Littérature chrétienne du IIIe s. (II) : Hippolyte de Rome

Cours de patrologie de soeur Gabriel Peters o.s.b.
Vendredi 27 août 2010

Vous trouverez ici le chapitre sur Hippolyte de Rome publié dans le manuel de patrologie de Soeur Gabriel Peters.

I. Notice bibliographique

II. Œuvres
- 1. Les Philosophoumena
- 2. L’Antéchrist
- 3. Traités exégétiques
- 4. Homélies
- 5. La Chronique
- 6. La tradition apostolique

III. Notes sur la théologie d’Hippolyte
- 1. La christologie
- 2. La sotériologie
- 3. L’ecclésiologie
- 4. La rémission des péchés

Conclusion : Un disciple d’Irénée, érudit et fécond, assez semblable à Tertullien, mais moins original et puissant

Appendice : quelques textes

« Je l’ai saisi et je ne le laisserai plus échapper » (Ct 3, 4). Ô bienheureuse femme qui s’est jetée aux pieds du Christ pour être emportée avec lui dans le ciel. C’est là ce que disent Marthe et Marie : « Nous ne te laissons pas échapper ». Monte vers le Père et présente la nouvelle offrande. Offre Ève qui désormais ne s’est plus égarée mais s’est saisie passionnément avec la main de l’arbre de vie. Ne me laisse plus sur la terre pour que je ne m’y égare plus, mais emporte-moi dans le ciel. Ô sainte femme qui ne voulait plus être séparée du Christ.

Commentaire sur le Cantique, 25

I - NOTICE BIOGRAPHIQUE

Hippolyte de Rome est contemporain d’Origène qui l’entendit prêcher à Rome en 212. Il est grec d’expression et de pensée, peut-être est-il d’origine orientale. Il se déclare lui-même disciple d’Irénée.
Son œuvre est aussi étendue que celle d’Origène, mais beaucoup moins profonde et d’orientation plus pratique.
Sa carrière ? Prêtre, antipape, martyr.
Hippolyte s’opposa au pape Calliste qui adoucit la discipline pénitentielle et il persévéra dans son opposition sous les deux papes suivants : Urbain et Pontien. Exilés l’un et l’autre en Sardaigne, le pape Pontien et Hippolyte s’y réconcilièrent.

II - ŒUVRES

Sur la célèbre statue d’Hippolyte (IIIe s. ?) découverte en 1551 se trouve gravée la liste de ses œuvres et son calcul de la date de Pâques (de 222 à 233). Une controverse oppose ceux qui disent que ces œuvres sont celles de deux auteurs différents (Hippolyte et Josipe : avis de P. Nautin) et ceux qui affirment qu’elles relèvent toutes de la main d’Hippolyte. Parmi les nombreuses œuvres d’Hippolyte, citons :

1. Les Philosophoumena

C’est l’œuvre principale (10 livres) d’Hippolyte qui y réfute, en dépendance d’Irénée, toutes les hérésies de son temps. Il joint à cette réfutation une médiocre histoire de la philosophie grecque.

2. L’Antéchrist

Cette œuvre est l’étude la plus étendue sur la question dans la littérature patristique. La fin du monde n’est pas imminente, dit l’auteur.

3. Traités exégétiques

Commentaire sur Daniel

Ce commentaire serait le plus ancien traité d’exégèse connu de l’Église chrétienne. La chaste Suzanne est la préfiguration de l’Église, l’épouse immaculée du Christ, persécutée par deux peuples : les Juifs et les païens.
Pour la première fois dans la littérature patristique, nous voyons apparaître les dates du 25 décembre (un mercredi - 42e année de l’empereur Auguste) et du 25 avril pour désigner le jour de la naissance et de la mort du Christ.
Ce passage semble être une interpolation, très ancienne cependant.

Commentaire sur le Cantique des Cantiques

Il s’agit d’homélies prononcées, semble-t-il. L’interprétation du Cantique est allégorique. L’Epoux est le Christ et l’Épouse est l’Église ou l’âme individuelle. S. Ambroise s’inspire de ce traité dans son commentaire du psaume 118.

4. Homélies

Sur la Pâque

Nous n’avons plus cette œuvre, mais nous avons une homélie postérieure qui copie certainement celle d’Hippolyte. Elle consiste en une typologie - phrase par phrase - d’Exode 12, 1-14 et 43-49. Le plan divin du salut y est triomphalement proclamé, la victorieuse descente aux enfers y est évoquée.

Contre les Juifs

5. La Chronique

La Chronique a comme but de retracer l’Histoire du monde ! Il doit durer 6.000 ans, il compte 5.738 ans et la fin en est donc très éloignée !

6. La Tradition apostolique

Après la Didachè, c’est la plus ancienne et la plus importante des Constitutions ecclésiastiques. Elle donne le rituel de l’ordination, de l’Eucharistie, du baptême. Elle sert de base à l’histoire de la liturgie romaine et elle est pour nous la source la plus riche pour la connaissance de la vie de l’Église durant les trois premiers siècles.
Elle date de 215.
Tombée très tôt en oubli en Occident, l’œuvre joua un rôle très important dans la formation de la liturgie des Églises d’Orient.
On notera qu’Hippolyte fixe par écrit les traditions liturgiques pour réagir contre des innovations. Les usages liturgiques mentionnés remontent donc sans doute au IIe siècle.
Le Canon (Prière eucharistique) de S. Hippolyte est le plus ancien que nous connaissions. La deuxième prière eucharistique de la liturgie actuelle en est directement inspirée.
Au temps de S. Justin, l’improvisation était de règle.

Voici le plan de la Tradition apostolique
I Prologue
- Règles concernant le clergé
• pour l’élection et la consécration d’un évêque
• pour la liturgie eucharistique
• pour diverses bénédictions
• pour l’ordination des prêtres, des diacres.
- Notes sur les confesseurs, les veuves, les vierges, etc…
II Règlements concernant les laïcs : métiers, etc…
• le baptême (formule du Symbole),
• la consignation (confirmation),
• la sainte oblation (communion).
On a reconnu les sacrements de l’initiation chrétienne.
III Diverses observances de l’Église
• La fraction du pain,
• l’agape,
• le jeûne,
• les heures de la prière, etc…

NOTES SUR LA THÉOLOGIE D’HIPPOLYTE

1. La christologie

Sa christologie est défectueuse, très entachée de subordinatianisme.

2. La sotériologie

Sa doctrine de la rédemption - sotériologie - est en dépendance directe de celle de saint Irénée : thème de la récapitulation dans le Christ et de la déification de l’humanité.

3. L’ecclésiologie

L’ecclésiologie d’Hippolyte rappelle, sous l’aspect hiérarchique, celle de saint Irénée : la succession apostolique est garante de la vérité de son enseignement. L’Église est la fiancée et l’Epouse du Christ. Fait surprenant, jamais Hippolyte ne lui donne le titre de Mère.
Sous l’aspect spirituel, l’Église est - pour Hippolyte - « la société des saints qui vivent dans la justice » (Comm. sur Daniel 1, 17). Hippolyte en exclut les pécheurs, même repentants. Hippolyte, qui s’oppose au pape, « l’imposteur Calliste » qui pardonne les péchés, est un rigoriste.

4. La rémission des péchés

Hippolyte accuse en termes passionnés le pape légitime Calliste d’ouvrir son « école » à tous, même aux plus grands pécheurs .
Il lui reproche d’invoquer pour se justifier la parabole de l’ivraie.
Hippolyte a toujours reconnu, cependant, à l’Église « le pouvoir de remettre les péchés » (Trad. apost. 3), mais il s’insurge avec la dernière violence contre le prétendu laxisme du pape Calliste.

CONCLUSION

Parce qu’il veut lutter contre toute hérésie, Hippolyte se présente lui-même comme le disciple d’Irénée, mais il n’en a ni l’équilibre ni l’esprit de synthèse. Son œuvre en grande partie perdue est d’une étendue prodigieuse, comparable à celle des œuvres d’Origène dont il n’a certes pas le génie ni la valeur spirituelle.
Il faut souligner qu’avec Hippolyte la typologie inaugurée par l’Ecriture elle-même, et mise en valeur par saint Justin déjà, atteint sa « promotion décisive » : l’Ancien Testament est une Ecriture chrétienne et c’est en ce sens qu’elle est expliquée à la communauté, les réalités de l’Ancien et du Nouveau Testament se correspondent.
Une préoccupation constante parcourt l’œuvre d’Hippolyte, c’est celle de la communauté chrétienne contemporaine : la date de la fin du monde. Les montanistes avaient alerté les esprits en annonçant une venue imminente du Paraclet et la crainte règne : la Parousie ne serait-elle pas proche ? Où est le temps où les chrétiens voulaient hâter de leurs prières cette venue attendue avec amour et espoir ? Le « Maran Atha » de saint Paul et de l’Apocalypse repris par l’auteur de la Didachè s’est tu :

Tu ne comprends pas qu’en cherchant la date de la parousie, tu t’exposes au danger puisque tu désires voir arriver le jugement.

Comm. Daniel, IV, 21

Nous devons au traditionalisme d’Hippolyte d’avoir conservé dans la Tradition apostolique des sources liturgiques de grande valeur.

Une comparaison s’impose : le savant prêtre Hippolyte qui écrit à Rome est assez semblable au savant rhéteur d’Afrique qui à Carthage écrit en latin : même vaste et brillante érudition, même rigorisme, même intransigeance passionnée qui conduisit les deux écrivains au schisme. Mais cette comparaison même fait ressortir toute la différence : on peut et on doit parler du génie de Tertullien dont la pensée théologique est puissante. Hippolyte, malgré ses mérites, manque d’envergure et son érudition est assez superficielle et mal assimilée.

APPENDICE

Nous voulons d’abord illustrer la typologie d’Hippolyte. Voici d’abord dans le commentaire sur Daniel la chaste Suzanne, nouvelle Eve et image de l’Église :

Quand l’Église désire recevoir le bain spirituel, deux servantes doivent de toute nécessité l’accompagner car c’est par la foi au Christ et par l’amour de Dieu que l’Église la pénitente, reçoit le bain.

Comm. Daniel, 1, 16

Comme jadis dans le Paradis, le diable s’était dissimulé sous la forme du serpent, de même il s’était caché dans les vieillards pour perdre Eve une seconde fois.

Comm. Daniel, 1, 18

Nous trouvons dans une homélie sur David et Goliath cette sorte de définition de la typologie qui dit clairement que le Nouveau Testament est l’accomplissement de l’Ancien :

Ce qui est arrivé n’est rien d’autre que ce qui avait été préfiguré.

David et Goliath, 3

Le véritable David c’est le Christ :

Le véritable David est venu. Il a détruit la mort, comme on détruit un lion, et libéré le monde du péché comme d’un ours, il a chassé le loup, le séducteur, il a écrasé avec le bois (de la croix) la tête du serpent (Goliath), il a sauvé Adam du plus profond de l’Hadès comme une brebis de la mort.

David et Goliath, 2

Au commentaire sur le Cantique, nous trouvons cette belle image qui se trouve aussi chez Origène et sera reprise par Grégoire de Nysse :

Le parfum répandu c’est le Logos (le Verbe) envoyé par le Père pour répandre la joie dans le monde et en descendant, il remplit tout.

Comm. Cant., II, 6

La chair du Christ est la Jérusalem nouvelle, la Cité de Dieu :

Les gardes m’ont trouvée, ceux qui gardaient la ville : qui sont ceux qui l’ont trouvée sinon les anges assis près du tombeau ? Et cette ville qu’ils gardaient n’était-ce pas la Jérusalem nouvelle de la chair du Christ ?

Comm. Cant. XXIV.

Et voici toute une imagerie populaire :

L’Église comme un navire en pleine mer est secouée mais ne sombre pas. Le Christ est son pilote, la Croix est son mât, les deux gouvernails sont les deux Testaments… et les marins se tiennent à bâbord et à tribord, ce sont les anges qui montent la garde !

Antéchrist, 59

Le repas messianique, image de l’Eucharistie :

Quand la Sagesse de Dieu s’écrie : « Venez, mangez mon pain, buvez le vin que je vous ai préparé », elle ne désigne rien d’autre que la chair divine du Sauveur et son sang précieux qu’il nous donne à manger et à boire pour la rémission de nos péchés.

In Prov., 9

Nous citons un dernier texte dans le but de marquer combien le thème de la déification constant chez les Pères grecs (déification de l’homme par l’incarnation du Verbe) est déjà présent chez Hippolyte :

C’est en croyant au Dieu véritable que tu pourras éviter les peines de l’enfer, que tu auras part à l’immortalité, qu’au royaume des cieux, tu deviendras le compagnon de Dieu et le cohéritier du Christ. Affranchi des passions, des souffrances, de tous les maux, te voilà déifié. C’est le Christ, Dieu parfait, qui a décidé de laver le péché des hommes, de rénover pleinement l’homme ancien ; ayant imité la bonté de celui qui est bon, tu lui deviendras semblable et tu seras honoré par lui, car Dieu ne s’appauvrit pas en te faisant Dieu pour sa gloire.

Vers la fin desPhilosophoumena.

Source :

Soeur Gabriel Peters, Lire les Pères de l’Église. Cours de patrologie, DDB, 1981.
Avec l’aimable autorisation des Éditions Migne.

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