), niant ainsi le Dieu Roi pour confesser l’homme roi ; il s’engloutit lui-même dans la profondeur de ce siècle ; aussi sera-t-il finalement détruit - en sa (quasi) totalité pour avoir laissé échapper le règne du siècle, la ville étant détruite - ; arraché de sa tente, il dut changer de demeure (v.7), errant alors sur toutes les terres du monde habité, partout comme étranger, pour avoir mit le comble à ses péchés dans la Passion du Seigneur.

15. Parce qu’il a aimé les paroles qui détruisent (v.6), lui fera toujours défaut cette demeure en laquelle le prophète (le psalmiste) fut toujours rempli de l’Esprit de Dieu, en laquelle se manifestèrent les terribles contemplations des saintes Puissances et les visions salutaires, en laquelle se réalisèrent les nécessaires oblations de victimes en vue de la rédemption des âmes ; demeure en laquelle l’agneau de la Pâque, gardien des fidèles pour les protéger du fléau d’Égypte et signe puissant par le sang répandu sur la porte (des demeures des Hébreux) ; demeure en laquelle les festivités temporaires rivalisaient avec celles des temps éternels. C’est pourquoi, arrachés de cette demeure, les voilà privés de ces très dignes témoignages des dons spirituels.

16. Cependant, « arrachés », ils ne le sont certes mais pas de la terre ; seulement du lieu de la demeure et de ce temple dont il fut dit : Je relèverai la tente de David qui est tombée (Am 9, 11). Ce saint Temple, c’est ce corps de Dieu vénérable et né de la Vierge, ce Temple dans lequel celui qui croit, habitera comme associé à la chair du Seigneur. Mais tout infidèle qui s’exclut de cette parenté pour ne pas croire en la réalité de ce corps - c’est-à-dire au Temple de Dieu -, sera arraché et jeté hors de ce Temple spirituel, indigne de cet habitacle. Le Seigneur le fait comprendre lorsqu’il dit : Moi, je suis la vraie vigne, vous êtes les sarments, mon Père est le vigneron. Tout sarment qui ne demeure pas en moi et ne porte pas de fruit, est arraché ; et tout sarment qui demeure en moi, mon Père l’émonde pour qu’il porte davantage de fruit (cf. Jn 15, 1-2). Si donc ceux qui par la foi ont mérité de demeurer incorporés à Dieu, assumés qu’ils sont en leur nature même par Dieu, ceux-là sont émondés pour porter comme venant de Dieu des fruits éternels ; car il est nécessaire que le sarment de la vraie vigne s’attache à la nature (divine) en demeurant intimement branché sur la vigne.Mais quant à celui qui aura été incrédule - quoique né dans le corps de Dieu -, ou si, en croyant, il s’y maintient alors que lui manquent les fruits que produit la foi, il sera retranché, soit à cause de son infidélité, soit à cause de l’inutilité des fruits récoltés par les négateurs de la foi. En effet, né de la Vierge, le Fils de Dieu, non pas à ce moment-là pour la première fois Fils de Dieu comme fils d’homme, mais qui plus est fils d’homme dans le Fils de Dieu, assuma en lui-même la nature de toute chair par laquelle la vraie vigne tient attaché en elle la lignée accomplie de tout sarment, afin que Fils de Dieu il soit aussi fils d’homme. Si donc il se trouve quelque sarment infidèle ou infructueux, il se montre lui-même par cette nature qui devra être arrachée comme demeurant, certes, sur la vigne, mais par son infidélité et son inutilité, il sera néanmoins retranché. Donc, de cette demeure, comme de la vraie vigne, ce Doec impie sera arraché et jeté dehors, lui qui par nature y demeurait attaché, mais qui, par son infidélité, s’est rendu digne d’en être retranché de force.

17. Arraché de la Tente, il sera aussi retranché de la terre des vivants (v.7). Celui qui, en effet, ne demeure pas dans le Christ, ne résidera pas non plus dans le Royaume du Christ ; il ne le sera pas cependant sans qu’il ne lui soit découvert à lui-même qu’il en fut l’habitant - il est en effet évident pour tous qu’ils se savent associés au corps de Dieu et à son Règne parce que le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous, c’est à dire qu’il a assumé en lui-même la nature de tout le genre humain - ; mais chacun montre, par son propre mérite, s’il s’est, oui ou non, éloigné quelquefois, tout en étant résident à l’intérieur de la Tente, et que, pour cette raison, il ne doive pas être arraché de la demeure et extirpé de la terre des vivants puisque, par l’assomption de sa nature, il a certes été reçu comme « résident », mais en a été arraché à cause de son péché d’infidélité se constituant ainsi indigne d’une telle participation. Il est donc extirpé de la terre des vivants, terre qui a été préparée dans un heureux pays pour les saints associés du Seigneur, pour régner avec lui. Il le rappelle lui-même dans l’Évangile, disant : Heureux les doux, car ils auront la terre en héritage (Mt 5, 4) ; et le prophète (le psalmiste) s’exprime de la même façon ici : Et je veux plaire au Seigneur sur la terre des vivants (Ps 114, 9) ; terre de laquelle le peuple traditeur mérite d’être extirpé, pour être finalement détruit, arraché de la demeure, jeté dehors et déraciné (v. 7).

18. Mais si cette terre est dite terre des vivants, c’est que tout fidèle dans le Seigneur, fût-il mort, vit cependant en Dieu, comme il est dit : Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob (cf. Ex 3, 6). Il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants (Mt 22, 32). Et de même à travers les Bénédictions de Moïse : Que vive Ruben, qu’il ne meure pas ! (Dt 33, 6). Et cela : Qu’Ismaël vive devant ta face ! (Gn 17, 18) ; et cela se retrouve chez l’Apôtre - si du moins nous le lisons ainsi, puisque cela peut être compris d’une double façon - : Et nous qui vivons, qui serons encore là, nous serons ravis dans les airs sur les nuées au-devant du Christ, et ainsi nous serons avec le Seigneur pour toujours (1 Th 4, 16). L’interruption de la vie des corps confère certes aux morts un déclin temporaire, mais la loi qui implique de mourir ne fait pas opposition à la loi de devoir ressusciter, car la loi de Celui qui décide de la loi n’apporte pas de contrainte, et Dieu, de lui-même, ne supprime pas plus le droit de vivifier qu’il ne décrète pour nous la loi qui nous contraint à mourir. Mais n’est légitime que la mort en ceux-là seulement en qui elle est décrétée. Cependant, tous vivent pour Dieu (cf. Ro 6, 10 ; 14, 8 ; 2 Co 5, 15), ceux-là mêmes qui sont morts en raison d’une loi qui vient de Lui. Et la mort, qui ne peut s’établir sinon par une loi venant du Législateur, ne peut par elle-même tirer parti de ce fait pour renforcer son pouvoir de loi pour qu’elle ne soit pas transformée en une loi de vie par Celui qui décrète la loi d’une vie rénovée, alors qu’au commencement en Adam, la puissance du Législateur avait changé en loi de mort la vie solidement établie sous la clause d’un décret de loi. C’est pourquoi les saints et les fidèles vivent pour Dieu. En effet, lorsque Dieu lui-même se dit le Dieu de ceux qui sont morts, c’est-à-dire d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, il est aussitôt affirmé qu’il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants ; et il enseigne par là que ceux qui, au jugement d’une opinion humaine, sont estimés être morts, pour Celui qui a décrété la loi, ce ne sont pas des morts mais des vivants.

19. Même si l’interposition d’une pause (diapsalma ; cf. § 11 et Instructio Psalmorum § 23) n’appelle pas nécessairement une innovation au plan des personnes concernées, elle appelle cependant une nouveauté au plan du sens. En effet, après qu’aie été prononcée la condamnation de Doec auquel la parole fut adressée comme s’il avait été effectivement présent, c’est à la signification d’un autre exposé que maintenant le Prophète (le psalmiste) se reporte : Les justes verront, et ils seront saisis de crainte ; ils se riront de lui et diront : ’voici l’homme qui n’a pas remis à Dieu sa demande de secours, mais qui a mis son espoir dans l’abondance de ses richesses, et s’est prévalu de ses vanités’ (vv.8-9). Doec ayant été finalement détruit, arraché de sa demeure, jeté dehors, et éradiqué de la terre des vivants (cf. v. 7), il est nécessaire que les saints (les croyants chrétiens) soient saisis de crainte à la vue d’un peuple secouru par tant d’aides émanées de la divine miséricorde, considérant l’usage qu’il a fait de cette immense miséricorde à lui prodiguée, et, l’ayant reçue, ayant été gratifié, par-delà les richesses humaines, la plus grande dignité d’un glorieux Règne, et qui néanmoins a donné le pire exemple des désastres humains. En effet, qui, de mémoire d’homme, ferait le compte des innombrables et très anciennes béatitudes de la gloire de ce peuple, béatitudes dont nous avons fait partiellement mémoire plus haut (et dont nous retraçons l’histoire) : lorsque, après avoir dépouillé les Égyptiens, il échappa à leur poursuite, la mer s’étant séparée en deux (cf. Ex 14, 21) ; lorsque la colonne de feu écarta les ténèbres nocturnes ; lorsque la colonne de nuées le protégea de la chaleur du jour, lorsqu’il reçut, par le ministère des anges, la nourriture du ciel (cf. Ex 14, 24) ; lorsque la source d’eau jaillit du rocher, lorsque le Jourdain coula en sens contraire (cf. Jos 3, 17) ; lorsque ce peuple détruisit une grande cité (Jéricho) du seul fait du circuit de l’arche du témoignage autour de la ville (cf. Jos 6, 20) ; lorsque le soleil, écarté momentanément de son cours, retarda la durée du jour, et que, l’ordonnancement de la loi divine, inlassable et imperturbable dans la gestion du mouvement des éléments (célestes), restitua le cours du temps pour la durée du combat (cf. Jos 10, 13) ; ensuite, après cette expérience de familiarité avec la divine majesté, entretenue par l’écoute de paroles et de visions, il utilisa tout cela au profit de combats guerriers, mourant de faim - tandis qu’avant d’en arriver là ils (les membres de ce peuple) se nourrissaient de cadavres pour finalement mourir effectivement affamés ; ils furent réduits ensuite en servitude, partout contraints à l’exil, partout méprisables, jamais appréciés, toujours insolites et étrangers, par l’instabilité toujours ignobles, toujours se différenciant des autres ; et désormais, pour qui élève un regard spirituel, ils sont bien ceux dont le Seigneur dit : Levez vos yeux et regardez les champs ; ils sont blancs pour la moisson (Jn 4, 35), puisqu’il sait, lui le Seigneur, qu’ils sont arrachés du corps de Dieu, mis à l’écart du Règne de la béatitude, écartés de cet honneur de la résurrection, privés de l’Esprit de Dieu, sans connaissance ni compréhension de la prophétie, faits pour nourrir la géhenne qu’un ver immortel ne cesse de ronger (cf. Is 51, 8), proie d’un feu inextinguible, eux dont le Seigneur connaît la législation, les alliances, les pères desquels le Christ est né selon la chair, lui qui est Dieu au-dessus de tout (cf. Ro 9, 4-5). Les saints considèrent donc avec crainte la somme de calamités dans le temps et l’éternité auxquelles toutes ces perversions ont abouti ; ils perçoivent que de la punition des châtiés - qui doit servir d’exemple -, se trouve offert un terrible sujet de contemplation !
Donc, les justes verront et seront saisis de crainte (v. 8), comprenant qu’ils n’ont rien à craindre pour eux-mêmes dans cette si grande calamité dont ce peuple est l’objet, mais, bien qu’ils craignent en vertu de la leçon donnée, parce qu’ils sont « justifiés » (quia iusti sunt), ils se réjouissent cependant du fruit de leur propre justification. En effet, ils riront de lui, riant donc ainsi et craignant également, car ils sont soumis à Dieu, terrible par la sévérité dont il use envers les châtiés. Donc Dieu tempère crainte et rire, et tandis que la crainte procède de la leçon donnée, le rire procède du mérite. Il a, par contre, fixé la crainte comme une mesure au rire ; ainsi, pendant qu’ils se réjouissent dans de bonnes choses, de peur que l’effroi ne manque à la leçon du fait que, de soi, l’effroi est pour la conscience impie qui se défie, et que c’est le propre de la nature insolente de craindre sans joie et de se réjouir sans craindre.

20. Mais ceux qui craignent riront, et ils ajouteront cela à ce rire modulé par la crainte, pour dire : Voici l’homme qui n’a pas placé en Dieu son secours (v. 9). C’est d’une extrême et sotte impiété que de ne pas savoir apprécier vivre sous le regard de Dieu et vivre de Dieu, pour vivre des biens que l’on gère et attendre davantage en se confiant à son propre pouvoir, comme si ce qui vient de Dieu nous appartenait.
C’est pourquoi toute notre espérance est tournée vers Dieu, et toute confession se situe en Dieu, à l’exemple du Prophète (le psalmiste) disant : Seigneur, mon secours et mon sauveur (Ps 18, 15) ; et encore : J’ai les yeux levés vers les montagnes, d’où le secours me viendra-t-il ? Mon secours est dans le Seigneur qui a fait le ciel et la terre (Ps 120, 1-2).
En conséquence, nous craignons toujours de peur que ne nous brûle le feu éternel et que ne nous détruise le ver immortel (cf. Mc 9, 43-44), alors que nous entendons dire que les justes craignent et rient tout à la fois, et qu’ils disent : Voici l’homme qui n’a pas mis son secours en Dieu, mais a placé sa confiance dans l’abondance de ses richesses (v. 9).

21. L’opulence fait que les riches sont arrogants et que la vaine confiance mise dans les richesses détourne beaucoup de la crainte de Dieu, insensés qu’ils sont en ne comprenant pas, qu’en tant que riches, il leur faut être plus religieux parce qu’il convient de rendre grâce au Dispensateur des biens désirables pour soi, et cela d’autant plus qu’est inexcusable le péché d’avarice, car l’opulence ne justifie pas l’attachement à l’argent. Dès lors, comme elle est vraiment malheureuse la vaine confiance mise en une réalité créée : mépriser Dieu en possédant de l’or, comme si l’or n’était pas une créature de Dieu, ou quelque chose par quoi on acquiert, au jugement d’un esprit sain, un surcroît de vie bienheureuse ; que la galerie de mine vous apporte de l’or, et, de ce fait, l’homme ne se considère plus comme un être composé d’âme et de corps, mais autre que ce qu’il est par naissance. Pourtant, lorsque la vie s’en va, son or lui servirait-il encore dans la mort ! Certainement qu’il servira si celui qui meurt en a fait un bon usage au cours de sa vie, si de son pain il a nourri l’indigent, s’il a recouvert du tissu de son manteau celui qui aura été nu, ou réchauffer à ses frais celui qui aura été malade, ou rendre à sa liberté le captif. Ces choses-là sont certainement de magnifiques députations du trésor humain auprès de Dieu, une puissance d’imploration pour les fautes commises et de véritables suffrages. C’est ainsi que nous nous sommes transformés par l’or : de terrestre, nous devenons célestes, de mortels nous devenons éternels. Le peuple infidèle ne pense pas à ces choses- là, méprisant les commandements de Dieu, estimant que par la Loi - qui n’est que l’ombre des biens futurs (cf. Ro 5, 14) - ; il se trouve être riche, mais ayant mal usé des richesses acquises, il s’est vu extirpé de la terre des vivants, arraché de la demeure et jeté dehors (v. 7) ; cela pour s’être cru puissant dans l’usage de vanités, à savoir la gloire de son règne, par l’or de son Temple, dans l’accomplissement de préceptes humains, comme le dit le Prophète : Vain est le culte qu’ils me rendent ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes humains (Is 29, 13 ; cf. Mt 15, 9), la Loi de Dieu étant changée en une observance outrageante de coutumes humaines.

22. Le Prophète (le psalmiste) - qu’il convient de justement comprendre - parle cependant autrement de sa confiance dans l’espérance : Mais moi, comme un olivier chargé de fruits dans la Maison de Dieu, j’ai mis mon espérance dans la miséricorde de Dieu pour l’éternité, et dans tous les siècles des siècles (v. 10). A vrai dire, l’âge de l’homme se modifie selon le temps, mais l’esprit de prophétie demeure le même. Le Prophète dit demeurer dans la Maison de Dieu comme un olivier chargé de fruits, arbre toujours vert et porteur du meilleur fruit. L’Apôtre annonce à l’avance au sujet de cette huile, par suite de l’infidélité des rameaux brisés, que les fidèles venant du paganisme et tirés du sauvageon d’olivier, seront greffés, afin que, contrairement à la nature de leur race, ils reçoivent la nature même des racines. Mais le Prophète, tout en demeurant dans la Loi, prophète évangélique cependant dans la Loi et dans les évangiles, continue d’être avec son fruit dans la Maison de Dieu, sans qu’il ait à briser ses rameaux, ni qu’il doive se séparer du tronc, ni qu’il lui soit désormais inutile d’être lui-même inséré pour devoir offrir son huile, ni de transférer la puissance de ses racines sur un arbre étranger ; mais il demeure totalement intact afin d’être le prédicateur de la foi apostolique, non pas sorti des païens pour être inséré sur la racine de la Loi en vue de la foi évangélique, mais se trouvant dans la foi évangélique des gentils, étant lui-même totalement porteur de fruit, grâce à la puissance de sa propre racine et de ses rameaux, une fois sorti d’une conscience empâtée dans la Loi.
Et Église, selon l’Apôtre Pierre, est cette Maison de Dieu avec tous les sectateurs de la foi évangélique, comme il le dit : Prêtez-vous à l’édification d’une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint (1 Pi 2, 5). Et Paul dira à Timothée : Il faut que tu saches comment te comporter dans la Maison de Dieu - à savoir l’édifice du Dieu vivant - , colonne et support de la vérité (1 Tm 3, 15). Donc, le juste et saint Prophète se tient dans cette Maison de Dieu, comme un olivier chargé de fruits qui, usant de sa propre fécondité par son attachement à la fructueuse et huileuse racine ; il a mis son espérance dans la miséricorde de Dieu non pour un temps, non pas seulement pour le temps bref d’une vie passée dans ce corps, mais pour tous les siècles des siècles (v. 10).
En effet, son espérance s’étend à l’âge infini de l’éternité qui ne s’interrompt pas avec la mort, en vertu de quoi il se sait être vivant à l’exemple du pauvre Lazare dans le sein d’Abraham ; il se sait aussi, par la mutation de la glorieuse résurrection, être coéternel et demeurer conforme à Dieu, cet état de maintenance étant assuré par ce qui suit : Je te confesserai éternellement pour ce que tu as fait, et j’espèrerai en ton Nom, car, devant ta face, les saints en connaissent la Bonté (v. 11).

23. L’espérance en la miséricorde de Dieu est pour les siècles et les siècles des siècles. Non que suffisent les œuvres mêmes de la justice pour mériter la parfaite béatitude, à moins que, pour s’en tenir à cette volonté de justice, la miséricorde même de Dieu ne tienne plus compte des vices, des perversions humaines et des mouvements passionnels. D’où ce que dit le Prophète : Ta miséricorde est meilleure que la vie (Ps 62, 4), parce que, quelque digne d’approbation que soit la vie des justes, par l’œuvre de justice accomplie, il s’en suit cependant un plus grand mérite du seul fait de la miséricorde de Dieu - efficacement salutaire en effet depuis cette vie jusque dans la vie éternelle -, du fait que la miséricorde de Dieu donne comme en cadeau l’œuvre de justice accomplie, de telle sorte qu’il accorde à celui qui est pauvre d’œuvre de justice d’être juste et de le rendre aussi participant de sa volonté d’éternité (c’est-à-dire de son amour éternel). Pour cette raison l’espérance de la miséricorde est pour les siècles des siècles, mais la confession (des péchés) est seulement pour le siècle, pas encore pour les siècles des siècles. En effet, la confession des péchés n’est que pour ce temps du siècle présent, pendant que chacun peut encore y disposer sa volonté et, par le pouvoir d’agir librement dans le sens de la vie, d’accéder au jugement de la confession. Car, nous retirant de la vie, nous nous retirons en même temps du droit d’user de notre libre capacité d’aimer. Alors, à partir du mérite de nos actions volontaires passées, la loi maintenant établie reçoit notre désir d’aimer encore grevé des surcroîts ou de répit ou de peine provenant du corps (et de ses pulsions). Le Prophète montre que la libre volonté d’aimer n’est pas encore libérée de ce temps mais toujours conditionnée, lorsqu’il dit : Je ne prends pas en ces jours-ci mon libre plaisir (Mal 1, 10). En effet, la volonté de l’acte libre faisant défaut, cesse même - si tant est que cela soit possible - le pouvoir effectif de la volonté libre. Car partir pour tomber dans le chaos ne pouvait être accepté pour Abraham qui désirait s’enrichir, lorsque néanmoins, par la liberté de sa capacité d’aimer, cela put se réaliser au creux de la tendresse même d’Abraham. Elle est donc verrouillée la liberté de notre capacité d’aimer, parce qu’il n’y a nulle confession de louange possible pour des morts, selon ce qui est dit au Ps 6 : Au séjour des morts (in inferno) qui Te louerait, Seigneur ? (cf. Ps 6, 6). Espérant donc la miséricorde dans le siècle et pour les siècles des siècles, le psalmiste confesse seulement dans le siècle, gérant dans le temps du siècle les devoirs temporaires de la confession, étendant néanmoins à l’éternité l’espérance éternelle des siècles. . Cependant il ajoute en nommant la cause de la confession : Pour ce que Tu as fait (v. 11a), à savoir que le Seigneur est confessé comme étant l’Auteur de cet univers (qui est le nôtre), n’enseignant qu’à nul autre ne doit s’adresser la confession sinon à celui qui fait que l’olivier porte ses fruits, à celui dont la miséricorde porte à l’espérance pour les siècles des siècles.

24. Qu’il en soit ainsi pour ce témoin, celui-ci le montre en disant : Et j’attendrai dans l’espérance ton Nom, car tes saints en connaissent la Bonté (v. 11bc). Il attendra donc le Nom de Dieu, il le confessera comme Celui par qui sont toutes choses. En effet, il y a un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et en qui nous sommes ; et un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes (1 Co 8, 6). De lui donc, il attend le Nom, à savoir de voir Jésus, c’est-à-dire de connaître son Sauveur, selon le dire de l’Ange : Tu l’appelleras du nom de Jésus, car c’est lui, en effet, qui sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1, 21). Il attend de voir le Christ afin d’être un chrétien appartenant à cette féconde famille par profession. Et ce Nom est Bon, ce Nom que les Archanges et les Anges adorent, que craignent les démons et qu’ils ne peuvent cependant pas porter, que les hommes adoptent pour leur salut, car il est écrit : Et tout homme qui invoquera mon Nom sera sauvé (Ro 10, 13). Mais il l’attend, non pas de manière cachée, non pas dans l’agitation, non pas isolé, mais sous le regard de ses saints, c’est-à-dire d’une foi libre, ne repoussant pas le témoignage de son attente sous la conviction de l’assistance des saints du ciel, et, à l’exemple du Prophète, pour tous les sanctifiés qui sont sur la terre, recevant en lui-même l’exemplaire original de son attente.

[1Hébreu Do’èk = oppresseur

[2Voir l’Instructio psalmorum, § 23, supra

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