Benoît XVI : Saint Clément d’Alexandrie

Lundi 3 septembre 2007 — Dernier ajout vendredi 9 avril 2010

Audience générale 18 avril 2007. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 19 avril. Paru dans La Documentation Catholique n° 2385 du 05/08/2007, p. 710. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Après le temps des fêtes, nous revenons à nos catéchèses ordinaires, même si visiblement la Place Saint-Pierre est encore en fête. Donc nous retournons, dis-je, au filon des catéchèses déjà commencées. Après avoir parlé des Douze Apôtres, puis des disciples des Apôtres, nous le faisons maintenant des grandes personnalités de l’Église naissante. La dernière fois, nous avons parlé de saint Irénée de Lyon, aujourd’hui nous parlerons de Clément d’Alexandrie, un grand théologien, né probablement à Athènes vers la moitié du IIe siècle. D’Athènes, il hérita cet intérêt aigu pour la philosophie qui allait faire de lui l’un des pionniers du dialogue entre foi et raison dans la tradition chrétienne. Encore jeune, il rejoignit Alexandrie, ville-symbole de ce croisement fécond entre diverses cultures qui caractérisa l’âge hellénistique. Il y fut disciple de Pantène, jusqu’à lui succéder à la direction de l’école catéchétique. De nombreuses sources attestent qu’il fut ordonné prêtre. Pendant la persécution de 202-203, il abandonna Alexandrie pour se réfugier à Césarée de Cappadoce, où il mourut vers 215.

Les œuvres les plus importantes qui nous restent de lui sont au nombre de trois : le Protreptique, Le Pédagogue et les Stromates. Même si on ne voit pas que ce fût l’intention originelle de l’auteur, il est de fait que ces écrits constituent une authentique trilogie capable d’accompagner avec efficacité la maturation spirituelle du chrétien. Le Protreptique, comme le dit le mot même, est une exhortation adressée à qui commence à explorer le chemin de la foi. Mieux encore, le protreptique se confond avec une Personne : celle du Fils de Dieu, Jésus-Christ, qui s’est fait « exhortation » aux hommes pour qu’ils empruntent avec résolution la route qui mène à la Vérité. Jésus-Christ se fait ensuite Pédagogue, c’est-à-dire éducateur de ceux qui, par la vertu de leur baptême, sont devenus fils de Dieu. Et le même Jésus-Christ finalement est aussi Didascale, c’est-à-dire maître, qui propose les enseignements les plus profonds. Ceux-ci sont rassemblés dans la troisième œuvre de Clément, les Stromates, terme grec qui signifie « tapisseries » : en effet, il s’agit d’une composition non-systématique de thèmes divers, fruits directs de l’enseignement habituel de Clément.

Connaturalité

L’ensemble de la catéchèse de Clément accompagne pas à pas la marche du catéchumène et du baptisé pour que, avec les deux « ailes » de la foi et de la raison, ils atteignent à une connaissance intime de la Vérité, qui est Jésus-Christ, le Verbe de Dieu. Seule cette connaissance de la personne qui est la vérité est la véritable « gnose », mot grec qui signifie « connaissance, intelligence ». C’est l’édifice construit par la raison sous l’impulsion d’un principe surnaturel. La foi, elle, construit la vraie philosophie, c’est-à-dire la véritable conversion sur la route à suivre dans la vie. D’où il ressort que la « gnose » authentique est un développement de la foi suscité par Jésus-Christ dans l’âme qui lui est unie. Clément distingue ensuite deux degrés de la vie chrétienne. Premier degré : c’est celui atteint par les chrétiens croyants qui vivent la foi de la manière commune mais ouverte aux horizons de la sainteté. Et puis le second degré : celui des « gnostiques », c’est-à-dire de ceux qui mènent déjà une vie de perfection spirituelle ; dans tous les cas le chrétien doit partir de la base commune de la foi, doit, par un chemin de recherche, se laisser guider par le Christ et ainsi atteindre à la connaissance de la Vérité et des vérités qui constituent le corpus de la foi. Une telle connaissance, nous dit Clément, devient dans l’âme une réalité vivante : elle n’est pas seulement une théorie, elle est une force vitale, elle est une union d’amour transformatrice. La connaissance du Christ n’est pas seulement une pensée, mais elle est un amour qui ouvre les yeux, transforme l’homme et crée la communion avec le Logos, avec le Verbe divin qui est vérité et vie. Dans cette communion, qui est parfaite connaissance et qui est amour, le chrétien parfait atteint la contemplation, l’unification avec Dieu.

Clément finalement reprend la doctrine selon laquelle la fin ultime de l’homme est de devenir semblable à Dieu. Nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, mais cela est aussi un défi, une voie ; en effet, le but de la vie, la destination ultime est de devenir véritablement semblable à Dieu. Cela est possible grâce à la connaturalité avec lui qui a été donnée à l’homme au moment de la création, et par laquelle il est déjà en soi - il est déjà en soi - une image de Dieu. Cette connaturalité permet de connaître la réalité divine à laquelle l’homme adhère principalement par la foi, et, par la foi vécue, par la pratique de la vertu, peut croître jusqu’à la contemplation de Dieu. De cette façon, sur le chemin de la perfection, Clément attribue à l’exigence morale tout autant d’importance qu’il en attribue à l’exigence intellectuelle. Les deux vont de pair parce qu’on ne peut pas connaître sans vivre et on ne peut pas vivre sans connaître. L’assimilation à Dieu et sa contemplation ne peuvent pas être réalisées par la seule connaissance rationnelle : à une telle fin, une vie, selon le Logos, est nécessaire, une vie selon la vérité. Et, en conséquence, les bonnes œuvres doivent accompagner la connaissance intellectuelle comme l’ombre accompagne le corps.

Une propédeutique de l’Évangile

Deux vertus ornent spécialement l’âme du « vrai gnostique ». La première est la liberté vis-à-vis des passions (apátheia) ; l’autre est l’amour, la passion véritable, celle qui assure l’union intime avec Dieu. L’amour procure la paix parfaite, et il met le « vrai gnostique » en mesure d’affronter les plus grands sacrifices, y compris le sacrifice suprême à la suite du Christ, et il lui fait monter de degré en degré jusqu’au sommet de la vertu. C’est ainsi que l’idéal éthique de la philosophie antique, c’est-à-dire la libération des passions, est redéfini par Clément et relié à l’amour, dans l’incessant processus d’assimilation à Dieu.

Et c’est aussi de cette manière que l’Alexandrin construit la deuxième grande occasion de dialogue entre l’annonce chrétienne et la philosophie grecque. Nous savons que saint Paul à l’Aréopage d’Athènes, où Clément allait naître, avait fait une première tentative de dialogue avec la philosophie grecque ; et il avait échoué en grande partie, mais on lui avait dit « Nous t’écouterons une autre fois ». Maintenant, Clément reprend ce dialogue, et il l’élève dans toute la mesure du possible au sein de la philosophie grecque. Comme l’a écrit mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II dans l’Encyclique Fides et ratio, l’Alexandrin, réussit à interpréter la philosophie comme « un enseignement préparatoire à la foi chrétienne et une propédeutique à l’Évangile » (n° 38). Et, de fait, Clément est arrivé au point de soutenir que Dieu aurait donné la philosophie aux Grecs « comme un Testament qui leur soit propre » (Strom. 6, 8, 67, 1). Pour lui, la tradition philosophique grecque, presque de pair avec la Loi pour les Hébreux, est un milieu de révélation ; les deux sont des ruisseaux qui finalement vont au Logos même. De cette façon, Clément continue à marquer clairement le chemin à qui entend « rendre raison » de sa foi en Jésus. Il peut servir d’exemple aux chrétiens, aux catéchètes et aux théologiens de notre temps, auxquels Jean-Paul II, dans la même Encyclique, recommandait de « retrouver et mettre en valeur dans toute la mesure du possible la dimension métaphysique de la vérité, afin d’entrer dans un dialogue critique et exigeant avec la pensée philosophique contemporaine ».

Nous conclurons en faisant nôtre un passage de la célèbre « prière au Christ Logos » par laquelle Clément termine son Pédagogue. Il supplie ainsi : « Montre-toi propice à tes fils (…) Accorde-nous de vivre dans ta paix, d’être transférés dans ta ville, de traverser les flots du péché sans y être submergés, d’être transportés au calme auprès de l’Esprit Saint et de la Sagesse ineffable ; nous, qui de nuit et de jour, jusqu’au dernier jour, chantons un chant d’action de grâce à l’unique Père (…) au Fils pédagogue et maître, avec l’Esprit Saint. Amen » (Péd. 3, 12, 101).

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Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

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