Benoît XVI : Saint Ignace d’Antioche, le devoir de l’unité

Lundi 3 septembre 2007 — Dernier ajout vendredi 9 avril 2010

Audience générale du 14 mars 2007. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 15 mars. Paru dans La Documentation Catholique n° 2378 du 15/04/2007, p. 359. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Comme nous l’avons déjà fait mercredi, nous allons parler des personnalités de l’Église naissante. La semaine dernière nous avons parlé du Pape Clément Ier, troisième successeur de saint Pierre. Aujourd’hui nous parlerons de saint Ignace, qui fut le troisième évêque d’Antioche, de l’an 70 à l’an 107, date de son martyre. Rome, Alexandrie et Antioche étaient en ce temps-là les trois plus grandes métropoles de l’Empire romain. Le concile de Nicée parle de trois « primats » : celui de Rome, mais aussi d’Alexandrie et Antioche participant, en un certain sens, à une « primauté ». Saint Ignace était évêque d’Antioche, qui se trouve en Turquie actuelle. Et là, à Antioche, comme nous le savons par les Actes des Apôtres, se forma une communauté chrétienne florissante. Le premier évêque en fut l’apôtre Pierre, nous dit la Tradition, et là encore, pour la première fois les disciples reçurent le nom de « chrétiens » (Ac 11, 26). Eusèbe de Césarée, un historien du IVe siècle, consacre un chapitre entier de son Histoire ecclésiastique à la vie et aux écrits d’Ignace (6, 36). Il écrit : « Ignace fut envoyé de Syrie à Rome pour y être jeté en pâture aux bêtes féroces, à cause du témoignage qu’il avait rendu au Christ. Accomplissant son voyage à travers l’Asie mineure sous la surveillance sévère de gardes qu’il appelle « les dix léopards » (dans sa Lettre aux Romains, 5, 1), dans toutes les cités où il s’arrêtait il renforçait les Églises par ses prédications et ses admonitions ; surtout, il exhortait avec grande chaleur à se garder des hérésies qui commençaient alors à pulluler, et il recommandait de ne pas s’éloigner de la tradition apostolique ». La première étape du voyage d’Ignace vers le martyre fut la cité de Smyrne, dont l’évêque était saint Polycarpe, disciple de saint Jean. C’est là qu’Ignace écrivit quatre lettres, respectivement aux Églises d’Éphèse, de Magnésie, de Tralles et de Rome. « Ayant quitté Smyrne, poursuit Eusèbe, Ignace arriva à Troade, et de là il envoya d’autres lettres » : deux aux Églises de Philadelphie et de Smyrne, et une à l’évêque Polycarpe. C’est ainsi qu’Eusèbe complète la liste des lettres qui sont parvenues jusqu’à nous de l’Église du Ier siècle, en un précieux trésor. En lisant ces textes, on ressent toute la fraîcheur de la foi de la génération qui avait encore connu les Apôtres. On y ressent aussi l’ardent amour d’un saint. Finalement, de Troade le martyr arriva à Rome où il fut livré en pâture aux bêtes féroces dans l’amphithéâtre Flavien.

Mystique de l’unité

Aucun Père de l’Église n’a exprimé avec l’intensité d’Ignace l’ardeur de son désir d’union au Christ et de vie en lui. C’est pour cela que nous avons lu le passage de l’évangile de saint Jean sur la vigne, laquelle, selon l’évangéliste, est Jésus. En réalité, convergent en Ignace deux « courants » spirituels : celui de Paul, tout tendu vers l’union au Christ, et celui de Jean, centré sur la vie en lui. Et, à leur tour, ces deux courants débouchent sur l’imitation du Christ, qu’Ignace proclame souvent comme « mon Dieu » et « notre Dieu ». Ainsi, Ignace supplie les chrétiens de Rome de ne pas mettre d’obstacles à son martyre, parce qu’il est impatient de « rejoindre le Christ ». Et il explique : « Il m’est bon de mourir pour m’unir au Christ, plutôt que de régner jusqu’aux limites de la terre. C’est lui que je cherche, qui est mort pour moi, c’est lui que je désire, qui est ressuscité pour nous (…). Laissez-moi être l’imitateur de la Passion de mon Dieu ! » (Aux Romains, 5-6). On peut saisir dans ces brûlantes expressions d’amour le « réalisme » christologique marqué, typique de l’Église d’Antioche, plus que jamais attentif à l’incarnation du Fils de Dieu et à la réalité de son humanité concrète. Jésus-Christ, écrit Ignace aux habitants de Smyrne, « est réellement de la souche de David - Il est réellement né d’une vierge - Il fut réellement cloué pour nous » (1, 1).

L’irrésistible aspiration d’Ignace à l’union au Christ est le fondement d’une véritable et authentique « mystique de l’unité ». Il se décrit lui-même comme « un homme à qui est confié le devoir de l’unité » (Aux Philadelphiens, 8, 1). Pour Ignace, l’unité est avant tout une prérogative de Dieu, qui, existant en trois Personnes, est Un dans une unité absolue. Il répète souvent que Dieu est unité, et qu’en Dieu seulement l’unité existe à l’état pur et originel. Celle que les chrétiens ont à réaliser sur cette terre n’est qu’une imitation, le plus possible conforme à l’archétype divin. De cette façon, Ignace en arrive à élaborer une vision de l’Église qui rappelle de près certaines expressions de la Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome. « Il vous est bon, écrit-il par exemple aux chrétiens d’Éphèse, d’agir ensemble en accord avec la pensée de l’évêque, comme vous le faites déjà. En effet, votre collège de prêtres, à juste titre célèbre, digne de Dieu, est ainsi harmonieusement uni à l’évêque, comme les cordes à la cithare. Ainsi, Jésus-Christ est chanté par votre concorde et votre amour symphonique. Et ainsi vous-mêmes, un par un, devenez-vous un chœur, pour chanter d’une seule voix, dans l’harmonie et la concorde, après vous être mis à l’unisson avec le Dieu de l’unité » (4, 1-2). Et après avoir recommandé aux habitants de Smyrne de « ne pas entreprendre quoi que ce soit qui regarde l’Église sans l’évêque » (8, 1), il confie à Polycarpe : « J’offre ma vie pour ceux qui sont soumis à l’évêque, aux prêtres et aux diacres. Puis-je avec eux avoir part à Dieu. Travaillez ensemble les uns pour les autres, luttez ensemble, courez ensemble, souffrez ensemble, dormez et veillez ensemble comme des ministres de Dieu, ses assesseurs et ses serviteurs. Cherchez à plaire à celui pour lequel vous militez et de qui vous recevez la récompense. Que personne de vous ne soit jamais déserteur. Que votre baptême demeure comme votre bouclier, la foi comme votre casque, la charité comme une lance, la patience comme une armure » (6, 1-2).

L’Église universelle

De façon globale, se fait jour dans les Lettres d’Ignace une sorte de dialectique constante et féconde entre deux aspects caractéristiques de la vie chrétienne : d’un côté, la structure hiérarchique de la communauté ecclésiale ; de l’autre, l’unité fondamentale qui lie entre eux tous les fidèles en Christ. Par conséquent, les rôles ne peuvent pas s’opposer. Au contraire, l’insistance sur la communion des croyants entre eux et avec leurs pasteurs est continuellement reformulée à travers des images et des comparaisons étonnantes : la cithare, les cordes, l’intonation, le concert, la symphonie. Les responsabilités particulières des évêques, des prêtres et des diacres quant à l’édification de la communauté sont évidentes. C’est à eux que s’adresse en premier l’invitation à l’amour et à l’unité. « Soyez une seule chose », écrit Ignace aux habitants de Magnésie, reprenant la prière de Jésus à la dernière cène : « une unique supplication, un unique esprit, une unique espérance dans l’amour (…) Accourez tous à Jésus-Christ comme à l’unique temple de Dieu, comme à l’unique autel : il est un, et, procédant de l’unique Père, il lui reste uni et il retourne à lui dans l’unité » (7, 1-2).Ignace, le premier parmi les auteurs chrétiens, attribue à l’Église l’adjectif « catholique », c’est-à-dire « universelle ». « Là où est Jésus-Christ, affirme-t-il, là est l’Église catholique » (Aux habitants de Smyrne, 8, 2). Et c’est précisément dans ce service de l’unité de l’Église catholique que la communauté chrétienne de Rome exerce en quelque sorte une primauté dans l’amour : « Elle préside à Rome, digne de Dieu, vénérable, digne d’être appelée bienheureuse (…) Elle préside à la charité qui est la loi du Christ et porte le nom du Père » (Aux Romains, prologue).

Comme on le voit, Ignace est véritablement le « docteur de l’unité » : unité de Dieu et unité du Christ (en opposition aux diverses hérésies qui commençaient à circuler et en Jésus-Christ séparaient l’homme de Dieu), unité de l’Église, unité des fidèles « dans la foi et dans la charité, dont rien n’est plus excellent » (Aux habitants de Smyrne, 6,1). En définitive, le « réalisme » d’Ignace invite les fidèles d’hier et d’aujourd’hui, nous invite tous, à une synthèse progressive entre la configuration au Christ (union à lui, vie en lui) et dévouement à son Église (unité avec l’évêque, service généreux de la communauté et du monde). En résumé, il s’agit de parvenir à une synthèse entre la communion de l’Église à l’intérieur d’elle-même, et la mission, proclamation de l’Évangile aux autres, jusqu’à ce que, chaque dimension apparaisse à travers l’autre, et que les croyants possèdent toujours davantage « cet esprit indivis qui est Jésus-Christ lui-même » (Aux habitants de Magnésie, 15).

Implorant du Seigneur cette « grâce de l’unité », et avec la conviction de présider à la charité de toute l’Église (cf. Aux Romains, prologue), je vous adresse le même souhait que celui qui conclut la lettre d’Ignace aux chrétiens de Tralles : « Aimez-vous les uns les autres d’un cœur non divisé. Mon cœur s’offre en sacrifice pour vous, non seulement maintenant, mais aussi quand il aura rejoint Dieu. Dans le Christ, puissiez-vous être trouvé sans tache » (13). Et prions pour que le Seigneur nous aide à atteindre cette unité et à la fin être trouvé sans tache, parce que c’est l’amour qui purifie l’âme.

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Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

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