Hilaire de Poitiers : Commentaire sur le Psaume 2

Mercredi 14 novembre 2007 — Dernier ajout jeudi 8 avril 2010

Voici une traduction inédite du Commentaire du psaume 2. Pour vous guider dans votre lecture vous pouvez lire l’introduction générale parue sur patristique.org ou consulter les explicitations propres à ce psaume.

Psaume 2

1. L’autorité apostolique laisse beaucoup d’entre nous irrésolus quant à savoir si l’on doit penser que ce psaume est lié au premier pour en constituer comme la finale, ou bien si, faisant suite, il mérite davantage sa numérotation de psaume « second ». En effet, dans les Actes des Apôtres, il lui est attribué le titre de « psaume premier », et c’est ainsi que, par la parole de l’Apôtre Paul, nous sommes renseignés : « Et nous, nous vous annonçons cette Bonne Nouvelle : la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie pour nous, leurs enfants, en ressuscitant Jésus, tout comme il est écrit au psaume premier : ’Tu es mon Fils ; c’est moi qui aujourd’hui t’ai engendré’. Dieu l’a ressuscité d’entre les morts pour ne plus devoir retourner à la mort » (Ac 13, 32-34). Donc, devant cette autorité apostolique, on est en droit de penser qu’il a été commis une erreur de la part des scribes, de telle sorte que, dans l’ordre successif, ce psaume est nommé « second », alors qu’il est reconnu comme « premier », selon le témoignage du Docteur des nations. C’est pourquoi il nous en faut connaître la raison : pourquoi, quant à nous, il est compris comme étant « second », et que, quant à l’Apôtre, il est présenté comme étant le premier psaume.

2. En effet, aux temps intermédiaires de la Loi, à la requête du roi Ptolémée, avant que naisse homme le Fils de Dieu Premier Engendré avant les siècles, le Verbe de Dieu, soixante-dix anciens traduisirent les livres de l’ancien Testament, de l’hébreu en grec. Avant cela cependant, un Conseil de soixante-dix Docteurs (de la Loi) avaient été institués par Moïse en chaque synagogue. Bien qu’il eût couché par écrit les Paroles de l’Alliance, le même Moïse avait cependant enjoint aux soixante-dix Anciens qui resteraient par la suite « Docteurs de la Loi », de traduire, séparés les uns des autres, les mystères tenus cachés de la Loi pour les rendre explicites. De plus, le Seigneur se souvient également de cet enseignement lorsqu’il dit, dans les évangiles : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils vous disent faites-le, et conservez-le ; mais n’agissez pas selon leurs actes » (Mt 23, 2-3). Ainsi, leur enseignement demeure pour la postérité, enseignement qui, reçu de l’auteur même de la Loi, fut conservé dans cet ordre et cette numérotation pour remplir son office. C’est pourquoi, en transmettant ces livres et la science spirituelle des connaissances cachées relevant de la tradition de Moïse, ils traduisirent, en connaisseurs de la langue hébraïque, les expressions incertaines et variées, en les faisant connaître, à partir de leur propre connaissance de l’hébreu, avec toute la force des réalités exprimées par le sens idoine et sûr des mots, incitant à la compréhension des paroles selon leurs divers sens par la science du contenu de la doctrine enseignée. Il ressort de cela que ceux qui ont traduit par la suite, interprétant de diverses manières (le sens du texte), furent la cause de beaucoup d’égarement pour les nations païennes, tandis que les éléments normatifs de cet enseignement caché de la tradition restaient ignorés du fait de l’obscurité de la langue hébraïque. Nous en apporterons un seul exemple duquel d’autres du même genre pourront se déduire ; ils deviendront ainsi accessibles à l’entendement. Bereshit [1] est un mot hébreu ; il peut avoir trois significations, à savoir « au commencement » (in principio), « en tête » (in capito), et « dans le Fils » (in filio). Mais les Soixante-dix traducteurs ont choisi « au commencement », les autres sens se transmettant çà et là. Du fait de cette obscurité de sens équivoques, une confusion s’est établie en toute traduction.

3. Mais l’autorité authentifiée de ces soixante-dix interprètes demeure du fait qu’ils réalisèrent d’abord leur traduction (de l’hébreu en grec) avant l’avènement corporel du Seigneur, et que nulle flatterie dans l’interprétation n’est pratiquée en référence au temps, l’époque de l’interprétation lui étant largement antérieure. D’où ce fait que les princes et docteurs de la synagogue, hormis leur science de la Loi dont ils furent rendus parfaits par Moïse qui leur transmit un enseignement plus secret, n’ont pas pu être les arbitres d’une interprétation qui n’aurait pu être approuvée, eux qui, très assurés et très fiables, étaient les garants de l’enseignement doctrinal. Faisant donc passer ces psaumes en d’autres livres, ils les ont ramenés sous une numérotation, les remirent en ordre, repérèrent les pauses (diapsalma) ; ces psaumes qui, tous, pendant qu’ils furent en la possession des hébreux, avaient été amalgamés confusément, et le sont encore. Donc, leurs traductions n’étaient pas nécessaires pour les hébreux, leur langue n’étant seulement accessible qu’aux usagers (de l’hébreu). Cependant, pour ceux qui étaient attentifs et qui s’adonnaient à la pratique religieuse par tradition, pour ceux-là, après que le Seigneur eut accompli toute la Loi par le sacrement de son incorporation (sacramento… corporationis suae), de sa Passion et de sa Résurrection, ces mêmes livres traduits et publiés par les LXX pour le même roi [2], ces livres retrouvés, collationnés et fidèlement mis en accord, constituèrent, par le privilège de la doctrine enseignée et du temps, une autorité indissoluble.

4. Ainsi donc, le bienheureux Apôtre Paul, conformément à sa propre affirmation se disant « hébreu, fils d’hébreu », selon une perception de connaissance de foi encore hébraïque, a appelé ce psaume « premier », ne tenant pas compte de la distinction d’usage des traducteurs (LXX), ce Paul, auquel un très grand effort de prédication était demandé par les chefs de la synagogue, montrerait, à partir de l’enseignement de la Loi, que NSJC, Fils de Dieu, étant né, ayant souffert, étant ressuscité pour régner dans l’éternité, était celui que les psaumes annonçaient. C’est pourquoi, il conserva ce mode d’appellation (« psaume premier ») pour que, prêchant à des hébreux, la coutume soit sauve. Mais pour nous, sur l’autorité des traducteurs, nous devons utiliser cette nouvelle disposition sans équivoque, le transfert s’étant réalisé d’une langue à l’autre par la science de l’enseignement doctrinal.

5. D’autre part, l’autorité apostolique garantit maintenant une très sûre compréhension de personne, de temps, de cause. En effet, dans le Livre de leurs Actes, les Apôtres ont perçu la même chose au sujet de ce psaume ; nous le redisons en empruntant leurs paroles. Il est écrit, en effet : « Ils dirent eux-mêmes : Seigneur, toi qui as fait le ciel et la terre, la mer, et tout ce qu’ils contiennent, toi qui par la bouche de notre père David, ton saint serviteur, as dit : ’Pourquoi ces nations en tumulte et pourquoi les peuples ont-ils émis de vains projets ? Les rois de la terre se sont présentés et les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Oint ! En effet, c’est un complot que, dans cette ville, Hérode et Ponce Pilate, avec les nations et le peuple d’Israël, ont formé contre ton saint Serviteur Jésus que tu avais oint pour faire tout ce que ta Main et ton Conseil avaient déterminé d’avance. Et maintenant, Seigneur, considère leurs menaces, et donne à tes serviteurs d’annoncer ta Parole avec une entière assurance’ » (Ac 4, 24-29). Il n’est donc pas douteux que le psaume montrerait ce que la prophétie annonçait bien avant le temps (de sa réalisation). Ainsi, tandis que s’allièrent Hérode et Ponce Pilate, les nations frémirent et méditèrent ensemble de vains projets avec les rois et leurs chefs qui se liguèrent en se mettant d’accord. En effet, par un commun accord passé entre le Préteur et le Tétrarque, fut confirmée par un jugement de condamnation contre le Seigneur, sa Passion.

6. Certes, c’est avec exactitude que, selon la science prophétique, le caractère propre de chacune de ces paroles correspond à chaque genre et à chaque dénomination, en sorte que « les nations s’agitèrent en frémissant », d’un mouvement malhabile et d’un tremblement confus, tant et si bien que ceux qui entouraient et entendaient le Fils de Dieu sous son aspect corporel, rugirent en frémissant à un point tel qu’ils lui enfoncèrent sur la tête une couronne d’épines, se moquèrent de lui l’ayant revêtu d’un vêtement de pourpre royale en lui adressant l’hommage et les salutations dues à un roi ; ils lui frappèrent la tête à coups de roseaux, l’abreuvèrent de vinaigre et de fiel, lui ouvrir le côté de leur lance. La cohorte des soldats qui était soumise à Pilate agit ainsi sous l’effet d’un frémissement de colère sans retenue.

7. Tandis que « les peuples méditaient de vains projets », c’est-à-dire vainement tournés par la méditation vers de vains enseignements sur Dieu, alors que, par la méditation de la Loi, ils étaient inaptes à comprendre celui qui était annoncé par la Loi. En effet, cela étant, alors qu’à partir de la Loi, par la génération selon la chair d’Abraham, non seulement le peuple de la synagogue abondait en nombre, mais il abondait aussi à partir de beaucoup d’autres peuples. Dans l’unique Israël, par ce nom de peuple, la diversité des nations était contenue. C’est cela qui était écrit dans le Livre des Actes : « Or, il y avait à Jérusalem des juifs, hommes craignant Dieu, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel » (Ac 2, 5). C’est pourquoi, ces peuples-là, ainsi désignés, qui « méditaient de vains projets », se trouvent, à partir de beaucoup de nations, rassemblés en un seul peuple.

8. « Les rois de la terre se dressent » aussi, à savoir Pilate et Hérode - nous devons comprendre qu’ils représentent les rois de la terre ; l’un et l’autre offraient le devoir de leur présence par l’obligation du respect dû aux lois qu’ils présidaient. Cependant, ceux-ci complotaient contre le Seigneur en s’appuyant sur de multiples groupuscules mus par une inspiration impie et opposée à la religion. Ces princes se réunirent ensemble et fréquemment, « en plein accord », dans la maison de Caïphe avec tous les princes des prêtres réunis. Ensuite sont nommés « les rois de le terre » : Hérode le Tétrarque et Pilate le Préteur, car pour le respect du droit de l’empereur terrestre, ils « se dressèrent » pour rendre justice. D’autres, cependant, qui se rassemblèrent en se mettant d’accord, ne sont ni « rois de la terre », ni « princes des prêtres », car, ni les préteurs romains, ni les tétrarques qui leur étaient subordonnés, ne possédaient pour eux-mêmes le droit de régner ; déjà les « princes des prêtres » ne méritaient plus d’être appelés tels, car ils s’étaient montrés impies contre Dieu et contre le Seigneur dans l’exercice même de leur sacerdoce.

9. Il n’y a là aucune équivoque : c’est bien, selon l’autorité apostolique, à partir de la personne même de Dieu le Père que ce psaume a été entrepris. En effet, lorsque les fidèles se sont exprimés en disant : « Toi qui par la bouche de notre père David, ton saint serviteur, as dit »… Pour cela, en vue de comprendre qu’il y a là un changement de personne, une pause (diapsalma) a été placée dans le texte à cet endroit par les traducteurs (LXX), bien que dans les livres hébreux, elle ne soit pas maintenue. Donc, le changement de personne doit être compris comme concernant la personne des apôtres qui disent : « Rompons leurs liens et rejetons loin de nous leur joug ». Il va de soi que ce que les fidèles réunis avec les apôtres dénoncent, ce sont ceux qu’ils exècrent. Ce sont donc ceux qui « frémirent et qui ont médité de vains projets » ; ces liens, ils les rompent et ce joug, ils le rejettent. Pas d’équivoque dans le fait que ne diffèrent pas le rejet du joug et la brisure des liens ; l’un et l’autre convient à ce que de l’un et de l’autre nous avons dit plus haut à propos du genre et de l’appellation, de sorte qu’ils rompent les liens des nations païennes, mais aussi qu’ils rejettent le joug des peuples ; car les nations païennes sont ligaturées par les liens de leurs péchés desquels elles ne peuvent se défaire dans l’infidélité, selon ce qui nous est dit au livre des Proverbes : « Le pécheur sera retenu par les liens de son péché » (Pr 5, 22). En vérité, les juifs sont écrasés aussi par le joug de la Loi, ce que les apôtres écartent d’eux-mêmes. L’Apôtre Pierre le dit : « Maintenant donc, pourquoi mettez-vous Dieu à l’épreuve en imposant sur le cou des disciples un joug que ni nos pères, ni nous-mêmes, n’avons eu la force de porter ? » (Ac 15, 10). C’est donc ce joug des peuples qu’ils écartent d’eux-mêmes, car ils y furent soumis. Quant aux liens qu’ils veulent rompre, cela ne les concerne pas eux-mêmes, mais les païens. Ainsi est-il rendu compte de l’une et de l’autre parole, de telle sorte que là où les liens sont rompus, personne n’ajoute d’autre signification de son propre cru, et que là où il est dit qu’ils rejettent le joug - ce qui est à comprendre : ’nous rejetons ce joug de nous-mêmes’ -, ne soient comprises d’autres choses que ce qui est dit ; cela pour que ce qui est rejeté de lourd et d’intolérable soit remplacé - pour ceux-là qui y sont invités -, par un joug suave et léger ; qu’ils se soumettent au joug de la sanctification évangélique, et que, par la liberté qu’apporte la prédication, les liens des païens se brisent : ce que, dans le même psaume, est rappelé par les apôtres lorsqu’ils disent : « Et maintenant, Seigneur, considère leurs menaces, et donne à tes serviteurs d’annoncer ta parole avec une entière assurance » (Ac 4, 29). Ce sont là, en effet, les enseignements apostoliques qui brisent les lacets de toutes les infidélités peccamineuses.

10. Parce qu’une double personne est considérée, plus haut, lorsqu’il est dit : « Contre le Seigneur et contre son Christ », il s’en suit aussi en réalité une double signification de ceux dont le Seigneur se rit et de ceux dont il se moque. Il n’y a pas en effet à dissocier l’outrage fait à l’un et à l’autre, au Seigneur et à son Christ, ni à séparer l’honneur du culte religieux dû aux deux. En effet, ceux qui par une légitime et innée nature du Père et du Fils sont également un, le sont encore dans l’injure qui leur est adressée par celui qui méprise comme dans l’honneur révérenciel ; et l’un dans l’autre ou bien est honoré, ou bien est méprisé. C’est cela même dont le Seigneur témoigne lorsqu’il dit : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie qui il veut. En effet, le Père ne juge personne, mais tout le jugement, il l’a remis au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Qui n’honore pas le Fils, n’honore pas davantage le Père qui l’a envoyé » (Jn 5, 21-23). L’honneur n’est pas distingué, l’affront n’est pas différencié. Une égale adoration religieuse est attendue à l’égard des deux, et l’outrage envers l’un est un affront rendu à l’autre. Ainsi, comme le mépris atteint l’un et l’autre - puisqu’ils sont un en divinité comme en gloire -, ils sont un dans le devoir religieux qui doit leur être rendu comme dans l’honneur qui leur est dû. Dès lors, ceux qui « se sont assemblés contre le Seigneur », se sont aussi « rassemblés contre son Christ » ; et le Christ, habitant au ciel, se rit d’eux, de même que le Seigneur s’en moque.

11. Non que le Seigneur ne soit pas toujours dans le ciel, car il en témoigne par lui-même : « Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel » (Jn 3, 13). Il n’est donc pas absent du ciel car, lorsqu’il descendra du ciel, le Fils de l’homme, demeurant et parlant dans le ciel, sera cependant celui qui dit ces mêmes paroles ici-bas. En vérité, le Fils de l’homme « descendra », mais, par la puissance de sa nature, il ne manquera pas d’être le Fils de Dieu. C’est pourquoi il « descendra », non qu’il ne soit pas ce qu’il était antérieurement lorsqu’il est né homme, ni qu’en assumant le fils de l’homme qui a été fait, le Fils de Dieu perdît de son être propre. Bien plus encore, le Fils de l’homme est le Fils de Dieu, de telle sorte que, descendant du ciel Fils de Dieu par la réalité même de sa puissance (per uirtutis suae substantiam), le même soit Fils de l’homme dans le ciel.

12. Mais, distinguant les personnes et voulant signifier que le Père qui, par son Fils, se trouve également dans le Fils de l’homme sur terre, demeurerait dans cette éternelle et bienheureuse session et reposerait sans aucune partition impliquant un quelconque déclin, le Prophète (i. e le Psalmiste) poursuit : « Celui qui habite dans les cieux s’en amuse et le Seigneur s’en moque », afin que celui qui se rit soit compris comme étant celui qui habite au ciel, et que le Seigneur qui se moque soit du ciel. Pas de différence cependant entre « se moquer » et « rire ». L’un et l’autre en effet, selon le mouvement affectif de la volonté se réalise par le ministère de la bouche ; car, selon le processus de compréhension de notre intelligence, c’est par les représentations corporelles qu’est expliqué le sens des réalités divines, afin que, par la moquerie et le rire qui atteignent ceux qui sont tournés en dérision, soient désignés ceux qui « se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ » ; non que, dans un Dieu incorporel se rencontrât une réfutation de bouche ou un affront dont témoigne la bouche, mais pour que nous connaissions, à partir de l’usage habituel de notre nature, à quel jugement de la divine volonté lancée contre les impies, ceux-ci s’exposeraient. Ils sont donc « moqués » et « ridicules ». En effet, ceux qui avaient produit de faux témoins, qui avaient acheté le traître, qui avaient fait retomber sur lui et sur ses enfants le sang du Fils de Dieu, ceux qui avaient crié : « Crucifie-le ! », qui avaient adressé au Christ en croix ces paroles : « Descends de la croix si tu es le Fils de Dieu », qui avaient scellé le sépulcre, ceux qui avaient acheté le silence des soldats concernant la résurrection et la légende du vol du corps, tous ceux-là auront conduit en pure perte un tel labeur d’impiété. Il est Dieu celui qu’ils fixèrent à la croix. Il est éternel celui dont ils scellèrent le sépulcre. L’impiété est ridicule tant qu’elle s’efforce d’établir comme légal ce qui est illicite ; tant qu’elle recherche ce qui est défendu, tant qu’elle congédie ce qu’elle avait espéré tenir, jusqu’à ce qu’elle reconnaisse que celui-là même est Dieu qu’elle condamna comme homme.

13. D’où l’à propos de ce qui suit : « Alors, il leur parle dans sa colère, dans sa fureur, il les épouvante ». En effet, après que, ressuscitant comme Dieu d’entre les morts, lui sur qui la mort était tombée du fait de la forme du corps qu’il avait assumée, la témérité de la stérile impiété est raillée, et Dieu parle avec indignation à ceux dont il s’était moqué ; il les « épouvante ». Avant que nous ne montrions que cette parole de colère existe et que cette perturbation indignée se manifeste, il convient que lecteurs et auditeurs soient avertis, de peur qu’ils ne croient qu’en Dieu se présentent des mouvements passionnés et des motions troublantes. Rien, en effet ne survient dans cette éternelle et parfaite nature qui ne soit celui qui est ainsi, de telle sorte que ce qu’est cette nature - sa manière d’être telle -, soit de toujours, et qu’on ne pense pas que quelquefois elle puisse ne pas être la même mais être quelque chose d’autre que ce qu’elle est depuis toujours. Les causes terrestres et imparfaites possèdent cela même qui leur est propre : elles sont sujettes au changement par mutation de nature lorsque l’affliction perturbe l’allégresse, la colère l’égalité d’humeur, l’offense la bienveillance, l’envie l’égalité, l’inquiétude la sécurité ; et, par ces mouvements de nature, nous sommes autres que ce que nous étions hier, lorsqu’un autre mouvement de désir trouble notre état présent et se glisse dans la capacité affective de notre esprit par suite de notre inconstance et de notre faiblesse. Alors, un retournement imprévu nous transforme de que nous étions en ce que nous sommes devenus. Cependant, Dieu qui est bienheureux et parfait n’a pas besoin d’accroissement, lui auquel rien ne manque : un changement ne peut faire de lui un nouvel être, lui qui, comme Principe, ignore le changement. Lui-même est qui il est, ce qu’il est, et non d’ailleurs que de lui-même. Il est en lui-même, avec lui-même, de soi, sien pour soi, et lui-même. Étant toute chose pour soi-même, il se passe de tout changement vers un état neuf. Il n’a rien conservé d’autre que ce qui en lui peut advenir, du fait même que lui-même est tout entier le tout pour soi-même.

14. Toutes les créatures célestes et invisibles, la création des êtres spirituels et corporels proviennent donc de cette excellente et bienveillante béatitude qui nous vient par Notre Seigneur Jésus-Christ, non pas qu’à partir de ces créatures il partagerait leur origine pour acquérir à son endroit quelque progrès. En effet, il ne manque pas pour lui-même de quelque chose qu’il attribua (à d’autres êtres) ou ce par quoi il fait progresser ce dont il est l’auteur. Cependant, elles lui sont extérieures les choses qui apportent un progrès parce que celles qui portent remède à la disette viennent d’autrui. Dieu donc, de qui tout ce qui existe provient, ne manque d’aucun des biens dont il est le munificent dispensateur. En vérité, il a créé toute chose pour l’accroissement de ces réalités qui enfantent un progrès. Et, parce qu’il serait trop long de commencer à parler des êtres célestes et invisibles, nous traiterons, à partir de nos propres réflexions, de ceux vers lesquels le psaume oriente la prophétie.

15. Dieu forma l’homme, non que par son office il comblât un manque en quelque chose, mais, parce qu’il est bon, il le créa participant de sa béatitude et, animal rationnel, il le perfectionna par la vie et la sensation pour qu’il puisse bénéficier des largesses de son éternité. Cela se comprend parfaitement à partir des oracles eux-mêmes. Il est dit en effet : « Et maintenant Israël, qu’est-ce que le Seigneur ton Dieu exige de toi, sinon de craindre le Seigneur ton Dieu, de marcher dans toutes ses voies, de l’aimer, de servir le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, d’observer les commandements du Seigneur ton Dieu et ses ordonnances que je te prescris, pour que tu en tires du bonheur ? » (Dt 10, 12-13). Dieu ne nous demande nulle autre chose que l’obéissance de la foi, dans l’innocence et la pratique du culte à lui rendre. Il exige d’être aimé de nous, non pas, assurément, qu’il perçoive lui-même quelque fruit de notre amour envers lui - qui est d’ailleurs suscité par lui -, mais bien plus par l’amour même qu’il a envers nous qui nous fera l’aimer, lui, dans le futur. En effet, il attend d’être aimé et nous en fait un devoir d’obéissance à son égard, pour cette raison que nous puissions en tirer du bonheur, et que nous soyons juges sur le mérite de notre amour envers lui et de notre obéissance, sous l’effet du don de sa très digne béatitude et de sa bonté. Cependant, l’usage de la bonté, comme la splendeur du soleil, comme la lumière du feu, comme l’odeur du suc, ne profite pas à celui qui offre mais à celui en jouit. Donc, ce que nous sommes, est le produit de notre croissance dans l’amour plutôt que celle de celui qui nous a établi dans ce que nous sommes, car, ne nous jalousant pas de ces biens qui en lui sont éternels, Dieu accepte pleinement l’usage, partagé avec nous, de sa bienheureuse bonté.

16. Mais celui qui est parfaitement bon s’est servi de sa bonté et de sa béatitude à notre égard non sans raison, ni sans un mode approprié. En effet, il a confié à chacun sa liberté de vie et de pensée, ne laissant pas clouée à la nécessité l’une ou l’autre (vie ou pensée) de telle sorte qu’une loi forcerait chacun, de par sa nature, à être bon ou mauvais ; mais celui qui nous créait par la bienveillance de sa béatitude effectivement propre à servir, constitua pour nous la capacité de croître dans l’être vers la participation à la béatitude, par le mérite d’une vie innocente et honnête. Mais de quoi la nécessité d’une bonté d’honneur et de profit serait-elle méritante, alors qu’une certaine force qui nous est conjointe serait inefficace pour s’opposer à la naissance des maux ? Donc, la bonté octroyée à la volonté est qu’une volonté de bien acquérrait pour soi une récompense et serait pour nous une croissance dans cette béatitude éternelle et sa jouissance basée sur le mérite de chacun, et non pas une nécessité confondue avec la loi. Ainsi, quand Dieu attire quelqu’un de nous à la volonté de faire le bien - c’est à dire à vivre bien et honnêtement dans l’espérance de devenir digne de jouir de sa bonté -, il y joint cependant à la bonté dont on se serait détourné ou que l’on aurait méprisée, une peine, afin que, tandis qu’il reste pour nous la liberté de mériter cette bonté puisque la nécessité de nature ne possède pas de mérite, la terreur de la peine entrevue rendrait plus évidente au contraire la liberté elle-même offerte au quotidien. Ainsi, la liberté est accordée à la fois par la raison de l’homme équitable et juste en vue du mérite de la récompense, et par la bonté de Dieu ; le droit à la liberté est resserré dans la crainte d’une disposition établie, en sorte que l’espérance exhorterait au mérite de vouloir le bien et persuaderait, à cause de la peine du châtiment envisagé, de ne pas vouloir le mal.

17. C’est pourquoi il semble que, pour ceux à qui, dans l’usage libre de leur volonté, la malice plaît davantage, le châtiment se manifeste comme colère de Dieu, non parce que cette immuable et tranquille nature de Dieu s’échaufferait sous l’effet d’un mouvement de violence furieuse, mais du fait que celui qui, sous la condition de la peine demeure dans la peine, perçoive pour lui-même que l’auteur de cette condition est lui-même irrité. En effet, on estime que la peine de celui qui souffre est colère de celui qui juge. Ainsi, Dieu est irrité lorsque, par la douleur éprouvée de la peine, ceux qui sont punis ressentent en eux l’effet de la colère du jugement, colère qui se produit non par un changement de nature d’une clémence devenue furieuse et qui se transforme en colère, mais d’une colère qui se doit de punir par la constitution même de la peine. Cette condition de la peine est nommée colère. Cela est indiqué dans l’Évangile lorsque Jean dit : « Engeance de vipères ; qui vous a montré à fuir la colère prochaine ? » (Mt 3, 7). En effet, alors que la dette qu’ils encouraient par leur impiété leur imposait d’être punis - c’est la condition même de la peine -, ils fuyaient cette colère future par la confession pénitentielle. L’Apôtre aussi se souvient de cette colère lorsqu’il dit : « Si en effet, lorsque nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous, combien plus, maintenant, justifiés par son sang, serons-nous par lui libérés de la colère » (Ro 5, 10). Il montre ainsi - c’est évident -, que la colère c’est la peine d’une condition qui demeure encore.

18. C’est pourquoi le Dieu susceptible d’être changé, ne se prête pas à un changement eu autre chose ou à partir d’un autre pour être lui-même transmuté en une nature incertaine et inconstante. Non, il demeure comme il est celui qui dira : « Je suis qui je suis ; je ne change pas » (Ml 3, 6). Bienheureuse cette bonté parfaite d’une puissance éternelle qui ne souffre pas le retournement et n’est pas changée par un autre en autre chose par un mouvement d’inspiration accidentelle. Cela, le prophète en témoigne de même lorsque, parlant sous la motion de l’Esprit-Saint, il dit : « Dieu est un juste juge, fort et magnanime. Pourquoi est-il courroucé chaque jour ? Si l’on ne revient pas, il aiguise son glaive ; il tend son arc et le tient prêt. En lui-même il prépare des engins de mort, il rend ses flèches incendiaires » (Ps 7, 12-14). Ce n’est donc pas pour se mettre en colère que le Seigneur magnanime se transforme, mais le puissant juge a décidé de la peine en vue de la faute. En effet, ce n’est pas envers ceux qui se convertissent qu’il aiguise son glaive et tend son arc, qu’il prépare des engins de mort et rend ses flèches incendiaires" (ibid. vv. 13-14). Cependant cette confection de flèches incendiaires n’est pas provoquée par une soudaine explosion de colère imprévue qui se serait allumée sous la poussée d’un désir subit de vengeance, mais pour réaliser le passage par le feu de ceux qui se maintiennent dans une volonté impénitente se constituant eux-mêmes comme devant être purifiés par le feu. Et pour ceux qui ne se convertissent pas, le glaive du Seigneur est aiguisé, non que, sous l’effet d’un changement le portant à la colère, il se déclarerait contre chacun en particulier - celui qui est magnanime ne peut être en colère chaque jour -, mais parce qu’il a décidé le jugement, son glaive est déjà prêt du fait de la constitution de la peine. Cependant, les mystères spirituels eux-mêmes du jugement pénal sont évoqués par le glaive, l’arc et les flèches qui, parce qu’elles ont été préparées pour incendier, n’ont pas été préparées à partir d’un mouvement de colère temporaire, mais, par l’uniformité très égale de sa bonté, Dieu a modéré l’usage de ces flèches prévues par la constitution très modérée du décret.Il ne s’agit pas d’une sévérité cachée et inconnue hors de cette constitution qui n’est pas faite pour durer, ni d’une terreur divine pré-annoncée à l’encontre de ceux qui ont été dénoncés, mais il s’agit de cette sentence même qui, quoique constituée, doit être cependant retardée sous l’effet d’un long ajournement concernant la pénitence due au péché.

19. C’est pourquoi, après que les peuples aient frémi, que les rois se soient présentés, après que les peuples aient mûri de vains projets et se soient réunis contre le Seigneur et contre son Christ, après qu’ils aient été aussi moqués et ridiculisés, notre texte poursuit : « Alors il (le Seigneur) leur parle en sa colère et dans sa fureur, il les épouvante » (Ps 2, 5). Mais le Seigneur a toujours l’habitude de parler de cette manière « dans sa colère ». Nous en donnerons un seul exemple très puissant qui illustre la doctrine prophétique, lorsqu’Isaïe annonce : « Écoutez la parole du Seigneur, Princes de Sodome. Soyez attentifs à la parole de Dieu, peuples de Gomorrhe. Que me font à moi la multitude de vos sacrifices, dit le Seigneur ? Je suis rassasié. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux gras, le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’en veux pas ! Quand vous venez pour paraître - qui vous a demandé en effet ces œuvres de vos mains ? -, pour fouler mes parvis, pour mettre tout cela devant moi. Si vous continuez à m’apporter des oblations, cela est vanité ; l’encens est pour moi une abomination. Néoménies, sabbats, convocations… Je ne peux endurer vos jeûnes et vos festivités. Vos néoménies et vos solennités, mon âme les déteste. Ce que vous faites-là pour moi m’est désagréable et d’un poids encombrant ; je suis fatigué de le supporter. Quand vous étendez les mains, je ferme les yeux devant vous ; vous avez beau multiplier la prière, je n’écoute pas. Vos mains sont pleines de sang » (Is 1, 10-15).Il est vrai que sous cette véhémence pleine de colère, la magnanime parenté d’Abraham est appelée « Princes de Sodome » ; Israël, l’élu auquel est destiné l’héritage, est dit « peuple de Gomorrhe » ; les victimes offertes sont dites irrecevables, les solennités abominables, les jeûnes portant au dégoût et à la lassitude, les yeux portés à se détourner des modes d’invocation, les oreilles à se fermer à la supplication des priants, car « leurs mains sont pleines de sang ». Y a-t-il plus grand poids que cette menace ? Quoi de plus sévère ? Mais voyons de quelle manière Dieu parle dans sa colère.

20. Après ce qui vient d’être dit, voilà ce qui suit : « Vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de mes yeux la méchanceté de vos âmes. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, libérez l’opprimé, rendez justice à l’orphelin, à la veuve, et puis venez et plaidons, dit le Seigneur ; et quand vos péchés seraient comme l’écarlate, je les blanchirais comme neige ; s’ils ont été rouges comme la pourpre, je les rendrai blancs comme la laine. Si vous le voulez et si vous m’écoutez, vous mangerez les bons produits de la terre. Si vous ne voulez pas, et si vous ne m’écoutez pas, le glaive, lui, vous mangera. La bouche du Seigneur a parlé » (Is 1, 15-20). La bienveillance fait suite à l’effroi. Pour ceux auxquels la punition de la faute est réservée, la bienheureuse confession de la conscience pénitente leur reste encore offerte. En effet, Dieu ne rend pas aussitôt impossible par l’effet de sa colère le retour de quelqu’un, mais il parle, et la peine est encore dissimulée ; ce n’est qu’alors seulement, qu’irrité, il confond (le pécheur qui ne revient pas). Car ceux qui étaient comme l’écarlate et la pourpre, ayant perdu leur teint naturel par leurs mains surabondamment maculées de sang, ceux-là retrouveront la blancheur de la neige et prendront la robe des bienheureux vêtus de blanc. En vérité, cela se trouve conjecturé avec audace dans l’ancien Testament. Et nous voyons encore, dans le nouveau Testament, qu’une telle colère de Dieu doit être comprise comme devant sauver.

21. En effet, à ceux que Jean (Baptiste) impute à crime d’être une « race de vipères » du fait de la malice qu’ils recèlent en eux et qui leur vient de l’impiété de leurs pères, il leur est ainsi parlé afin que, avertis, ils se tournent vers le salut : « Produisez donc un digne fruit de repentir » (Mt 3, 8). Le Seigneur dit aussi lui-même : « Venez à moi vous tous qui peinez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai » (Mt 11, 28). Cependant, à ceux qui « frémissent » contre lui, non seulement lors de sa Passion mais encore après sa Passion, qui, sans s’en tenir à « se liguer ensemble », aspirent à la persécution de l’Église, à la fuite des Apôtres, au massacre des martyrs, Dieu, irrité, leur parle ainsi : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Et Saul de lui dire : « Qui es-tu, Seigneur ? » Et le Seigneur de répondre : « Je suis Jésus de Nazareth, celui que tu persécutes » (cf. Ac 9, 4-6). Et lui, tremblant et effrayé de ce qui venait de lui arriver, dit alors : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » Ainsi, le Seigneur parle-t-il de la sorte, et, dans son irritation, il « trouble » profondément Saul, afin que, à ceux-là mêmes dont la peine est décidée en raison du démérite de leur impiété, la crainte et l’effroi servent d’avertissement pour devoir y mettre fin.

22. Mais le Prophète n’a pas passé sous silence cette prédication essentielle et largement répandue (dans l’Écriture) ; il s’est fait un devoir de parler de colère et d’irritation de Dieu dans le dessein d’une remise en cause. En effet, après avoir dit : « Alors, il leur parle en sa colère, dans sa fureur il les épouvante », il ajoute pour montrer de qui vient cette parole de colère et que ce trouble est par lui enfanté : « Mais moi, j’ai été sacré Roi par Lui, sur Sion sa montagne sainte, annonçant son décret ; le Seigneur m’a dit : ’Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour ta possession, les confins de la terre. Tu les régiras avec un sceptre de fer et comme vase de potier, tu les fracasseras » (Ps 2, 6-9). Parlant en étant courroucé et jetant l’effroi par son indignation même, le Prophète tempère néanmoins la manière dont Dieu se met en colère et parle irrité. En effet, d’une part il ne dissimule pas la colère de cette surabondante puissance ; d’autre part, il n’outrepasse pas sa bonté, faisant passer devant elle l’effroi afin que la crainte que Dieu inspire ainsi nous dise de revenir à la piété envers celui dont la puissance était prouvée. « Frémissants », ils sont donc « épouvantés », et vaines se révèlent leurs méditations projetées dès lors qu’ils reconnaissent le Roi, qu’ils entendent le Fils de Dieu, qu’ils le savent possesseur des extrémités de la terre et héritier des nations, lorsqu’ils reconnaissent en lui le droit de devoir régner avec un sceptre de fer et comprennent qu’il peut fracasser les peuples à la manière dont on brise facilement des vases d’argile. Ainsi, irrité, il parle ; indigné, il fait trembler, ne châtiant pas l’impiété commise, mais troublant l’impénitent par l’évocation de l’effroi de sa puissance pour l’amener à la confession de pénitence.

23. D’autre part, bien que par l’esprit de prophétie les hauts faits soient conservés à la mémoire, parce qu’il est habituel que Dieu selon une providence non feinte des événements qui doivent être conservés entende signifier les événements futurs en considération des événements passés, il peut être parfaitement compris que toutes ces choses aient été dites en référence à la personne de l’Unique Engendré, le Fils de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ, et que la plus grande infidélité consisterait à donner à ces événements le sens hésitant d’une opinion équivoque, même s’il est montré par les évangiles et les enseignements des Apôtres, que ces faits qui devaient être conservés et prêchés, n’avaient pas été prophétisés antérieurement, alors qu’une faute d’interprétation - et non la moindre -, se levait surtout chez les ignorants et les simples à propos de ce qui est dit : « Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ». En effet, puisque l’Unique Engendré Fils de Dieu demeure avant les temps, il ne convient pas et cela ne concorde pas avec les Écritures de comprendre cette parole comme s’il devait être engendré en un jour du temps, vu que chaque jour se trouve placé dans le temps. Car les temps, selon la connaissance prescrite pour nous par Moïse, sont mesurés par leur mouvement et leur cours depuis l’origine des siècles en référence à une loi établie puisqu’ils sont divisés en moments, heures, mois, années qui, par succession, reviennent sans cesse - et le temps est institué à partir du temps - : le mutuel relais des temps engendre et clôt tous les temps. A cause de cela, le jour est dans le temps, jour par lequel le temps universel ébauché cesse, et cessant, il commence à nouveau. À la vérité, l’Unique Engendré, le fils de Dieu, comme Verbe de Dieu, est ainsi le Dieu-Verbe ; non pas comme dépendant du temps, mais avant le temps ; non pas en quelque chose, mais avant toute chose. En effet, il était lorsque les temps ont été faits, vu que c’est lui qui les fera. Il était donc toujours, sans discontinuité. Car il n’est pas défini dans le temps et n’est pas soumis au nombre ; mais par lui, origine de tous les êtres, toute chose peut être dite « exister ». Lui-même, par l’origine de son infinie éternité, comme engendré depuis l’éternité, continue d’être. Ainsi donc, les paroles prophétiques qui disent : « Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré », peuvent être saisies - l’autorité évangélique et apostolique nous étant offerte -, pour que nous comprenions ces paroles ou bien venant du prophète en vue de l’Apôtre, ou bien de l’Apôtre venant du prophète. Mais c’est la même règle qui doit être tenue : celle des écrits évangéliques. C’est la règle d’interprétation du psaume.

24. Il y a donc d’abord ceci : « Mais moi, j’ai été sacré roi par lui, sur Sion, sa sainte montagne ». Et je ne pense pas qu’il soit sage de contester que le Christ soit roi, puisque le larron confesse ce fait du Christ Roi lors de la Passion et de la croix : « Souviens-toi de moi, Seigneur, lorsque tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23, 42). Mais la confession du larron déclarant publiquement que le Christ est Roi ne serait pas un fondement suffisant. Les Mages, qui viendront l’adorer, l’attestent encore lorsqu’ils interrogent : « Où se trouve le Roi des juifs, celui qui vient de naître ? » (Mt 2, 2). En témoigne aussi Pilate, interrogeant Jésus : « Tu es le Roi des Juifs ? » (Mt 27, 11). Le Seigneur le déclare lui-même en répondant : « Tu l’as dit » (ibid.). Interrogé, il ne nie pas qu’il est roi, pas plus qu’il ne nie être glorifié en devant être humilié jusqu’à la mort. Comme la confession n’existe pas sans une réponse à la question posée, de même, sans dévoiler qu’il est le fondateur de son état royal, il ne refuse pas de dire la vérité à celui qui l’interroge.

25. Mais il ne suffit pas d’avoir répondu qu’il est Roi ; il nous faut encore entendre une réponse à cela : quel est donc celui-ci qui est roi ? Le Grand-Prêtre interroge Jésus sous le sceau du serment, disant : « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu » (Mt 26, 63). Jésus lui dit : « Tu l’as dit » (ibid. v.64). Une fois encore, l’interrogation n’est pas rejetée, mais l’abus de paroles et la glorification de soi dans une proclamation spontanée est évitée. Pour autant, la vérité recherchée n’est pas niée. Ainsi, la réserve dans l’humilité et la confession de la vérité sont associées pour que soit réalisé et le devoir de répondre, et la prise de connaissance à partir du questionnement. Mais est attendu celui qui apportera enfin un accroissement à cette réponse : que le Christ est le Fils de Dieu. Assurément, ce qui suit va le dire : « Tu l’as dit ? En vérité je vous le dis, désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel » (Mt 26, 64 ; cf. Dn 7, 13). Celui qui est le Fils de l’homme, c’est lui-même qui est le Fils de Dieu : la noblesse de la nature (divine) ne dépérit pas dans l’assomption du Fils de l’homme. Ce n’est pas en effet pour cette raison qu’il n’est pas le Fils de Dieu pour être le Fils de l’homme. Ce n’est pas en effet avec la descente de la divinité que se réalise un accroissement d’humilité, ni par l’union conjointe à la faiblesse qu’est enlevé l’affront fait à la Puissance, car lorsque la faiblesse est reçue avec honneur, elle est gratifiée de puissance. Car le Fils de l’homme qui s’est assis à la droite de Dieu est contemplé « venant sur les nuées du ciel ». Par cette parole, la prophétie est consommée, elle par qui il est dit : « Le Seigneur (Dieu) a dit à mon Seigneur (le Messie) : Siège à ma droite jusqu’à ce que je place tes ennemis comme un escabeau sous tes pieds » (Ps 109, 1).

26. Donc, ce Roi constitué tel sur la sainte montagne de Dieu, annonce par avance ce que le Seigneur lui attribuera, non pas assurément sur cette montagne d’une cité ruinée - à savoir cette Jérusalem pleurée par beaucoup, homicide et parricide -, mais Roi de cette Jérusalem céleste (cf. Ga 4, 26 ; Mt 5, 35), qui est notre mère : la cité du grand roi (cf. Ps 47, 3) dont - comme je le pense -, ceux qui se relèvent après le passage par la Passion du Seigneur l’habitent aujourd’hui. C’est pourquoi, l’ordre du Seigneur annonce que ce Roi sera constitué tel pour que, lorsqu’il viendra sur les nuées du ciel, ceux qui frémissaient et se rassemblaient ensemble contre lui, se souviennent, et pour que, par la connaissance du divin avènement, ils se repentent, troublés et confondus au sujet de l’outrage imposé à ce corps d’humilité dont ils se seront moqués.

27. Cependant, l’enseignement évangélique de la prophétie maintient sa règle d’interprétation. En effet, dans cet écrit prophétique l’un et l’autre rapport est contenu, à savoir la raison de ce qui est dit ici : « Mais moi, je suis constitué roi par lui, sur Sion, sa sainte montagne ; j’annonce son décret. Le Seigneur m’a dit : ’Tu es mon Fils, moi aujourd’hui, je t’ai engendré’ » (Ps 2, 6-7). Car, quand il dit : « Désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance » (Mt, 26, 24), c’est le temps où le Fils de l’homme - qui est le Christ et le Fils de Dieu -, montre qu’il était digne de la session à la droite de Dieu, en sorte que celui qui était auparavant Fils de Dieu était aussi Fils de l’homme ; ce qui le constitue alors Fils de l’homme est en vue d’atteindre la perfection de Fils de Dieu, C’est-à-dire qu’il serait engendré pour reprendre la gloire de son éternité et en communiquer la bienveillance à son corps par la puissance de la résurrection, gloire que, dans son corps, il redemandait à son Père. En effet, celui qui était dans la forme de Dieu (Ph 2, 6), recevrait la forme d’esclave. Il la redemande avec chaleur cette gloire de Dieu pour cette forme d’esclave alors assumée et dans laquelle il demeurait : « Père glorifie-moi auprès de toi, de cette gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût » (Jn 17, 5). Il ne demande pas une nouveauté ; il ne désire pas quelque chose d’étranger à son être : être tel, c’est ainsi qu’il fut, et c’est ce qu’il demande ; mais demander dans la prière d’être ce qu’il était auparavant, c’est demander d’être enfanté à ce qui fut sien. C’est qu’il n’était pas alors tout entier le même, et c’est pour qu’il le fût qu’il priait. Mais ce qu’il demandait c’était bien de devenir tout entier ce qu’il avait été, non pas autre chose. Et comme il devient ce qu’il fut, et que ce qu’il n’était pas est futur, il naissait à ce qu’il avait été et à ce que tout entier il n’était pas, né en une sorte de nouveau commencement. C’est donc cela le jour de sa résurrection, jour où il devait assumer la gloire par laquelle il naîtrait à ce qu’il était avant le temps. Mais naissant à ce qu’il fut avant le temps, ce qui est né dans le temps est néanmoins ce qu’il n’était pas. C’est pourquoi le Fils de l’homme devait être vu désormais siégeant à la droite de la Puissance (Mt 26, 64), car la nature de la chair, glorifiée après la résurrection, serait entraînée dans une croissance en gloire lorsque le Fils de l’homme, siégeant avec le Père, la corruption de la chair étant absorbée dans l’immortalité, naîtrait Fils de Dieu comme vivant désormais et ne devant plus mourir.

28. Cependant, le bienheureux Apôtre Paul tient cette nouvelle génération dans le temps de la naissance (du Fils de l’homme) comme distincte, et il en donne une signification subdivisée (sous deux registres sémantiques). En effet, alors qu’il avait dit au sujet de cette bienheureuse nativité nullement circonscrite ni relative au temps : « Premier-né de toute créature, car en lui toutes choses ont été créées aux cieux et sur la terre, les êtres visibles et invisibles » (Col 1, 15-16), il rappelle encore que le Premier-né est aussi Premier-né par sa résurrection d’entre les morts, disant ensuite : « Premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait lui-même la primauté en toutes choses » (Col 1, 18). Il est né, en effet, à ce qu’il n’était pas, tandis qu’il deviendrait ce qu’il avait été. Il est ainsi Premier-né d’entre les morts, lui qui était Premier-né de la créature, à savoir Premier-né d’entre les morts, afin de demeurer Premier-né de la créature. Le même en effet est Premier-né d’entre les morts qui était Premier-né de la créature.

29. Il n’est pas autre maintenant qu’il ne fût auparavant quoiqu’il ait été lui-même autre à partir d’un autre, mais ce qu’il est d’un autre, il le fut aussi en cela même comme autre ; d’où son existence antérieure et sa renaissance comme autre. Car celui qui est né de la Vierge est homme, et il était cependant alors Fils de Dieu ; mais celui qui est Fils de l’homme, c’est le même qui était Fils de Dieu, né cependant de nouveau du baptême et alors Fils de Dieu, de sorte que, en sa personne même (de Fils de Dieu) et en un autre (comme Fils de l’homme), il naquît. Il est cependant écrit, que lorsqu’il remonta de l’eau (une voix se fit entendre) : « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Lc 3, 22). Mais, selon la génération de l’homme renaissant alors, c’est aussi le même qui renaîtrait de Dieu comme Fils parfait afin qu’ainsi soit mis sur le même pied dans le baptême et le Fils de l’homme et le Fils de Dieu.

30. Mais en réalité, ce qui suit : « Tu es mon Fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré », ne se rapporte pas à l’enfantement de la Vierge ni à la génération par l’ablution baptismale, mais l’autorité apostolique le met en rapport avec le ’Premier-né d’entre les morts’. En effet, dans le livre des Actes des Apôtres, il est ainsi affirmé : "Et nous, nous vous annonçons la Bonne Nouvelle qui est la Promesse faite à nos Pères ; Dieu l’a accomplie pour nous leurs enfants : il a ressuscité Jésus. Ainsi est-il écrit au psaume premier : ’Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré’, lorsque Dieu l’a ressuscité d’entre les morts pour qu’il ne retourne plus à la corruption (cf. Ac 13, 32-34). Donc, selon l’Apôtre, cette voix de Dieu le Père se manifeste au jour de la Résurrection. Eh bien, nous voyons que les évangélistes enseignent aussi semblable interprétation. En effet, dans son état de ressuscité, le Seigneur utilise de semblables paroles à l’adresse des apôtres : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28, 19). De fait, ressuscitant, toute justice lui échoit au ciel et sur terre ; et par les mots ’m’est donnée’, il indique qu’il avait sollicité ce qu’il a obtenu.

31. La suite du psaume porte en effet : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et en ta possession les confins de la terre » (v. 8). Il reçoit donc en héritage les nations qu’il avait sollicitées. Il le sollicite en effet lorsqu’il dit : « Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie. Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur toute chair pour qu’à tout ce que tu lui as donné, il donne à ceux-là la vie éternelle » (Jn 17, 1-2). Et encore : « Ce n’est pas pour ceux-là seulement que je prie, mais aussi pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi » (Jn 17, 20).

Donc, puisque c’est afin qu’il donne la vie éternelle à toute chair et que toutes les nations ayant reçu baptême et enseignement de la foi soient régénérées dans la vie, cet héritage qui est sien ce n’est pas que les nations soient remises à la domination des anges, selon le divin chant de Moïse, ni qu’elles soient réparties selon le nombre des fils d’Israël (cf. Dt 32, 8), mais qu’elles soient reçues dans la famille du Seigneur et remises à l’ensemble des familiers de Dieu, transférées d’une manière de vivre injuste, pécheresse et perverse sous la coupe des princes régnants, dans le Règne éternel et divin. De plus, il ne s’agit pas seulement d’une portion de l’Israël du Seigneur, ni d’une étendue restreinte de son héritage en Jacob, mais de toutes les nations antérieurement divisées et réparties selon le nombre des anges, constituant maintenant un seul peuple de Dieu et cette universalité de toutes les nations dans l’unité. Cet héritage est éternel ; il est celui de cet Héritier Éternel, Premier-né d’entre les morts, recevant l’héritage de tous ceux qui ressusciteront d’entre les morts.

32. Quant à ce qui suit : « Et pour possession tu auras les extrémités de la terre » (v.8), cela ne doit pas être considéré comme une répétition de la parole déjà dite, comme si la seule possession qui lui est donnée consistait dans les terres des habitants des nations. Il n’est pas dit en effet : « Et ta possession » s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre, mais cette possession consistera dans « les confins de la terre » eux-mêmes. Ce qui est borné diffère de ce qui borne. Ce n’est pas la même chose d’être limité et de limiter ; elle n’est pas univoque la manière de s’approprier un pouvoir et celle de le tempérer : autre la manière intérieure de recevoir, autre celle qui de l’extérieur mène les choses avec modération par une sorte de détour qui est sien et une interposition de bornes. En effet, ce n’est pas ainsi que la terre est plongée dans la profondeur, soit qu’elle s’étende en largeur, soit qu’elle s’élève en hauteur, en sorte que de toutes parts, mais différemment, elle soit entourée ou bien par un obstacle de la nature répandu autour d’elle, ou bien par un obstacle qui la met à ses pieds. En effet, l’abîme immense qui plonge ses racines dans l’étendue infinie des régions infernales la soutient, et le souffle des vents de l’atmosphère supérieure qui l’entourent la couvre de son ombre et l’investit. Mais qu’elle soit en elle-même suspendue dans l’abîme, le prophète en témoigne, disant : "Lui-même (le Seigneur Dieu) l’a fondée sur les mers et sur les fleuves l’a fixée (Ps 23, 2) ; et encore : « Le Seigneur a affermi la terre sur les eaux » (Ps 135, 6). Cette immensité répandue dans l’univers et quasi infinie, l’Ecriture a l’habitude de la nommer « abîme ». Ainsi, Jonas, à l’intérieur du monstre marin, dit en priant : « L’immense abîme m’a entouré de toutes parts » (Jo 2, 6). En vérité, cette immensité infinie qui, selon la spécificité du mot est entendue comme signifiée par le terme « abîme », est circonscrite par la puissance spirituelle de la divine substance, selon ce que dit l’Apôtre : « Car tout est en lui et par lui ; à lui la gloire dans les siècles des siècles » (Ro 11, 36).

Nous sommes renseignés par l’Apocalypse du bienheureux Jean sur le fait que de nombreux étrangers sont de cette région infernale et de ce vaste abîme sans fond lorsqu’il dit que nul, ni au ciel, ni sur la terre, ni sous la terre n’est reconnu digne d’ouvrir le Livre scellé (cf. Ap 5, 3-4). Assurément, il ne faut pas le comprendre comme signifiant le séjour des morts et de ceux qui sont ensevelis sur la terre - alors qu’il est montré que la troisième demeure ne se trouve pas à l’intérieur de la terre mais au-dessous de la terre et ne concerne pas ceux qui sont morts mais ceux qui vivent quelque chose en eux-mêmes de ce que l’auteur du livre de (l’Apocalypse) a désignés. Donc, lorsque la possession de la terre est donnée au Seigneur, ce n’est pas tant la terre qui lui est donnée que ceux auxquels la terre est assignée. Il reçoit les extrémités de la terre par lesquelles la terre elle-même est déterminée dans ses limites.

33. Le bienheureux Apôtre Paul, par la bouche de qui le Christ s’exprime, parle du mystère plénier de cette réalité. Il expose ce mystère en disant : « Lui qui était dans la forme de Dieu, n’a pas retenu comme une proie à ravir son égalité avec Dieu, mais il se vida de lui-même, prenant la forme de l’esclave ; ayant été reconnu comme un homme en en prenant la manière d’être, il s’humilia comme homme, se faisant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre, et aux enfers, et que toute langue proclame de Jésus-Christ qu’il est Seigneur dans la gloire de Dieu le Père » (Ph 2, 6-11). C’est pourquoi, demeurant dans la forme de Dieu, il prit la forme de l’esclave, à savoir homme né de Dieu, et, après la mort sur la croix, il fut exalté, recevant le nom qui est au-dessus de tout nom. En Dieu, en effet, parce qu’il n’y a pas d’autre nom au-delà de Dieu, il lui fut donné ce nom, et il fut élevé auprès de celui auquel il demandait d’être ce qu’il avait été auparavant. En effet, demeurant dans la forme de Dieu, il aura revêtu la forme de l’esclave.Ensuite, recevant en possession les confins de la terre, c’est-à-dire que pour qu’effectivement soit réalisé qu’ « au nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, sur terre, et aux enfers, et que toute langue proclame que Jésus est Seigneur dans la gloire du Père » (Ph 2, 11), lui sont donnés non seulement la terre mais le ciel même et l’abîme infernal, et, par cette terre, ceux qu’elle enferme. Et « aujourd’hui engendré » dans la gloire de Dieu le Père, il est né, c’est-à-dire que, tout en se maintenant dans la forme de Dieu qu’il détenait auparavant, l’assomption de la forme de serviteur rendait honneur à cette forme servile en récompense de sa mort. Il se produisit donc une naissance nouvelle quoique non-inusitée, lorsque, pour retrouver la gloire du Père, celui qui, à partir de la forme de Dieu était découvert dans la forme du serviteur, naîtrait « Premier-né d’entre les morts » (Col 1, 18).

34. Ensuite, le texte se poursuit : « Tu les broieras avec un sceptre de fer, comme vase de potier tu les fracasseras » (v.9). Beaucoup, qu’ils soient de ceux aux opinions malsaines, ou de ceux qui ignoraient la puissance et propriété spécifiques des paroles divines, ont pensé que ce verset 9 du psaume s’opposait à la bonté de Dieu, de sorte que ces nations que le Fils de Dieu avait demandées avec instance à posséder et qu’il avait reçues en héritage, voilà qu’il les régissait « avec un sceptre de fer » et les fracassait maintenant « comme vase d’argile ». Ce n’est pas en effet la marque de quelqu’un de bon que de donner et de recevoir avec l’intention de ruiner ; et celui qui préfère la pénitence des pécheurs à leur mort n’a pas à être jugé selon la manifestation de sa nature qui serait à faire s’il brise avec une verge de fer ceux qu’il exige qu’on lui donne en héritage.

35. De peur que quelque lieu de présomption impie et téméraire ne s’ouvre là, il convient d’abord de connaître les spécificités mêmes des paroles traduites dans la langue latine. En effet, ce qui se traduit pour nous : « Tu les régiras avec un sceptre de fer », ce terme « régiras » n’est pas en lui-même de teneur tyrannique et injuste, mais il indique une conduite rationnelle suscitée par un jugement de modération et d’équité, alors que la spécificité du terme grec rapporte, de la part de celui qui régit, un mouvement de l’âme plus modéré. Ce qui pour nous se lit : « Tu les régiras », se traduit pour les grecs : « Tu les feras paître », c’est-à-dire que tu les régiras pastoralement, à savoir que le soin de devoir les régir procédera d’un mouvement affectueux de l’âme du pasteur. Il est lui-même le Bon Pasteur en effet, celui dont nous sommes les brebis (cf. Jn 10, 11) et pour lesquelles il a déposé sa vie. Cependant, de peur que nous n’interprétions le « sceptre de fer » dans le sens d’un droit tyrannique, le sens propre du sceptre devra être trouvé à partir du nouveau et de l’ancien Testaments.

36. Le Bienheureux Paul écrivant aux Corinthiens les appelait par une exhortation appropriée et utile à la pénitence du fait de leurs nombreux péchés ; il leur dit : « Que préférez-vous ? Que je vienne chez vous avec des verges, ou bien avec charité et en esprit de douceur ? » (1 Co 4, 21). Est-ce que l’autorité du Prétoire était donnée à Paul pour qu’il menace de verges et qu’avec une charge de licteur il se rende présent à l’Église du Christ ? Ce n’est absolument pas ce que l’on doit penser. Mais parce que toute parole de Dieu nous retire de l’erreur en nous tournant vers la vérité, parole par laquelle nous sommes conduits, sous la menace et l’effroi causé par le juge, sur le chemin d’une vie sainte et innocente, elle est appelée « verge » en tant que moyen par lequel nous sommes corrigés afin de revenir à la discipline d’une crainte divine par l’avertissement d’un maître provident qui use d’une judicieuse modération. À ceux qu’il exhortait, le bienheureux Apôtre laisse le choix du conditionnement de sa venue : préfèrent-ils le voir se présenter en usant de la sévérité de la doctrine et de reproches, ou bien dans l’esprit de douceur ? Sans se départir de la modération, l’une et l’autre attitude était nécessaire pour que l’exhortation parvienne aux obéissants sous le mode d’une plus grande douceur, mais qu’aux arrogants ce leur soit un avertissement plus sévère. Ce qui est sûr, c’est que cela est conjecturé à partir de l’autorité du Nouveau Testament.

37. Cependant, cet enseignement sur ce qui est appelé le « sceptre » (uirga) est connu de l’ancien Testament. Il est dit : « C’est un sceptre de droiture que ton sceptre royal » (Ps 44, 7), car c’est la droiture d’un sceptre que d’être conduit par l’enseignement (de la foi) sur un chemin d’équité et d’utilité ; quant au « sceptre du règne », cela induit la nécessité pour cette même doctrine d’être un enseignement royal ; mais nous recevons du Seigneur lui-même la prédication sur le dit « sceptre » dans sa justesse et son utilité, lorsqu’il dit par Isaïe : « Un rameau [3]sortira de la souche de Jessé » (Is 11, 1). Et nul ne jugera à propos d’entendre le nom de « sceptre » dans un sens tyrannique et sévère. Et la parole prophétique poursuit : « Un rejeton (une fleur) poussera de cette racine, et l’Esprit de Dieu reposera sur lui » (Is 11, 1-2), pour que la suavité de la fleur estompe la sévérité du sceptre lorsque l’effroi de l’enseignement s’approche de chacun pour nous conduire à la parfaite béatitude. Ainsi, dans l’expression : « un sceptre régira les nations qui lui sont données », il n’y a rien de corruptible, de caduque, d’éphémère, mais ce sceptre sera de fer, c’est-à-dire plein de force, par la solidité très ferme de sa nature.

38. Donc, par ce « sceptre de fer », il régira, mais aussi brisera et broiera ; en effet, cela est encore plus exprimé par le caractère propre des mots grecs, selon les soixante-dix traducteurs du texte hébreu en grec. Il est ainsi écrit : « Comme vase d’argile tu les fracasseras ». Mais qu’il les broie ou qu’il les fracasse, ce n’est pas pour cette raison qu’il convient, je pense, qu’il les ait demandées en héritage en sorte qu’il broie et fracasse pour perdre et anéantir ; car pour lui, un cœur contrit est le meilleur sacrifice (cf. Ps 50, 19). Donc cette contrition et cette déchirure du cœur est celle qui met en pièces en nous les voluptés corporelles et prend l’avantage sur les vices du siècle ; elles nous rendent dignes du fait de la considération du Seigneur, selon le dire du prophète : "Dieu n’a point de mépris pour le cœur contrit et humilié. En comparaison avec le bris des vases d’argile, quelle solution se communique à l’intelligence pour en percevoir le sens ? En effet, ce n’est pas sans cause qu’il brise comme vase de potier et régit d’un sceptre de fer ceux qu’il avait demandés en héritage, à moins que, par l’exemple des deux termes de la comparaison, il soit montré que la cause d’une condamnation à une fragmentation de ce genre est appelée à faire grandir vers sa restauration le vase brisé.

39. Le Seigneur nous enseigne par Jérémie, le prophète, quelle est la nature de notre brisure en tant que vase d’argile venant de Dieu : « Debout, descends à la maison du potier, et là, tu entendras mes paroles. Je descendis à la maison du potier, et voici qu’il travaillait au tour ; le vase qu’il faisait entre ses mains se brisa ; de nouveau, il refit lui-même un autre vase selon qu’il lui plaisait de le faire. Et la Parole du Seigneur m’advint en ces termes : »Ne puis-je pas faire de vous comme ce potier vis-à-vis de ce vase, Maison d’Israël ?« . Oui, comme la glaise dans la main du potier, ainsi êtes-vous entre mes mains. Tantôt je parle à propos d’une nation ou d’un royaume, leur disant que je les frapperai et les anéantirai ; si ces gens se convertissent de leur mauvaise conduite, je me repentirais du mal que j’avais pensé leur faire. Tantôt je parle à l’adresse d’une nation et d’un royaume afin de les réédifier et de les replanter à nouveau. Mais ils font le mal devant moi, et n’écoutent pas ma voix. Je me repentirai donc du bien que j’avais pensé leur faire » (Jr 18, 1-10).

Ainsi, que tu demandes et obtiennes les nations de son héritage, Dieu frappe et brise afin de réformer. Il brise en effet en toutes choses toutes les cupidités insatiables, les lascivités séduisantes, les colères bouillonnantes, les superstitions sans consistance, les enflures disproportionnées et les opinions impies. Mais il nous réforme dans le sens d’un usage raisonnable de la vie en méprisant l’argent, nous rendant à la vie par le passage du luxe à la pudeur, de la colère à la modération, nous rendant l’accès au vrai par la science, à la communion par la manière de vivre et par les devoirs religieux, lorsque par la conduite tirée de la doctrine et l’effroi suscité par la perspective du jugement, dans ces vertus énoncées plus haut, il nous reconstitue après le rejet des vices. Il ne dit pas en effet : « Comme le potier, je briserai le vase », de peur que par un morceau témoin le vase ne soit jugé irréformable. Mais il parle de « vase de potier » (v. 9b), de ce vase qui sera fait du labeur de l’artisan, afin que, selon ce lumineux exemple, la réparation de ce même vase brisé puisse être prompte par la volonté même de l’artisan.

40. Mais le vase de substance non rationnelle peut, dans un autre rapport de compréhension, être adapté à l’explication rationnelle du fonctionnement de la volonté humaine. Par les vices qui leur sont propres, les hommes tombent ; mais s’ils se repentent de les avoir commis, s’ils les abandonnent, Dieu lui-même, qui avait prévu de soumettre à la peine ceux qui se trouvent dans cette situation, s’en repend - non que ce mouvement de pensée propre à la nature humaine se trouve en Dieu -, parce que le repentir des actes est pour les hommes la démarche effective de ceux qui veulent s’amender ; mais Dieu fait aussi mention de sa pénitence à infliger en vue d’un châtiment parce que les impies cessent de mériter ce châtiment du fait qu’ils cessent d’être impies. Donc, de même que le vase est promptement renvoyé à celui-là même qui veut en remodeler la forme, ainsi, après la disgrâce de ceux qui ont voulu s’ériger en maître par l’enseignement de leur propre doctrine, il est facile à Dieu de réparer leur état les faisant passer de l’impiété à la piété.

41. Pourtant le « comme vase de potier » ne doit pas conduire à l’ignorance de la déchirure de ces corps, tandis que, dissolus, ils se sont déchirés par leur chute dans la mort, tandis que la restauration est apportée de la volonté même de l’artisan (potier). Ce que l’une ou l’autre parole prophétique a signifié, apparaît bien de la même teneur. En effet, ce discours montre bien que lorsqu’une pénitence utile est pratiquée par ceux qui agissaient mal auparavant, elle est opportune. Et ce discours enseigne qu’il se réalise comme un rétablissement nouveau dans la vertu pour ceux qui, auparavant, étaient emportés hors d’eux-mêmes par les vices corporels inhérents à cette vie, tandis que la colère de Dieu consécutive à la faute cesse de s’exercer en eux. Et bien que la parabole du potier apporte du sens, lorsqu’il est dit cependant au sujet de ce même potier : « et lui-même refit un autre vase selon qu’il lui plaisait de le faire » (Jr 18, 4), cette parole est à comprendre comme devant signifier que, selon la volonté de Dieu, le rétablissement des corps de ceux qui ressuscitent est futur. En effet, comme il lui plaît à lui, le potier, et comme cela est digne à son regard, il réparera ce qui a été brisé, non pas à partir de quelque chose d’autre, mais de l’ancienne substance ; à cette même matière d’origine, apportant à sa forme les décorations qui lui plaisent, de telle sorte que la résurrection en gloire dans l’incorruptibilité des corps corruptibles ne fasse pas périr de mort la nature, mais la transforme en une manière d’être de qualité nouvelle. Ce n’est pas en effet un autre corps, même s’il ressuscite sous une autre forme ; comme dit l’Apôtre : « Ce que l’on sème dans la corruption, ressuscite dans l’incorruptibilité ; on le sème dans l’ignominie, il ressuscite en gloire ; on le sème dans la faiblesse, il ressuscite en puissance ; on sème un corps animal, il ressuscite spirituel » (cf. 1 Co 15, 42). Il s’opère donc une transformation, mais sans qu’il soit procédé à une élimination. Et lorsque ce qui fut, ressurgit en ce qui ne fut pas auparavant, l’origine n’est pas évacuée, mais il s’opère une croissance dans l’honneur (cf. De Trin. II, 25). C’est pourquoi nous nous réjouissons d’être fracassés « comme vase de potier », soit maintenant, soit alors, afin que, maintenant, à la manière du « vase de potier », morts avec le Seigneur et ensevelis avec lui dans le baptême, nous marchions en nouveauté de vie, et que nous renaissions dans l’homme nouveau du Christ, ayant déposé l’ancien ; et qu’alors, par ce progrès en nouveauté de vie bienheureuse, nous soyons reformés selon la forme de la restauration renouvelée qui plaît à Dieu.

42. Le Prophète n’est pas ignorant de « Celui-qui-est-bon » ; après ce qu’il vient de dire, il lance une exhortation en disant : « Et maintenant, Rois, comprenez, instruisez-vous juges de la terre. Servez le Seigneur avec crainte, et bondissez pour lui en tremblant. Étreignez l’obéissance à la Loi de Dieu de peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne vous écartiez du chemin de justice. Car sa colère en un instant s’enflamme. Bienheureux ceux qui se confient en Lui » (Ps 2, 10-12).

Cette présentation ordonnée de la doctrine est extrêmement utile pour que l’enseignement auquel nous sommes exhortés, apporte aux destinataires la béatitude qui leur est présentée ; car il est bien difficile à un esprit et à une espérance de tendre vers une doctrine non connue. Voulant donc exhorter vivement notre intelligence à propos de ces rois dont il a parlé plus haut, le Prophète a rappelé auparavant la noblesse de cette capacité même de compréhension, en disant : « Et maintenant, Rois, comprenez », à savoir qu’il est par là démontré que sont ’rois’ ceux qui sont en mesure de comprendre. Mais il nous faut chercher qui sont ces rois que le Prophète exhorte si vivement par cette interpellation prophétique, de peur que quelqu’un ne comprenne que par le terme de ’rois’ sont ainsi désignés ceux-là qui exercent la royauté dans sa réalité corporelle de maintenant, dans le ministère des guerres, et la crainte des nations. Pourtant, il ne s’agit pas là non plus de ceux qui sont rois éternels et bienheureux auprès de Dieu, car assurément ces premiers qui ont failli aux commandements de Dieu sont assignés par le diable à régner, lui-même ayant dit lorsqu’il tenta le Seigneur « après l’avoir conduit sur une haute montagne, il lui montra tous les royaumes de la terre en un instant : ’Je te donnerai cette puissance et la gloire de ces royaumes, car ils m’appartiennent’ » (cf. Mt 4, 8-9 et Lc 4, 6). Mais les évangiles nous présentent d’autres rois, à savoir ceux en qui le Royaume de Dieu s’est approché, et ceux qui ont soumis le péché régnant en eux, qui ayant soumis l’universelle excitation des vices sont rois par la maîtrise de leur propre corps ; en effet, il en est bien ainsi : en nous, se trouve le Royaume de Dieu (cf. De Trin XI, 39). Ainsi, si le Christ règne en nous, alors par lui nous régnons « en nous-mêmes », par le droit inhérent aux seigneurs, selon ce qui est dit : « Le Royaume de Dieu ne vient pas lorsque, par l’observation, les gens disent : ’le voici’ ; ’il est là’. En effet, le Royaume de Dieu est à l’intérieur de vous-mêmes (cf. Lc 17, 20-21). De ce Règne, le bienheureux Apôtre en fait mémoire lorsqu’il écrit aux Corinthiens : « Sans nous, vous êtes déjà devenus rois ; oh ! Que n’êtes-vous devenus rois pour que nous aussi nous devenions rois avec vous ! » (1 Co 4, 8). C’est pourquoi, ce Règne de Dieu se trouve là où le péché est vaincu, où la mort est défaite, où l’ennemi ne règne plus : « La mort en effet a régné d’Adam à Moïse » (Ro 5, 14). Et l’Apôtre dit en conséquence : « Que dès lors le péché ne règne plus en vous ! » (Ro 6, 12). Par ce Règne de Dieu, le règne du péché est dissous et pour les rois que nous sommes déjà nous-mêmes par la subversion du règne adverse, ce Règne de Dieu adviendra pour nous, lorsque, ayant écrasé du talon tous nos vices, la souillure de la faiblesse corporelle sera engloutie.

43. C’est pourquoi le prophète exhorte vivement ces rois à connaître que des « rois ont rugi contre le Seigneur et contre son Christ », et que « des peuples ont médité de vains projets » (Ps 2, 1) ; qu’ils comprennent aussi que, des cieux, le Seigneur se rie d’eux, et qu’il leur parle dans sa colère ; que Lui est établi Roi sur Sion, sa Montagne Sainte ; qu’il est l’annonciateur des préceptes de Dieu le Père ; qu’ils le connaissent, Lui, le Seigneur, comme étant l’Engendré en tant que Fils. Qu’ils connaissent aussi ce temps où, Celui qui a fait les temps, fut engendré dans le temps ; qu’ils le connaissent ainsi, dis-je, Lui qui, en ce temps-là a demandé l’héritage des nations et la possession des confins de la terre (cf. Ps 2, 8). Qu’ils n’ignorent pas davantage que, par le sceptre de fer avec lequel il les régit, il les fracasse à la manière de vases de potier (v. 9). En effet, pénétrant l’intelligence de ces choses, qu’ils les comprennent comme le sacrement plénier de la divine volonté. Et puisque, par l’obéissance aux commandements, ils sont les héritiers de Dieu le Père, ils seront cohéritiers de Notre Seigneur Jésus-Christ (cf. Ro 8, 17) du fait qu’ils sont cohéritiers d’un règne éternel. Il est donc nécessaire qu’ils réalisent qu’ils sont ’rois’.

44. Ainsi découle-t-il des témoignages des évangiles et de l’Apôtre, à propos des rois, que nous devons connaître qui sont ces « juges de la terre » (v.9) ; il convient d’être renseignés sur eux à l’égal des ’rois’, surtout quand le psalmiste nomme ’rois’ des personnes, sans adjonction d’un règne quelconque, voulant enseigner qu’il s’agit là de ceux qui, ’rois’, le sont en eux-mêmes ; et c’est pourquoi il les dit « juges de la terre ». Faire une différence entre le juge et le roi, nous savons le faire selon l’usage courant d’une habitude terrestre puisque ce n’est pas la même chose de régner ou de juger : le règne implique une domination, alors que le jugement repose sur une manière d’être équitable. Ce sont donc les saints que l’on doit comprendre comme étant les « juges de la terre », eux dont la foi et la vie sont un jugement rendu aux infidèles et aux injustes. Cela, le Seigneur le montre dans les évangiles lorsqu’il dit : « Les hommes de Ninive se dresseront lors du jugement avec cette génération, et ils la condamneront, car ils se sont convertis à la prédication de Jonas ; et il y a ici plus que Jonas. La Reine du Midi se lèvera lors du jugement avec cette génération, et elle la condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon ; et il y a ici plus que Salomon » (Mt 12, 41-42). Tels seront les juges de la terre dont le rapport à la foi et à la crainte envers Dieu est une condamnation pour les impénitents et pour les impies. En effet, si à l’accueil de la prédication de Jonas, la pénitence des Ninivites a porté du fruit, il s’en suit nécessairement que cette pénitence sous mode d’obéissance, juge l’impatience des insolents. De plus, la Reine du Midi, étrangère venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse tant désirée de Salomon, ne blâmera-t-elle pas, à leur écoute, l’infidélité et la négligence des assistants, quoique le jugement très supérieur de Salomon sur la désobéissance et le refus d’écouter, s’augmentera d’autant du fait de la présence de Jonas, le Christ, l’Auteur même du jugement ? Il est très vrai cependant que l’Apôtre montre clairement quels sont les juges de la terre lorsqu’il dit : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde et que c’est par vous que le monde sera jugé ? » (1 Co 6, 2), étant donné que, par le mérite de l’accès à la béatitude, la sainteté condamnera, par effet de contraste, la vie des criminels.

45. Le Prophète poursuit aussitôt son travail d’élucidation et de recherche du sens, en disant : « Servez le Seigneur avec crainte, et exultez en tremblant » (Ps 2, 11). Il ne peut supporter ni la sécurité absolue, ni la négligence dans le service ; il veut que la crainte soit mêlée à tout devoir d’observance dans le service. En effet, dès que les serviteurs servent leurs maîtres charnels en les craignant, ils le font plus diligemment puisque la crainte mêlée de complaisance engage la volonté à obéir avec plus d’habileté ; s’ils servent Dieu ainsi, le craignant d’une crainte empressée, ils ne seront pas négligents dans le service qu’ils ont reçu la charge d’assumer. Et de peur que l’on croit que pour les fidèles cette crainte ne soit prise pour une terreur tyrannique, le psalmiste ajoute à son exhortation : « Servez avec crainte », « et exultez », pour que le bondissement de joie tempère la crainte de la servitude, puisque cette crainte elle-même apporte une cause de joie à la conscience de l’esclave fidèle. Mais ensuite, de peur que la liberté de se réjouir dépasse les limites d’une convenable modération, il est précisé : « Exultez en tremblant » ; car la joie affranchie du ’tremblement’ serait rendue périlleuse par l’oubli de la crainte. Cette manière pour la parole prophétique de s’exprimer est ainsi utilisée de telle sorte que la crainte tienne éloigné la servitude, que l’exultation tempère la crainte, et que le ’tremblement’ qui s’en suit contienne l’exultation.

46. Par ce qui suit, le psalmiste enseigne cependant en quoi consiste et la crainte exultante de l’obéissance dans le service, et l’exultation mêlée de tremblement, en disant : « Apprenez la discipline » (v.12). Il montre par la force du terme le sens relatif à une volonté impatiente et comme prompte à l’action qui a à s’exercer non pas tant en vue d’apprendre une manière de se comporter bien réglée que d’un enseignement à comprendre, non content de s’en tenir à la tiédeur en matière de foi dans l’obéissance qu’elle requiert, mais désirant brûler de l’ardeur de l’Esprit pour étreindre avec avidité cette obéissance de foi. Ainsi, considérant les « ravisseurs du Royaume des cieux » (cf. Mt 11, 12), le Psalmiste dit que le Seigneur s’en réjouit : « Aux jours de Jean, le Royaume des cieux souffre violence et les violents l’emportent » (ibidem), car, alors que la possession du Royaume par Israël est prêchée, la foi des Gentils se hâtera de la ravir pour eux-mêmes, Israël s’en étant défié.

47. C’est ainsi que Paul court pour saisir, s’exclamant : « Je poursuis ma route en vue de saisir, ayant été moi-même saisi » (Ph 3, 12). Et non pas d’une course lente, par degré, ni à la manière d’un parcours de loisirs. En effet, « ayant été saisi », il poursuit. À la vérité, il semblerait en avoir suffisamment dit si, étant sur le point de poursuivre, il suivait ; mais lui-même choisit de ’faire violence’, de se hâter de saisir, et de se précipiter en y engageant violemment son corps dans cette saisie. Cependant, il se sait déjà saisi par cela même qu’il se hâte de saisir. En effet, si Dieu nous a saisis, nous, qui par la nature lui sommes séparés, en se faisant lui-même ce que nous sommes, homme engendré, par la nature corporelle, il nous appartient maintenant de nous efforcer de saisir ce qu’il est lui-même, afin que, dans cette gloire vers laquelle il tire la nature de sa corruption corporelle, nous y mêlions notre empressement ; ainsi, nous saisissons ce en quoi nous avons été saisis, pourvu que nous suivions la nature de Dieu, Dieu ayant atteint antécédemment la nature des hommes. C’est pourquoi l’enseignement de la juste conduite doit être saisi et violemment étreint par une sorte d’embrassement avec participation du lien corporel, de peur qu’il n’échappe et ne se perde.

48. Cependant le Prophète présente ensuite la raison de cet embrassement et de ce lien d’amour en disant : « Apprenez la discipline de peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne vous écartiez du juste chemin, puisque sa colère s’allume en un instant » (v.12). C’est là en effet un jour de châtiment compris comme étant signifié par « une brûlante colère » du Seigneur ; jour dans lequel, si, de notre part, nous ne maintenons pas une discipline librement adoptée, nous nous égarerons hors de la voie juste. En effet, chaque élément qui lui est enlevé (à la ’discipline’) périt, et ce qui manque à qui il manque semble bien déjà lui échapper. Car, bien qu’elle demeure par suite de sa nature, en celui auquel elle se révèle absente, elle ne peut demeurer. Et pour cette raison, les impies s’écartent de la voie juste car ils ne se maintiennent pas dans la ’discipline’ ; ils périssent hors de la voie juste lorsque s’enflamme en un bref instant la colère du Seigneur.

49. Cette colère, celle par laquelle les impies périssent étant sortis de la voie juste, n’est pas importune ; elle a sa raison d’être pour qui, dans l’intervalle qui nous sépare encore du jugement, se flatterait du profit à tirer de la peine entre les délais du jugement. Car la colère (de Dieu) s’enflamme en un bref instant. En effet, le ’Vengeur’ d’ici-bas nous guette. En sortant de notre corps, si nous avons vécu en profitant des délais du jugement, aussitôt nous périssons hors de la voie droite. Le riche et le pauvre de l’Évangile en sont pour nous les témoins (cf. Lc 16, 22). Les anges ont placé l’un sur les sièges des bienheureux et dans le sein d’Abraham, l’autre est reçu aussitôt dans un lieu de tourments. Aussitôt, la peine des morts lui échoit tellement que même à ses frères est épargné ce lieu de châtiment pour qu’ils puissent habiter dans les demeures célestes ; aucune possibilité en cet endroit de sursis ou de remise de peine. En effet, ou bien le jour du jugement est rétribution de la béatitude éternelle, ou bien jour de châtiment ; et il est bien vrai que, dans l’intervalle, le temps de la mort soumet chacun à ses lois jusqu’à ce que, en vue du jugement, Abraham garde chacun ou que la peine s’en fasse la gardienne.

50. Pour cette raison, le Prophète conclut ainsi ce psaume, riche des mystères célestes : « Bienheureux tous ceux qui se confient en Lui ! » (v. 12 d). La perfection de la béatitude n’apprécie ni l’espoir inquiet, ni l’espoir changeant. C’est un cœur établi en une parfaite confiance qui l’obtient ; et cette tâche consiste à demeurer dans l’assurance d’un ferme propos et d’une immuable volonté, car il s’agit bien plus d’avoir confiance que d’entretenir un vain espoir.

Il convient donc de s’établir dans la confiance de peur que, nous étant écartés de la voie droite, « la colère de Dieu ne s’enflamme en un instant ». Il est en effet fidèle celui qui a dit : « Qui croit en moi ne sera pas jugé (condamné) ; il est passé de la mort à la vie » (Jn 5, 24), notre Seigneur Jésus-Christ, qui est béni dans les siècles des siècles. Amen.

[1Hilaire transcrit : Bresith

[2Ptolémée Évergète

[3uirga = sceptre ou rameau, petite branche

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