Théodore de Mopsueste : Explication du symbole de foi (V)

Vendredi 9 janvier 2009 — Dernier ajout mercredi 28 avril 2010

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Les Homélies catéchétiques de Théodore de Mopsueste furent découvertes en 1932 dans un manuscrit syriaque. Elles sont au nombre de seize. Les dix premières commentent la profession de foi, les autres expliquent le Notre Père, la liturgie baptismale et l’eucharistie.

Homélie 5. Les explications relatives à la nature divine du Fils brièvement rappelées (§ 1), l’orateur aborde l’article de la profession baptismale qui concerne son Incarnation (§ 2). À cause de nous, hommes, et à cause de notre salut (§ 3), il descendit du ciel ; comment il faut comprendre cette descente de Dieu (§ 4) : économie de l’humanité du Christ, appropriation par le Verbe de tout ce qui appartient à la nature humaine, action de sa puissance sur le corps dont il fit son temple (§ 5-6). Il s’est incarné et devint homme, non pas apparence d’homme, mais homme parfait, doué d’un corps semblable au nôtre (§ 7-8), d’une âme intelligente et connaissante (§ 9) ; cette âme devait être ainsi complète de toutes ses facultés pour que s’accomplit l’œuvre rédemptrice (§ 10-17), contre elle le Prince du monde ne put rien entreprendre (§ 18) ; le triomphe du Christ gage de notre espérance d’immortalité (§ 19-21).

Cinquième homélie sur la foi

1. Je sais que vous vous souvenez de ce que nous avons dit à Votre Charité de la divinité du (Fils) Unique, et comment nos pères bienheureux, après leur enseignement sur le Père, abordèrent aussi les paroles dites du Fils dans les Livres Saints et proposèrent ensemble la divinité du Fils et la forme d’homme qu’il prit pour notre salut. Ils estimèrent en effet qu’il ne leur convenait pas de passer sous silence la nature humaine dont il se revêtit, puisque c’est par elle que nous reçûmes connaissance de la nature divine du (Fils) Unique.Après avoir dit en effet « en un seul Seigneur Jésus-Christ », pour nous faire connaître la nature divine et la nature humaine, ils ajoutèrent « le Fils et l’Unique, premier-né de toutes les créatures » et de nouveau ils nous prêchèrent la nature divine et la forme d’homme qui fut assumée pour notre salut. Afin de nous enseigner toute chose peu à peu avec précision - d’abord sur la divinité du (Fils) Unique et la manière dont nous croyons qu’elle est -, ils nous transmirent (la tradition) en disant : Le Fils Unique qui est de la nature du Père et n’est pas fils par un nom d’emprunt, comme le reste des hommes qui le sont par grâce et non par nature ; mais lui (issu) du Père, il est Fils véritable. À cause de cela, il est aussi l’Unique, car c’est lui seul qui est né de la nature de son Père. Ce n’est pas ensuite qu’il devint ni qu’il reçut le nom de Fils ; mais dès le commencement, avant tous les siècles (issu) de son Père, de (toute) éternité il est et ne fut pas fait ; aussi ne faut-il pas que le Fils de Dieu soit appelé « œuvre de Dieu », puisque ce ne fut pas du néant qu’il vint à l’être, selon la loi de tous les (êtres) créés, mais de (toute) éternité il est « de son Père, vrai Dieu de vrai Dieu, connaturel à son Père », puisqu’il est Fils véritable et qu’il est par nature cela même qu’est celui qui l’engendre.

2. Voilà ce que sur la divinité du (Fils) Unique nous enseignèrent exactement nos pères et (telle est) la profession de foi qu’ils affermirent en nos âmes, rejetant (loin) de nous l’opinion des impies qui osent dire que fait et créé est le Fils de Dieu, celui qui de (toute) éternité, avant tous les siècles, naquit de son Père. Et après avoir purgé notre conscience de toute fraude hérétique ils commencèrent à parler aussi de l’Incarnation de Notre Seigneur, qui se fit pour notre salut, en disant : « qui à cause de nous, hommes, et à cause de notre salut, est descendu du ciel et s’est incarné et devint homme ».

3. C’est à bon droit qu’ils placèrent au début cet « à cause de nous, hommes, et à cause de notre salut », car il convenait, puisqu’ils allaient parler de l’économie de l’humanité, d’en exposer d’abord la cause ; or ils ne pouvaient le faire dans ces formules dites de la divinité du (Fils) Unique, (occupés qu’ils étaient) à nous exposer comment de (toute) éternité il était de son Père. Mais s’appliquant à nous instruire de son humanité, avant tout il leur fallut dire la cause pour laquelle s’abaissa tellement la nature divine : « à cause de nous », en effet, et parce qu’elle avait souci « de notre salut », elle assuma la forme d’esclave. Nécessairement donc aussi, nos pères, commençant à enseigner l’« économie » de son humanité, prirent cette cause pour commencement de leur discours : « qui à cause de nous, hommes, et à cause de notre salut ». Et il est, cet « à cause de notre salut », bien placé après cet « à cause de nous, hommes ». Ce ne fut pas seulement « à cause des hommes », mais c’est le but de sa venue qu’ils nous enseignent : il vint pour sauver les hommes, afin que ceux qui étaient perdus et livrés au mal, par une grâce et une miséricorde ineffables, il les vivifiât et les délivrât du mal. Voici pourquoi, disent-ils, il descendit du ciel.

4. Donc « il descendit » : ce ne fut pas en se déplaçant d’un lieu à un autre. Car il ne nous faut pas penser que la nature divine, qui est en tout lieu, se déplace d’un lieu à un autre, puisqu’il n’est même pas possible que la nature divine, étant incorporelle, soit enfermée en un lieu ; mais ce qui n’est pas circonscrit dans un lieu, est en tout lieu ; et il est impossible de concevoir que se déplace d’un lieu à un autre ce qui est en tout lieu. De cela rend témoignage le bienheureux Jean, qui dit : Il était dans le monde et le monde par lui fut fait, et le monde ne le connut point. Chez les siens il vint et les siens ne le reçurent point (Jn 1, 10-11). Et voici, il dit qu’il était dans le monde et qu’il vint dans le monde. S’il était dans le monde, comment y vint-il ? Car comment peut-on dire que l’on vienne là où l’on était ? Mais il dit cet il était dans le monde pour indiquer qu’il est partout ; et cet il vint chez les siens, il l’ajouta au sujet de l’« économie » de l’humanité. C’est ainsi que le bienheureux David aussi dit : il abaissa les cieux et descendit (Ps 17, 10), pour nous apprendre que Dieu les sauva de leurs tribulations - car ce qu’il appelle « descente de Dieu », c’est la condescendance de Dieu : lui qui est tellement élevé au-dessus de tout, condescendit à les sauver de la tribulation. De même, de Dieu le Verbe aussi, le Fils Unique de Dieu, est-il dit que pour notre salut il est descendu : parce que de (toute) éternité il est de son Père et en tout temps est avec Lui, élevé au-dessus de tout ; lui, qui est cause de tout, il accepta, cependant, pour lui-même, à cause de notre salut, de condescendre à une telle humiliation de prendre la forme d’esclave et de devenir en elle, afin de nous accorder, par là, jouissance de son don magnifique.

5. À bon droit, nos pères bienheureux dirent-ils « à cause de nous, hommes, et à cause de notre salut, il descendit du ciel ». Ce qu’ils nomment descente du Très-Haut, c’est l’« économie » de son humanité, de quoi le bienheureux David aussi s’étonnait : Qu’est-ce que l’homme, dit-il, que tu te souviennes de lui ? et le fils de l’homme, que tu l’aies visité ? (Ps 8, 5).
« Qui à cause de nous, hommes, et à cause de notre salut descendit du ciel ». Qu’est-ce donc que sa descente et quel en est le but ? et que fit (l’homme pour que, à cause de lui, (le Fils Unique) s’abaissât à ce point qu’il devint homme et prit la forme d’esclave ? Et pour notre salut il accepta de devenir homme et de se manifester à tous. Et tout ce qui (appartient) à la nature de l’homme il le prit sur soi : étant éprouvé en toutes ses facultés, il le perfectionna de sa puissance ; - au point que, même quand il reçut la mort selon la loi de sa nature, il ne s’en éloigna pas ; mais étant avec lui, par l’opération de la grâce, il l’arracha à la mort et à la corruption du tombeau, le ressuscita d’entre les morts et lui accorda cet honneur sublime qu’il lui avait promis avant de subir la mort, quand il disait : Détruisez ce temple et en trois jours je le redresserai (Jn 2, 19) ; ce qu’il accomplit.

6. Et ni dans son crucifiement il ne s’en sépara, ni dans sa mort il ne s’en éloigna. Mais il demeura jusqu’à ce que, par le secours de sa puissance, il ait rompu les liens de la mort et délivré son âme de liens indissolubles ; et il le ressuscita d’entre les morts et le transféra en une vie qui ne meurt pas, le fit immortel, incorruptible et immuable, et le fit monter au ciel où maintenant il est assis à la droite de Dieu et est au-dessus de toutes les principautés et puissances et vertus et seigneuries et au-dessus de (tout) nom qui soit nommé, et cela non seulement en ce monde-ci, mais aussi dans celui à venir (Éph 1, 20-21), selon le témoignage du bienheureux Paul, et continuellement de toute la création il reçoit l’adoration à cause de sa conjonction exacte avec Dieu le Verbe.

7. C’est donc à bon droit que nos pères bienheureux dirent : « qui s’est incarné et devint homme », (celui) qui pour notre salut réalisa une telle économie d’être cru un homme commun, par ceux qui ne connaissaient pas la divinité demeurant en Lui, mais dont toute l’attention était pour ce qui se voyait. Les Juifs, en effet, lui disaient : Ce n’est pas pour les œuvres bonnes que nous te lapidons, mais parce que tu blasphèmes, car étant homme tu te fais Dieu (Jn 10, 33). Qu’il fût homme, Paul aussi le dit : Il était, dit-il, à la ressemblance des hommes et c’est en forme d’homme qu’il se trouva (Phi 2, 7). En effet « forme d’homme » n’indique rien d’autre si ce n’est qu’il devint homme. Car lorsque l’Écriture dit : Dieu envoya son Fils et il devint à la ressemblance de la chair de péché (Ro 8, 3), « la ressemblance de la chair » ne dit rien d’autre que la chair elle-même, comme ailleurs encore elle dit : Il parut dans la chair (1 Tim 3, 16). Qu’ici elle ait mis « la chair » et là « ressemblance de la chair », elle ne nous indique pas autre chose par « la chair » que par « la ressemblance de la chair », mais les deux (fois) elle enseigne qu’il parut dans la chair. De même, ce mot « forme » aussi n’est pas autre chose que « homme ». À juste titre donc nos pères bienheureux dirent : « qui s’est incarné et devint homme », pour indiquer qu’il devint homme selon le témoignage du bienheureux Paul, et que c’est pour le salut de tous, qu’il réalisa cette « économie ». C’est donc à bon droit que, dans l’exposé de la foi, nos pères bienheureux exprimèrent ce terme pour l’anéantissement de l’impiété hérétique, d’accord qu’ils étaient avec la profession de la foi véritable de l’Église. Et, parce que nombreuses étaient les divisions parmi les hommes au sujet de cette « économie » ineffable et au sujet de l’homme qu’assuma Notre Seigneur, à bon droit, pour les anéantir toutes, mirent-ils cette expression « qui s’est incarné et devint homme ».

8. Les Marcionites, en effet, et les Manichéens avec ceux de Valentin et le reste des hérétiques qui souffrent de cette maladie, disent que Notre Seigneur ne prit aucune de nos natures, corps ou âme, mais que c’était un « semblant », qui paraissait aux yeux des hommes à la manière de la vision qu’avaient les prophètes et la forme où Abraham vit trois hommes dont nul n’était de nature corporelle, mais dont on croyait que c’étaient des hommes, et qui faisaient des actions humaines, marchant, parlant, se lavant, mangeant et buvant. De cette manière aussi, disent-ils, Notre Seigneur ne prit rien de corporel, mais on le crut homme parce qu’on le voyait faire et subir toute chose selon la loi des hommes ; bien que ce qu’on voyait n’eût pas la nature humaine, mais que d’aspect seulement on le crût tel, et qu’en vérité il ne subît rien, mais ceux qui (le) voyaient pensaient qu’il subissait.

9. Quant aux (disciples) d’Arius et d’Eunomius, ils disent qu’il prit un corps mais non pas une âme : en guise d’âme, disent-ils, la nature divine. Et ils abaissent la nature divine du (Fils) Unique à ce point (de dire) qu’il déchoit de sa grandeur naturelle et fait les actions de l’âme, s’enfermant en ce corps et opérant tout pour le faire subsister. Dès lors, si la divinité tient lieu d’âme, il n’avait ni faim, ni soif, ni ne se fatiguait, ni n’avait besoin de nourriture, car tout ceci arrive au corps à cause de sa faiblesse et parce que l’âme n’est apte à satisfaire à ce dont il a besoin qu’avec ce qu’elle possède selon la loi de la nature que Dieu lui a donnée. Mais elle a besoin que le corps soit parfait en tout pour le faire subsister ; or, lui manque-t-il quelque chose, non seulement elle ne peut l’aider en rien, mais elle est vaincue par la faiblesse du corps, et contre son gré, elle est contrainte de s’en aller. Tandis que si la divinité remplissait (le rôle) de l’âme, nécessairement elle remplirait aussi celui du corps, (et) serait estimée vraie la parole des hérétiques égarés - niant que (le Fils) ait pris un corps, et pour qui c’est en apparence seulement qu’on le vit, comme les anges -, qu’il n’était homme que d’aspect, n’en ayant nullement la nature. Certes, la divinité était (bien) capable de remplir le (rôle) de tout et (de faire) que les spectateurs crussent voir « comme un homme » ; ainsi Abraham vit-il les anges par la volonté de Dieu. Mais si sa nature divine suffisait à tout ceci, ne fallait-il donc pas qu’il prît la nature humaine, elle qui a besoin de sa grâce du salut, lequel (vient) de Dieu ? mais, de l’avis des hérétiques, la divinité même a-t-elle tenu le rôle de la nature humaine ? il était superflu de prendre un corps, puisque la divinité suffisait à tout.

10. Or ce ne fut pas ceci que voulut Dieu, mais se revêtir de l’homme qui était tombé et le relever - lui, composé d’un corps et d’une âme immortelle et raisonnable -, afin que comme par un seul homme le péché était entré dans le monde et par le péché la mort, qu’ainsi la grâce et le don de Dieu par la justice d’un seul homme, Jésus-Christ, surabondent en beaucoup (Ro 5, 12.15) ; et puisque par un homme fut la mort, ainsi par un homme la résurrection d’entre les morts. Comme par Adam tous nous mourons, ainsi par le Christ tous nous vivons, au témoignage du bienheureux Paul (1 Co 15, 21-22). Ce ne fut donc pas un corps que (le Fils) devait assumer, mais aussi une âme immortelle et intelligente. Et ce ne fut pas la mort du corps qu’il importait d’abolir, mais bien (celle) de l’âme, qui est le péché ; car, puisque par un homme le péché est entré dans le monde - selon la parole du bienheureux (Paul), or par le péché eut son entrée la mort (Ro 5, 12) -, il convenait que d’abord fut enlevé le péché, qui fut la cause de la mort, et ensuite la mort serait abolie avec lui. Mais si le péché n’est pas enlevé, fatalement nous demeurons en la mortalité, et en notre mutabilité nous péchons ; et si nous péchons, de nouveau nous serons passibles de châtiment et fatalement de nouveau durera l’emprise de la mort.

11. À juste titre donc, avant toute chose, importait l’abolition du péché, puisqu’après l’abolition du péché il n’y a plus d’entrée pour la mort. Or il est évident que l’inclination au péché a dans la volonté de l’âme son début, puisque, même chez Adam, (ce fut) l’âme d’abord (qui) accepta le conseil d’égarement et non pas son corps : car ce ne fut pas son corps que Satan convainquit par la convoitise de biens sublimes, de s’accorder à lui et de s’éloigner de Dieu et de prendre pour un séducteur celui qui l’eût aidé. Et (Adam) transgressa le commandement de Dieu, selon le conseil de Satan. Ces choses-là, ce ne fut pas son corps qui devait les connaître, mais son âme qui convoita la grandeur promise ; c’est elle qui accueillit le conseil du rusé et lui fit perdre les biens qu’elle tenait. Ce n’est donc pas un corps seulement que le Christ devait assumer, mais aussi une âme ; tout au contraire, c’est l’âme d’abord qui devait être assumée, puis, à cause d’elle, le corps. Car, si du péché vient la mort - or c’est la corruption du corps que la mort -, le péché d’abord devait être aboli et ensuite avec lui (le serait) la mort ; car ainsi le corps serait libéré de la mort et de la corruption. Or ceci était possible si d’abord (le Christ) rendait l’âme immuable et la délivrait des mouvements du péché ; or l’abolition du péché opère l’abolition de la mort, et par le fait que la mort est abolie, notre corps peut demeurer indissoluble et incorruptible.

12. Et donc, si l’âme ne commettait que ces péchés qui lui viennent des passions du corps, peut-être eût-il suffi que Notre Seigneur prît un corps seulement pour la sauver du péché ; mais maintenant, les maux nombreux et honteux des péchés, l’âme elle-même les engendre, et avant tout, celui (qui) fait voir qu’elle a société avec Satan, c’est-à-dire l’orgueil, dont le bienheureux Paul dit : de peur qu’il ne s’enorgueillisse et ne tombe sous le même jugement que Satan (1 Tim 3, 6). Par cette parole, en effet, l’apôtre montra que quiconque tombe dans l’orgueil est associé à Satan dans le châtiment, parce qu’il a reçu en son âme cette passion que Satan, bien qu’incorporel, possède par la malice de sa conscience ; il est donc manifestement certain que l’âme requiert beaucoup de soin pour être libérée des chutes et sauvées aussi des passions du corps, qui, par la force qu’il possède, sont capables de la dominer.

13. Et le bienheureux Paul témoigne en (faveur) de notre parole, dans son énumération des maux vers lesquels sont entraînés et s’abaissent les hommes que le Christ vint en ce monde pour guérir, quand il dit : À cause de ceci, Dieu les a livrés à leur sens dépravé, en sorte qu’il font ce qu’il ne faut pas, remplis de tout péché, iniquité et méchanceté, avarice, fornication, amertume, envie, meurtre, dispute, fourberie, malignité, calomnie, haïssant Dieu, infâmes, orgueilleux, fanfarons, ingénieux à trouver le mal, rebelles à leurs parents, n’ayant ni fidélité ni miséricorde (Ro 1, 28-31). Tout le monde, avant même nos paroles, a l’évidente certitude de cela - et que beaucoup de ces choses ne sont pas le fait des facultés du corps, mais de la seule volonté de l’âme. Car même la méchanceté, l’amertume, l’envie, la dispute, la fourberie, la malignité avec l’orgueil et la vaine gloire et l’habileté au mal, l’insoumission à leurs parents, le manque d’amour, de fidélité, de miséricorde, tout ceci évidemment vient de l’âme.

14. Nécessairement donc Notre Seigneur prit une âme pour que celle-ci d’abord fût sauvée du péché et, par la grâce de Dieu, passât à l’immutabilité ; par quoi l’âme domine aussi les passions du corps. Quand en effet le péché est aboli et n’a plus entrée en l’âme devenue immuable, après cela nécessairement est abolie toute forme de châtiment et est anéantie aussi la mort. Et c’est ainsi que demeurera le corps, devenu étranger à la mort pour avoir pris part à l’immortalité. Et c’est ce que confirme le bienheureux Paul quand il dit : Désormais il n’y a plus de condamnation contre ceux qui, dans le Christ Jésus, ne se conduisent plus selon la chair ; car la loi de (l’esprit) de vie dans le Christ Jésus t’a rendu libre vis-à-vis de la loi du péché (Ro 8, 1-2). Il dit, en effet, que fut abolie toute sentence de mort et toute condamnation pour ceux qui crurent au Christ, parce qu’ils sont devenus étrangers aux moeurs de la mortalité et qu’ils ont reçu l’Esprit et l’immortalité - et avec elle ils prirent aussi l’immutabilité -, et ont été libérés complètement du péché et de la mortalité.

15. C’est donc une grande démence que celle de ne pas reconnaître que le Christ prit une âme ; et davantage est-il fou celui qui dit qu’il n’a pas pris d’intellect humain, puisqu’il dit aussi, ou bien qu’il n’a pas pris d’âme - ou bien qu’il a pris une âme, mais non pas humaine, mais inintelligente, celle qui fait vivre les animaux et les brutes. Or en ceci seulement diffère l’âme humaine de celle des animaux, que cette dernière n’a pas d’hypostase propre, mais dans la composition de l’animal lui-même ce n’est pas son existence isolément qu’elle subsiste, et après la mort de l’animal on croit qu’elle n’existe plus. Aussi est-ce le sang des animaux qui est dit être leur âme, puisqu’en même temps qu’est répandu le sang périt aussi ce qui est appelé l’âme, elle qu’avant la mort de l’animal on croyait exister dans leur hypostase et leurs facultés.Quant aux hommes, il n’en va pas ainsi : mais l’âme existe dans son hypostase propre, et fort élevée au-dessus du corps, puisque le corps est mortel et que la vie, c’est de l’âme qui la reçoit ; et il meurt, se dissout, s’il arrive que l’âme s’en aille de lui. Et elle-même, en sortant, demeure indestructible ; mais à jamais elle dure en son hypostase, parce qu’elle est immortelle et qu’elle ne peut rien recevoir naturellement des hommes. Ne craignez pas, est-il dit, ceux qui tuent le corps, car l’âme ils ne peuvent la tuer (Mt 10, 28) : certes, ceci enseigne évidemment que celui-là peut mourir parce qu’il est mortel par nature, mais qu’elle demeure immortelle parce qu’elle ne peut naturellement subir nul dommage de la part des hommes.

16. Si grande est donc la différence qu’il y a entre l’âme des hommes et l’âme des animaux, que celle-ci est sans raison et n’a pas d’hypostase propre, tandis que celle des hommes est immortelle ; et nécessairement la croit-on aussi intelligente. Qui donc sera assez fou et privé d’intellect humain qu’il dise que l’âme d’un homme soit sans connaissance ni raison ? à moins qu’il ne veuille devenir nouveau docteur d’une chose qui n’existe pas dans le monde : qu’il y aurait une nature immortelle et vivant d’une vie impérissable, et pourtant sans raison.Il ne peut certes pas en être ainsi. En effet, quiconque est immortel par sa nature et a une vie impérissable, est aussi, en vérité, capable de connaître et doué de raison.

17. Mais nos pères bienheureux mirent en garde sur tout cela, en disant : « qu’il s’est incarné et devint homme », afin que nous croyions qu’il est un homme parfait, celui qui fut assumé et en qui demeura le Verbe - lui qui fut parfait en tout selon la nature humaine et dont l’état résultait d’un corps mortel et d’une âme intelligente, car c’est « pour l’homme et pour son salut qu’il descendit du ciel ». À bon droit, ils dirent qu’il prit un homme semblable à ceux d’entre lesquels il fut pris ; car l’homme qu’il assuma, étant semblable à Adam qui introduisit le péché dans le monde, il abolirait le péché par ce qui lui était connaturel. Et il se revêtit d’un homme semblable à Adam, qui, après avoir péché, avait reçu une sentence de mort, afin que par un (être) semblable fût extirpé de nous le péché et abolie la mort.

18. Le prince de ce monde vient, dit-il, et en moi il n’a rien (Jn 14, 30), faisant connaître que telle est la cause de sa résurrection d’entre les morts. Car Satan tenant l’emprise de la mort à cause du péché inhérent en nous, selon le mot de Paul, toujours la mort prévalait et, de la sorte, étant esclaves du péché, nous n’avions aucun espoir d’aucune délivrance : la grâce de Dieu garda libre de péché l’homme dont pour nous Dieu se revêtit. Survint Satan ; par sa fraude il excita contre lui tous les Juifs, amena sur lui la mort comme sur un homme. Et puisqu’il ne possédait en aucun péché rien qui soumit à la mort le Christ Notre Seigneur, (celui-ci) accepta sur soi la mort que par iniquité l’usurpateur Satan amena sur lui>. Mais le (Christ) montra à Dieu qu’il n’avait aucun péché et que c’était contre justice qu’il subissait l’épreuve de la mort ; et facilement aussi il reçut l’abolition du châtiment, ressuscita d’entre les morts par la puissance divine, mérita la vie nouvelle et ineffable, et rendit (cette grâce commune à tout le genre humain. C’est à cause de cela que Notre Seigneur dit ici : Le Prince de ce monde vient et en moi il n’a rien (Jn 14, 30, et ailleurs : Maintenant, c’est le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde a été condamné et jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi (Jn 12, 31-32). Par le premier (texte), il indique en effet que Satan n’a aucun juste motif de lui infliger la mort ; par l’autre, qu’il eut comme un jugement contre l’usurpateur, qu’il le condamna et rejeta son autorité inique, puis qu’étant lui-même mis en (possession de) ces (biens) excellents, il associa tous les hommes à sa gloire.

19. Aussi nos pères bienheureux dirent-ils : « qui fut incarné » pour que toi, tu comprennes que c’est un homme parfait qu’il prit ; ce ne fut pas pour (son) aspect seulement qu’on le crut tel, mais parce qu’ayant réellement la nature humaine. Et, on le croit, il ne prit pas seulement un corps, mais tout l’homme, composé d’un corps et d’une âme immortelle et raisonnable. Il l’assuma pour notre salut, et par lui il opéra le salut pour notre vie. Et cet (homme) fut justifié et sans tache par la vertu de l’Esprit Saint - comme dit le bienheureux Paul : il fut justifié par l’Esprit (1 Tim 3, 16) ; et encore : qui dans l’Esprit éternel s’est offert lui-même sans tache à Dieu (He 9, 14) - et, ayant reçu la mort selon la loi des hommes, il ressuscita d’entre les morts, parce qu’il était sans péché, par la vertu de l’Esprit Saint, et mérita la vie nouvelle où sont immuables les volontés de l’âme ; et son corps il le rendit immortel et incorruptible, et ainsi nous fit-il tous participants à ses promesses.Et comme arrhes de ses promesses, il nous donna les prémices de l’Esprit, afin que nous ayons une foi sans hésitation dans les choses à venir. Celui, est-il dit, qui nous a affermis avec vous dans le Christ et nous a marqués de son sceau et nous a donné les arrhes de son Esprit en nos cœurs (2 Co 1, 21-22).

20. Donc nous attendons, nous aussi, de devenir immortels et incorruptibles à la résurrection d’entre les morts, quand le péché n’aura plus d’entrée en nous. Et c’est ce dont témoigne le bienheureux Paul en disant : Car il arrivera que ce qui est corruptible se révête d’incorruptibilité et que ce qui est mortel se revête d’immortalité et, quand ce qui est corruptible se sera revêtu d’incorruptibilité et ce qui est mortel d’immortalité, alors sera réalisée la parole de l’Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire. Où est, ô mort, ta victoire et où est ton aiguillon, ô mort ; car l’aiguillon de la mort c’est le péché et la force du péché c’est la loi (1 Co 15, 53-56).Or il dit que lorsque nous aurons été ressuscités d’entre les morts, immortels et incorruptibles et que notre nature aura reçu l’immutabilité, nous ne pourrons plus pécher ; et quand nous aurons été libérés du péché, nous n’aurons plus besoin de loi. Car quel besoin aura-t-elle de loi la nature qui aura été libérée du péché et ne sera plus susceptible de décliner vers le mal ?

21. Et il était bon qu’après cela le bienheureux Paul dise : Il nous a donné la victoire par Notre Seigneur Jésus-Christ (ib. 57), nous apprenant ceci, que c’est Dieu qui fut pour nous cause de tout bien et que c’est lui qui nous donna la victoire sur tout ce qui est contraire, soit la mort, soit le péché ou n’importe quel mal qui en provienne ; c’est lui qui, pour nous, se revêtit de Notre Seigneur Jésus, homme, et par la résurrection d’entre les morts le fit passer à la vie nouvelle et le fit asseoir à sa droite ; et à nous, par sa grâce il donnera société avec lui, quand en vérité, selon la parole du bienheureux Paul, sera changé le corps de notre humiliation et qu’il deviendra à la ressemblance de sa gloire (Phi 3, 21). Mais comme nombreuses sont les paroles de nos pères bienheureux au sujet de l’humanité de Notre Seigneur, mettons fin ici à l’enseignement d’aujourd’hui et faisons monter notre louange au Père et au Fils et à l’Esprit Saint, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.

Fin de la cinquième homélie.

Sources :

Les Homélies catéchétiques de Théodore de Mopsueste, trad. Raymond Tonneau et Robert Devreesse, Biblioteca Apostolica Vaticana, Città del Vaticano, 1949, 1961, p. 99-131.

Avec l’aimable autorisation de A. M. Piazzoni, vice-préfet de la Biblioteca Apostolica Vaticana, pour une publication en ligne jusqu’au 31 décembre 2010.

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