Césaire d’Arles : Sur la charité

Sermon 22
Jeudi 10 septembre 2009 — Dernier ajout vendredi 9 avril 2010

Saint Césaire († 27 août 543) fut d’abord moine à Lérins, mais sa santé fragile ne lui permettait de suivre les austérités du monastère. Il vint à Arles pour se reposer. L’évêque lieu, Éone, l’agrégea à son clergé. Césaire lui succédera sur le siège épiscopal au début du sixième siècle. Le nouvel évêque prendra sa charge pastorale très à cœur, s’y vouant corps et âme notamment par la prédication. Nous disposons encore de plus de 200 de ses sermons, courts, vivants, destinés à stimuler la foi de ses ouailles et l’ardeur apostolique de son clergé.
Vous trouverez ci-dessous une petite homélie sur la charité, véritable richesse du chrétien, parce qu’elle n’est autre que Dieu lui-même.

Sur la charité

rères bien-aimés, si nous pouvions nous offrir plus souvent à votre chère présence, il nous serait possible, avec l’aide du Christ, et en puisant aux sources abondantes des saintes Écritures, de répandre dans vos âmes, sinon de larges ruisseaux, du moins quelques pauvres gouttes ; de cette façon, la terre riche et fertile de votre cœur, ayant reçu la pluie de la parole de Dieu, pourrait produire une abondante moisson de bonnes œuvres ; ainsi le Maître, en venant dans le champ de votre âme, se réjouirait de trouver un rendement de trente, que dis-je, de soixante et même de cent pour un, récolte pour laquelle il prépare une grange dans le ciel, et non le feu de l’enfer. Mais puisque nos multiples occupations nous en empêchent, si nous, votre humble serviteur, ne pouvons nous rendre présent aussi souvent que vous le désireriez, nous avons l’intention de vous expliquer dans notre homélie, avec la permission de Dieu, quelque chose de court, mais de suffisamment important pour son utilité spirituelle ; dans cette brièveté, si vous faites bien attention, vous pouvez trouver ce qui convient à votre âme.

Quelle est donc cette chose, courte certes, mais si importante qu’elle pourrait suffire à l’humanité ? L’Apôtre le dit : « Le but de ce précepte, c’est la charité qui part d’un cœur pur, d’une conscience bonne et d’une foi sincère » (1 Tim 1, 5). Attention, mes frères ! Que peut-on trouver de plus magnifique dans la réalité que cette charité partant d’un cœur pur, d’une conscience bonne, d’une foi sincère ? Ces brèves paroles ont assez de charme pour être retenues par cœur, assez de douceur pour être gardées fidèlement. Quoi de plus doux que la charité, frères bien-aimés ? Celui qui l’ignore, qu’il goûte et qu’il constate. Que doit-il donc goûter, celui qui désire que la douceur de cette charité se fasse sentir de lui ? Écoutez, frères, la parole de l’Apôtre : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8). Quoi de plus doux, mes frères ? Celui qui l’ignore, qu’il écoute le psalmiste : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon » (Ps 33, 9). Dieu donc est charité, et celui qui a la charité, Dieu demeure en lui et lui en Dieu (cf. Jn 6, 57 ; 1 Jn 4, 15).

2. Si tu as la charité, tu as Dieu ; et si tu as Dieu, que ne possèdes-tu pas ? Le riche, s’il n’a pas la charité, que possède-t-il ? Le pauvre, s’il a la charité, que ne possède-t-il pas ? On croit peut-être qu’il est riche, celui dont le coffre est plein d’or, et qu’il n’est pas riche, celui dont la conscience est pleine de Dieu. Non, mes frères ; celui-là seul se voit vraiment riche en qui Dieu daigne habiter. Que pourras-tu en effet ignorer des Écritures, si c’est la charité, c’est-à-dire Dieu, qui a pris possession de toi-même ? Quelles bonnes œuvres ne pourras-tu accomplir, si tu as mérité de porter en ton cœur la source des bonnes œuvres ? Quel adversaire craindre, si tu as mérité d’avoir en toi Dieu lui-même comme roi ? Retenez donc bien et gardez, frères bien-aimés, le doux et salutaire lien de la charité. Mais, avant toutes choses, gardez la charité vraie, non celle que l’on promet seulement en paroles sans la conserver dans son cœur, mais celle qui s’exprime par notre bouche tout en étant sans cesse présente à notre cœur. De cette façon se réalisera en nous la parole de l’Apôtre : « Enracinés et fondés dans la charité » (Éph 3, 17) : dans la charité, il n’y a jamais rien de mal, inversement dans la cupidité on n’a jamais rien trouvé de bon.

3. Ces deux racines, frères bien-aimés, sont plantées dans deux champs différents par deux cultivateurs différents : l’une par le Christ dans le cœur des bons, l’autre par le diable dans le cœur des méchants. De la racine de la charité ne pousse rien de mauvais, pas plus que rien de bon ne vient de celle de la cupidité. Car la Vérité ne ment pas, elle qui, dans l’Évangile, à propos de ces deux racines, déclare catégoriquement : « Un bon arbre produit de bons fruits, un mauvais arbre en produit de mauvais » ; et aussi « Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, pas plus qu’un mauvais ne peut en produire de bons » (Mt 7, 17.18). Ce n’est pas moi qui le dis, mes frères, c’est le Seigneur. Donc, que votre charité soit si riche qu’elle s’étende non seulement à vos amis, mais jusqu’à vos ennemis ; il est vraiment le fils de l’Amour, celui qui, selon le précepte du Seigneur, aura aimé même ses ennemis.
Mais maintenant que vous venez d’entendre la louange de la charité en même temps que la condamnation de la cupidité, que chacun réfléchisse et considère le champ de son cœur : celui qui reconnaîtra en lui-même la charité, qu’il se réjouisse, qu’il en garde avec toute la vigilance de son âme les saintes semences ; celui qui au contraire aura remarqué dans le champ de son cœur ne fût-ce qu’une petite racine de cupidité, avec l’aide du Christ, qu’il l’extirpe, pour y planter la charité.Car, tant qu’il n’aura pas voulu le faire, il ne pourra porter de bons fruits ; et comme il ne porte pas de bons fruits, le Seigneur dit de lui dans l’Évangile : « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu » (Mt 7, 19). Si cela ne te plaît pas de donner des fruits exquis de charité, n’as-tu pas à craindre le feu avec le bois sec de tes péchés ? Oui, « tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu ». Tant que tu garderas la même racine, tu ne pourras donner des fruits normaux ; vainement tu promets le bien en paroles sans pouvoir le réaliser, aussi longtemps que la bonté n’est pas enracinée dans ton cœur. Ces deux racines donc, comme je l’ai dit, sont plantées par deux agriculteurs : l’une l’est par le Christ dans le cœur des fidèles, l’autre par le diable dans l’âme des superbes ; ainsi l’une est plantée au ciel, l’autre en enfer.

4. Mais quelqu’un va me dire : « Si elle est plantée dans le cœur des fidèles, ces fidèles à coup sûr on les voit encore en ce monde, comment donc cette racine peut-elle être plantée au ciel ? » Veux-tu savoir pourquoi ? C’est que les cœurs des fidèles sont le ciel, eux qui s’élèvent chaque jour vers lui à la voix du prêtre : « Élevons nos cœurs », alors tous répondent : « Nous les avons tournés vers le Seigneur ». Et l’Apôtre de son côté nous dit : « Notre vie est au ciel » (Phi 3, 20). Si donc la vie des fidèles est au ciel, parce que la vraie charité est en eux, c’est que la racine de la charité a été plantée au ciel. Inversement, la racine de la cupidité, qui est au cœur des superbes, parce que toujours ils désirent la terre, ne comprennent que la terre, plaçant en elle toute leur espérance, on peut bien dire qu’elle est planée en enfer.

5. Malgré cela, les pécheurs orgueilleux ne doivent pas désespérer, pas plus que les justes humbles s’enorgueillir en quoi que ce soit, comme si c’était leur propre mérite ; car si les justes se font des illusions sur eux-mêmes, ils perdent bientôt la racine de la charité ; et de leur côté si les pécheurs se tournent vers la pénitence, extirpent la cupidité, ils reprennent bientôt la plante de la charité. Donc ceux qui sont bons, qu’ils gardent ce qu’ils ont reçu comme un don de Dieu ; ceux qui sont mauvais, qu’ils aient à cœur de recouvrer ce qu’ils ont tristement perdu.

Que personne ne se réserve de faire pénitence et garder la douceur de la charité plus tard, au moment où l’on est en train de quitter la vie ; que personne ne remette en somme à la vieillesse pour recourir au remède de la pénitence, car on ne sait « de quoi le jour prochain sera fait » (Pr 27, 1). Quel risque de différer son salut jusqu’au temps de la vieillesse, alors qu’on ne peut être certain d’un seul jour de délai ! Donc, si nous voulons ne pas avoir à craindre la mort, nous devons être toujours prêts, afin que, quand le Seigneur nous fera rappeler de ce monde, nous paraissions devant le Juge éternel avec une conscience tranquille et libre, non avec désespoir, mais avec joie, et que nous ayons le bonheur d’entendre alors ces paroles : « C’est bien, serviteur bon et fidèle, puisque tu as été fidèle pour de petites choses, je t’établirai sur de grandes ; entre dans la joie de ton Maître » (Mt 25, 21). Que dans sa bonté, il nous conduise à cette joie, le Seigneur qui vit et règne.

Sources :

Saint Césaire d’Arles, textes choisis traduits et présentés par Albert Blaise, les Éditions du Soleil Levant, Namur 1962, p. 79-85.

Sermon xxii, Corpus Christianorum ciii, p. 99-103.

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