Sérapion de Thmuis : Lettre sur la mort d’Antoine

Jeudi 17 janvier 2008 — Dernier ajout jeudi 8 avril 2010

Voici une lettre de l’évêque Sérapion de Thmuis, l’un des plus proches disciples de saint Antoine du désert († 356), à propos de la mort de son maître en qui l’Église reconnaître le père de la vie monastique. Nous donnons ici la version arménienne de cette lettre. Il en existe une version syriaque publiée dans l’ouvrage paru aux éditions de l’abbaye de Bellefontaine (voir ci-dessous).

[Lettre] du saint Père Sérapion aux disciples de saint Antoine, Macaire et Amatas.

Le monde a perdu un grand intercesseur, les cieux ont reçu un grand homme. Celui d’en haut a reçu celui qu’il cherchait, celui d’en bas a perdu celui qu’il possédait. Son départ en haut cause aujourd’hui une fête pour ceux d’en haut, mais son décès de nous (cause) grande perte et affliction pour nous qui sommes restés en bas.

Saint Antoine
© : Bnf. Ms éthiopien d’Abbadie 111, fol. 37v, Saint Antoine.

Voyez donc, frères, aussitôt que le vieillard est parti d’auprès de nous, lui qui intercédait pour l’univers, le bienheureux Antoine, voici que tout à la fois sont tombés et affligés tous les éléments ensemble, et la colère de Dieu survenue dévaste d’abord l’Égypte.

Voici, son départ d’auprès de nous, nous a montré notre perte ; combien plus son élévation montrera-t-elle la joie advenue aux cieux.

Tant que le saint était sur terre, il parlait et causait, et étendait toujours ses mains saintes vers Dieu et, parlant avec lui, il resplendissait dans le Seigneur, et il ne permettait pas à la colère de descendre, et le saint, élevant ses pensées, empêchait la colère de Dieu de venir contre nous. Quand donc cette main se joignit et qu’il ne se trouva plus personne qui put empêcher la descente de la colère sur nous, alors soudain se déversant, elle afflige toute la région et veut tout détruire.

Aaron en effet, quand les châtiments commencèrent à se produire dans le peuple, pris l’encensoir et résista à la colère, la divisant entre les morts et les vivants ; il ne laissa pas mourir certains, ni ne permit à la colère de descendre. Il en garda certains vivants, quant à la mort, il la détourna. La colère de Dieu s’arrêta, respectant le juste.
Le bienheureux vieillard Antoine, tant qu’il était avec nous sur terre, élevait continuellement le saint encensoir et, éteignant la colère, ne lui permettait pas de descendre vers nous.

Donc, tant que ce saint était avec nous, elle ne descendit plus ; tant que ce saint était avec nous, la colère était loin de nous. Quand le saint eut trépassé, la colère trouva de nouveau l’occasion de descendre vers nous, ne trouvant pas chez nous qui l’empêcherait.

Quelles larmes verserons-nous donc, quelles lamentations chanterons-nous, nous qui [nous trouvons] privés du saint merveilleux et thaumaturge et sommes devenus enveloppés de la colère, sans pouvoir y trouver remède ?

Maintenant donc, nous [avons recours à] vous, qui [devez prendre] son exemple, saints disciples du bienheureux qui devez imprimer en vous son enseignement. Or le disciple ne doit nullement se laisser abattre ni retrancher de la conduite des anciens et se laisser distancer par celui qui le dirige, mais il doit former en soi sans cesse la ressemblance de son maître par une ascèse empressée.

Vous qui avez vécu longtemps avec le saint, demeurant avec le témoin de Dieu, recevant ses paroles et l’ascèse de sa vie, je ne vous ignore pas maintenant, c’est pourquoi, [privés d’] un, nous en avons beaucoup avec nous ; [nous devons] donc trouver la puissance d’un seul en beaucoup. Je vous prie donc d’[être] beaucoup et, acqué[rant] une grande puissance, et puisque chacun de vous était un Antoine que, devenant encore [plus nombreux] qu’il nous [en provienne plus] de puissances, qu’elles fassent encore plus de profits.

Mais parce qu’il vous est difficile en lui ressemblant d’acquérir [sa] puissance, vous, quoique vous [soyez] beaucoup, montrez la puissance d’un seul, et ce qu’un seul faisait, faisons-le, nous qui sommes beaucoup, ce qu’il accomplissait, accomplissons-le ; car par ses saintes prières il rendait Dieu propice. Accomplissons la même chose, nous qui sommes beaucuoup : par de bonnes œuvres et la pureté de nos âmes, rendons Dieu propice, et peut-être bien que toute la colère s’éloignera de nous, pour que désormais l’Église [ait] un peu de [répit].

Et maintenant, mes bien-aimés, je vous écris que les églises ont été détruites et que les blasphèmes [ont rempli] nos marchés, toute iniquité et malice se répandent dans les villes, l’impiété s’empare de nos âmes, les égarements des Ariens emplissent nos esprits ; impossible de se tourner ici ou là et d’abandonner les larmes. Car le [temple] de Dieu n’a pas [son] desservant et les Églises de Dieu sont privées d’un peuple nombreux, et maintenant les lieux sont désertés du peuple qui y venait ; le peuple s’est fait une sainte église des déserts, il a soigné sa douleur en changeant de lieu, il demeure au désert, de là il offre à Dieu sa prière. Mais les églises sont en pleurs, leurs murs émettent comme un cri, le lieu saint demeurant désert, comme s’il pleurait sur soi. Et nous, nous souffrons de dire ce qui est écrit : « Les chemins de Sion sont en deuil, car personne ne vient à sa fête » (Lm 1, 4).

Je vous écris donc cela, pour qu’en l’entendant vous vous refugiiez auprès de Dieu [et priiez]. Et [nous croyons] que Dieu se réconcilie, et il mettra vite un terme à ce qu’il a déclenché à cause de nos péchés, les menaces contre nous, pécheurs, faisant intercéder les prières des saints.

Sources :

Lettres des Pères du désert, « Spiritualité orientale » 42, Abbaye de Bellefontaine, 1985, p. 153-157.

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