Basile de Césarée : Homélie 15, sur la foi

Samedi 19 décembre 2009 — Dernier ajout lundi 3 mai 2010

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L’homélie de Basile de Césarée, dont nous présentons ci-dessous une traduction inédite, entrecroise deux thèmes théologiques d’une brûlante actualité en cette seconde moitié du quatrième siècle : le problème de la connaissance de Dieu d’une part, celui de la divinité du Saint Esprit d’autre part.

Est-il possible de connaître Dieu, de le glorifier à la hauteur de sa dignité ? Basile de Césarée répond à cette question en se situant dans la ligne d’Irénée de Lyon : il n’est pas possible de connaître Dieu selon sa grandeur, c’est-à-dire à partir de son être même, mais il nous est donné de le connaître et de le glorifier à partir « de ce qui nous est accessible », c’est-à-dire à partir de ses bienfaits.

Celui qui contemple la divinité, scrutant assidûment les Écritures, découvrira que celle-ci est trine. Il y a un Père, un Fils et un Esprit Saint. À ceux qui prétendent que l’Esprit Saint n’est pas Dieu, Basile de Césarée oppose le témoignage des livres saints attestant, par les bienfaits dont il est la source, l’appartenance de l’Esprit à la communion du Père et du Fils.

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e souvenir perpétuellement de Dieu est chose pieuse et ne rassasie pas l’âme qui aime Dieu. S’entretenir oralement des réalités de Dieu est par contre audacieux, d’une part parce que l’esprit n’atteint pas, et de loin, la hauteur requise par la dignité de ces réalités, d’autre part parce que la parole exprime obscurément ce qui est pensé. Si donc notre esprit reste bien en deçà de la majesté de ces réalités, et si la parole est plus faible encore que l’esprit lui-même, comment n’exigerait-on pas le silence, de peur que par la médiocrité du vocabulaire on ne paraisse mettre en danger la majesté de la théologie !

Le désir de glorifier Dieu a été semé par la nature dans tous les êtres raisonnables, mais ils sont tous semblablement incapables de parler de lui dignement. Ils peuvent certes, les uns et les autres, rivaliser de zèle dans la piété, aucun cependant n’est à ce point aveugle et abusé par lui-même, pour penser qu’il est parvenu à la plus fine pointe de la compréhension. Au contraire, plus on semblera avancer dans cette connaissance, plus on percevra sa faiblesse. Tel était Abraham, tel était Moïse. Quand ils purent voir Dieu, comme il est possible à un homme de le voir, c’est alors que l’un et l’autre se sont méprisés le plus eux-mêmes, Abraham s’appelant lui-même « terre et cendre » [1], et Moïse se disant bègue et lent à la parole [2]. Il percevait en effet la faiblesse de son langage, incapable de servir la majesté des concepts.

Mais puisque toute oreille est maintenant ouverte pour entendre parler de théologie et qu’à l’église on n’est jamais rassasié de tels discours, confirmant la parole de l’Ecclésiaste : « L’oreille ne s’emplit d’entendre » [3], il est nécessaire de parler selon ses capacités. Nous parlerons, non pas à la hauteur de ce que Dieu est, mais à celle qui nous est accessible. De fait, ce n’est pas parce que nous ne pouvons pas parcourir des yeux toute l’étendue entre le ciel et la terre que nous renonçons pour autant à l’observer autant que nous pouvons, ainsi maintenant, par de faibles mots, rendons service à la piété, et permettons à la majesté de la nature [divine] de l’emporter sur tout discours. Car ni les langues des anges, quelles qu’elles soient, ni celles des archanges, réunies à la nature raisonnable tout entière, ne pourront atteindre la plus petite partie [de la divinité], à plus forte raison égaler elles-mêmes le tout.

Or toi, si tu veux dire quelque chose de Dieu ou en entendre parler, laisse ton corps, quitte les sensations corporelles, abandonne la terre, abandonne la mer, au fond de toi-même fais le vide, dépasse le temps, l’heureuse harmonie des saisons, l’ordonnancement de la terre : élève-toi au-dessus de l’éther, franchis les astres, les merveilles qui les entourent, leur conduite réglée, leur grandeur, le service qu’ils assurent à l’univers, leur harmonie, leur magnificence, leur disposition, leur mouvement ; quel est leur lien mutuel et leur éloignement. Passe tout par la raison, dépasse le ciel, et étant advenu au-delà de cela, considère par ta seule intelligence les beautés rencontrées, les armées supracélestes, les chœurs des anges, l’autorité des archanges, la gloire des souverainetés, la préséance des trônes, les puissances, les principautés, les dominations. Ayant traversé tout cela, ayant élevé tes réflexions au-dessus de toute la création, et hissé ton esprit au-delà de ces choses, contemple la nature divine : existante, immuable, inaltérable, impassible, simple, non composée, indivisible, lumière inaccessible [4], puissance ineffable, grandeur non circonscrite, gloire sur-éclatante, désirable bonté, inégalable beauté, qui s’empare puissamment de l’âme blessée et dont aucune parole ne peut exprimer la dignité.

Là un Père, un Fils et un Saint Esprit, la nature incréée, la dignité souveraine, la bonté par nature. Un Père : le principe de tout, la cause de l’être des étants, la racine des vivants. De lui surgit la source de la vie, la sagesse, la puissance, l’image parfaite du Dieu invisible [5], le Fils engendré du Père, le Verbe vivant, qui est Dieu et qui est auprès de Dieu [6]. Il est, il n’est pas d’abord advenu. Il existe avant les siècles, il n’a pas été ajouté par la suite. Fils, non pas possession. À l’œuvre, non pas ouvrage. Créateur, non pas créature. Il est tout ce qu’est le Père. Fils et Père, disent [les Écritures]. Retiens bien ces propriétés. Le Fils demeurant donc ce qu’il est, est tout ce qu’est le Père, selon la parole du Seigneur lui-même qui dit : « Tout ce qu’a mon Père est à moi  » [7]. De fait, l’image possède tout ce qui appartient à la forme originale. « En effet, nous avons contemplé sa gloire, dit l’évangéliste, gloire comme celle que tient de son Père un fils unique » [8]. C’est à dire que ce n’est pas en raison d’un don ni d’une grâce que lui ont été données les merveilles, mais c’est en raison de sa communion de nature que le Fils possède la dignité de la divinité paternelle. Car recevoir est commun à ce qui est créé, tandis que posséder par nature est propre à celui qui est engendré. Comme Fils, il acquiert donc naturellement ce qui est du Père ; et comme Monogène, il saisit tout en lui-même, sans rien partager à un autre. Ainsi, de par l’appellation de Fils, nous apprenons qu’il a une nature commune [avec le Père] ; qu’il n’a pas été créé sur son ordre, mais qu’il rayonne, sans intervalle, à partir de l’essence [divine], étant éternellement uni au Père, égal en bonté, égal en puissance, associé à la gloire. Et qu’est-il donc de fait, sinon le sceau et l’image qui, en lui-même, montre totalement le Père ? Et tout ce qu’il te dit après cela à propos de sa constitution charnelle, réalisant le salut des hommes, lequel nous a été révélé par la manifestation dans la chair, disant qu’il est lui-même envoyé [9] et qu’il ne peut rien faire de lui-même [10], et qu’il a reçu un commandement [11], et toutes choses semblables, ne doit pas te fournir l’occasion d’amoindrir la divinité du Monogène. En effet, la condescendance jusqu’à ta faiblesse ne doit pas [te] conduire à la diminution de la dignité de la puissance. Pense par contre la nature de manière digne de Dieu, et accueille les paroles les plus humbles selon l’économie. Si nous voulions à présent traiter rigoureusement de cela, il nous faudrait emprunter malgré nous un grand nombre et une multitude infinie de mots pour introduire ce thème. Mais retournons à notre sujet.

Qu’un esprit réussisse à être pur de tout attachement terrestre, à quitter toute la création intelligible, et tel un poisson à remonter de l’abîme pour apparaître à la surface, ayant recouvré la pureté de la création, il verra l’Esprit Saint là où est le Fils et où est le Père, ayant tout, lui aussi, de manière coessentielle selon la nature, la bonté, la droiture, la sainteté, la vie. Le Psalmiste dit en effet : « ton bon esprit » [12] ; et encore : « Esprit droit » [13] ; et encore : « l’Esprit saint » [14]. Et l’Apôtre : « La loi de l’Esprit de vie » [15]. Aucune de ces qualités ne lui a été ajoutée, ni ne lui est attachée parce qu’advenue par la suite, mais comme la chaleur est inséparable du feu, et l’éclat de la lumière de ce qui éclaire, ainsi ne peut-on séparer de l’Esprit le fait de sanctifier, de vivifier, la bonté, la droiture. Là donc est l’Esprit, là, dans la bienheureuse nature, n’étant pas compté avec plusieurs, mais étant contemplé dans la Trinité ; étant annoncé individuellement, n’étant pas inclus dans une composition. Car comme le Père est un et un le Fils, le Saint Esprit aussi est un, tandis que les esprits liturgiques [16], selon chaque ordre, nous apparaissent une multitude innombrable. Il ne faut donc pas chercher dans la création ce qui dépasse la création ni assimiler celui qui sanctifie à ceux qui sont sanctifiés.

L’Esprit Saint emplit les anges, il emplit les archanges, il sanctifie les puissances, il vivifie tout. Tout en partageant avec toute créature, et en étant participé diversement par des personnes diverses, il n’est diminué en rien par ceux qui participent. Il dispense à tous sa grâce et il ne s’épuise pas dans les participants, mais ceux qui reçoivent sont emplis et lui n’est pas déficient. Et comme le soleil éclairant les corps et se partage sur eux de manière variable n’est pas diminué du fait de ce partage, ainsi aussi l’Esprit lorsqu’il offre à tous sa grâce, demeure sans amoindrissement ni division.
Il illumine tous les hommes pour les amener à la connaissance de Dieu, il inspire les prophètes, rend sages les législateurs, consacre les prêtres, fortifie les rois, confirme les justes, honore les sages, active les charismes de guérison [17], vivifie les morts, délie les enchaînés [18], adopte ceux qui étaient étrangers [19]. Il opère cela par la naissance d’en-haut [20]. Saisit-il un publicain croyant, il le fait évangéliste [21] ; rencontre-t-il un pêcheur, il en fait un théologien [22]. Trouve-t-il un persécuteur repentant, il le transforme en apôtre des Nations, en héraut de la foi, en vase d’élection [23]. Par lui les faibles sont fortifiés, les pauvres enrichis, les simples d’esprit plus sages que les sages.

Paul était faible, mais par la présence de l’Esprit les linges qui couvraient son corps rendaient la santé à ceux qui le recevaient [24]. Pierre aussi avait son corps affaibli par la maladie, mais à cause de l’inhabitation de la grâce de l’Esprit, la survenue de l’ombre de son corps chassait les maladies des souffrants [25]. Pauvres, Pierre et Jean l’étaient ; de fait ils n’avaient ni argent ni or [26]. Ils offraient cependant la santé qui est plus précieuse que tout l’or du monde. De fait, quoique le paralytique ait reçu de l’argent de nombreuses personnes, il était encore mendiant ; mais quand il eut reçu la grâce de Pierre, il cessa de mendier, sautant comme une biche et louant Dieu. Jean ne connaissait pas la sagesse du monde, mais, par la puissance de l’Esprit, il a dit des paroles qu’aucune sagesse ne peut atteindre.

Cet Esprit est à la fois au ciel, et remplit la terre. Il est partout présent, et n’est limité par rien. Il habite tout entier en chacun, il est aussi tout entier avec Dieu. Il ne dispense pas ses dons à la manière d’un [esprit] serviteur, mais il distribue ses charismes avec autorité. Il est dit en effet : « il distribue à chacun en particulier comme il le juge bon » [27]. Il est envoyé comme un intendant, mais il agit de sa propre autorité. Prions pour qu’il reste présent en nos âmes et qu’il ne nous abandonne jamais, dans la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ à qui sont la gloire et le pouvoir pour les siècles des siècles. Amen.

Source :

PG 31, col. 464-472. Trad. L. Fritz

[1Gn 18, 27.

[2Cf. Ex 4, 10.

[3Qo 1, 8.

[41 Tim 6, 16.

[5Col 1, 15.

[6Jn 1, 1.

[7Jn 16, 15.

[8Jn 1, 14.

[9Jn 8, 26.

[10Cf. Jn 8, 28.

[11Cf. Jn 15, 10.

[12Ps 142, 10.

[13Ps 50, 12.

[14Ps 50, 13.

[15Ro 8, 2.

[16Cf. He 1, 14.

[17Cf. 1 Co 12, 9.

[18Cf. Ps 145, 7.

[19Cf. Ro 8, 15 ; Éph 2, 12.22 .

[20Cf. Jn 3, 3 et svt..

[21Cf. Mt 9, 9.

[22Cf. Mt 4, 19.

[23Cf. Ac 9, 15.

[24Cf. Ac 19, 12.

[25Cf. Ac 5, 15.

[26Cf. Ac 3, 6.

[271 Co 12, 11.

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