Hilaire de Poitiers : Commentaire sur le Psaume 1

Mercredi 14 novembre 2007 — Dernier ajout jeudi 8 avril 2010

Voici une traduction inédite du Commentaire du psaume 1. Pour vous guider dans votre lecture vous pouvez lire l’introduction générale parue sur patristique.org ou consulter les explicitations propres à ce psaume.

Psaume I

1. La compréhension essentielle du sens des psaumes implique de pouvoir discerner quel est le locuteur et à quelle personne il convient d’attribuer ce qui est rapporté. Ce n’est pas, en effet, un schéma uniforme et non diversifié qu’empruntent les auteurs, avec une expression formulée en des catégories diverses, vis-à-vis de ces personnes. Nous trouvons en effet fréquemment dans les psaumes que la personne de Dieu le Père est habituellement mise en avant, comme dans le Ps 88, lorsqu’il est dit : « J’ai exalté un élu du milieu de mon peuple. J’ai trouvé David, mon serviteur ; je l’ai oint de l’huile sainte. Lui-même m’invoquera : ’Tu es mon Père, Toi, le protecteur et le soutien de mon salut’. Et moi, je ferai de lui le Premier-né, le plus élevé des rois de la terre » (Ps 88, 20-21 ; 27-28). En fait, c’est la personne du Fils qui est d’ordinaire introduite en plusieurs psaumes, comme dans le Ps 17 : « Un peuple que je ne connaissais pas m’est asservi » (Ps 17, 45). Et au Ps 21 : « Ils se sont partagé entre eux mes vêtements, et, ma tunique, ils l’ont tirée au sort » (Ps 21, 19). Cependant, ici, dans le Ps 1, la réalité même des paroles qui suivent, enseigne clairement qu’on ne peut la comprendre comme venant de la personne du Père ou de la personne du Fils : « Mais il prend son plaisir dans la Loi du Seigneur et médite cette Loi jour et nuit » (Ps 1, 2). Car, dans le Ps 88 où - nous venons de le dire - la personne du Père est désignée, c’est à celui-ci en effet que sont rapportées des paroles qui lui sont propres, lorsqu’il est dit : « Lui-même m’a invoqué en disant :’ Tu es mon Père, mon Dieu et le soutien de mon salut’ ». Et dans cet autre psaume - le Ps 17 -, dans lequel le Fils est sensé parler, lui-même se montre bien l’auteur des paroles parmi celles qu’il rappelle, disant : « Un peuple que je ne connaissais pas, s’est fait mon serviteur » (Ps 17, 45). En effet, tandis que le Père dit : « Lui-même m’a invoqué », et que le Fils parle ainsi : « Un peuple s’est fait mon serviteur » (Ps 17, 45), ceux qui parlent là se désignent eux-mêmes. Par contre, lorsqu’il est dit : « Mais il prend son plaisir dans la Loi du Seigneur », d’aucune manière, à partir de ce qui est dit, la personne du Seigneur n’est désignée, mais, bien plutôt, il s’agit de la béatitude d’un autre, à savoir de cet homme dont il est annoncé qu’il trouve son plaisir dans la Loi du Seigneur. C’est pourquoi la personne du Prophète, par la bouche duquel l’Esprit-Saint a parlé, doit être maintenant reconnue pour nous instruire par le ministère de sa bouche, et nous porter à la connaissance du mystère spirituel.

2. Puisqu’il est parlé de réalités spirituelles, nous devons chercher, pour en comprendre la teneur, de quel homme parle le psalmiste. Il dit en effet : « Heureux l’homme qui ne va pas au conseil des impies et ne s’asseoit pas sur le siège pestilentiel ; mais qui prend plaisir à suivre la Loi du Seigneur, et à méditer cette Loi jour et nuit. Il sera comme un arbre planté aux bords des eaux qui donne son fruit en son temps et dont le feuillage ne sèche pas. Tout ce qu’il entreprend réussira » (Ps 1, 1-3).Au sujet de ce psaume, beaucoup, soit en partant de cette parole ci-dessus exprimée, soit à partir des lettres et écrits qu’ils ont trouvés, prirent conscience que dans ce psaume, c’est notre Seigneur Jésus-Christ qui devait être compris, lui dont la béatitude était pré-annoncée par ce dont il était question ici. Mais de cela, ils n’enseignèrent ni de quelle manière, ni par quel argument cela devait être affirmé, même si, poussé par le sentiment d’une haute opinion, ils estimaient que toute prophétie des psaumes, devait lui être rapportée ; mais où et quand se réfère la parole de cette prophétie le concernant, cela doit être discerné avec exactitude en usant de la connaissance rationnelle.

3. Cependant, ce qui a été présenté dans l’exorde du psaume, ne convient pas du tout à la personne du Christ et à sa dignité ; et, ce qui s’y trouve affirmé, contredit cette imprudente facilité d’interpréter à la légère ce que le psaume contient. En effet, lorsqu’il est dit : « Et il met son plaisir (sa uoluntas) dans la Loi du Seigneur », puisque la Loi a été apportée par le Fils de Dieu, comment la béatitude peut-elle être rapportée, à cause de cela, à celui dont le plaisir aura été d’accomplir la Loi du Seigneur, alors que lui-même est le Seigneur de la Loi ? Qu’elle soit sa Loi, lui-même en témoigne dans le Ps 77, où il dit : « Écoute, ô mon peuple ma Loi ; incline ton oreille aux paroles de ma bouche. Je vais ouvrir ma bouche pour parler en paraboles » (Ps 77, 1-2). L’évangéliste Matthieu confirme d’ailleurs que ces paroles concernant le Seigneur ont bien été prononcées par lui, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi il parlait en paraboles pour que s’accomplisse ce qui avait été dit : ’J’ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles’ » (Mt 13, 35). Par ces faits, le Seigneur accomplit donc sa prophétie. En effet, à travers les événements dont il parlera, il s’annoncera lui-même, en parlant en paraboles. Mais, ce qu’il dit là, dans le psaume : « Et il sera comme un arbre planté au bord des eaux », en quoi cela pourrait-il être ajusté à sa personne, puisqu’il est montré, par une métaphore, que la béatitude progresse d’intensité, comme l’arbre planté au bord des eaux ; cet arbre se révélerait alors plus heureux que le Fils de Dieu, puisque lui, pour atteindre la perfection de la béatitude, devrait progresser pour accéder à la béatitude de l’arbre. Par conséquent, comme il est, selon la Sagesse et l’Apôtre, « le Premier-né de toute créature, avant les siècles et les temps éternels » (cf. Tt 1, 2), et qu’ « en lui et par lui toutes choses ont été créées » (cf. Col 1, 15-16), comment pourrait-il être heureux à condition d’être fait semblable à ces choses qui par lui ont été jetées dans l’existence, alors que ni la puissance du Créateur ne lui manque pour atteindre, par rapport aux créatures, la perfection de sa béatitude, ni l’antiquité de « Premier-né ». L’expression « il sera comme un arbre » admet donc un temps de comparaison, mais dans un ordre inversé. Le « qui sera » - cela suppose un temps d’attente -, devra donc être compris comme s’il y avait « il aura été », ou bien comme se référant à un état de possession par nature. Quoi qu’il en soit, il est déjà « bienheureux », et il ne manque pas à sa béatitude quelque dilatation du temps ; ainsi, ce qui sera est commencé en lui, parce que par l’antiquité de sa sortie dans l’être, il perdure dans l’être-même.

4. C’est pourquoi, du fait que ces notations ont été comprises comme étrangères à la divinité de l’Unique Engendré, le Fils de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ, cet homme - mentionné par le psaume et comme doit le penser le Prophète (c’est à dire le Psalmiste) - qui a été proclamé « bienheureux », c’est celui-là même qui, par ce corps que le Seigneur a assumé et dans lequel il est né homme, fera valoir sa conformité de nature par la recherche studieuse de l’équité et par la perfection de toute justice. Il convient donc de le comprendre ainsi, comme la suite du commentaire du psaume le montrera.

5. Mais l’Esprit-Saint a entrepris ce très spécifique et très digne exorde en tête du Psautier, afin que soit encouragée l’humaine faiblesse par l’espérance de la béatitude dans la pratique sans fard de la religion, pour que soit enseigné le mystère du Dieu ayant pris un corps, pour que soit annoncée la communion de la gloire céleste, pour avertir de la peine du jugement, pour montrer la Providence de Dieu dans l’effective rétribution. C’est qu’en effet, l’Esprit-Saint commence la présentation ordonnée d’une si grande prophétie par un raisonnement très logique et une réflexion consommée, afin que l’espérance oriente la faiblesse de l’homme heureux vers la ferveur de la foi, que la béatitude comparée à l’arbre donne sa garantie à une espérance bienheureuse, que la sévérité ouvertement déclarée aux impies corrige l’insolence de leur impiété en leur inspirant de craindre, que le respect de l’ordre du rang social aide à discerner la diversité des mérites dans l’assemblée des saints, et que l’équité établie démontre la magnificence de Dieu manifestée dans « les chemins empruntés par les justes et que Dieu connaît » (cf. Ps 1, 5). Mais de ces réalités elles-mêmes et de leur expression verbale, nous en traiterons plus loin.

6. « Heureux l’homme qui ne va pas au conseil des impies, qui ne se tient pas sur le chemin des pécheurs, et qui ne s’assied pas sur le siège pestilentiel des moqueurs, mais prend son plaisir (uoluntas) dans la Loi du Seigneur, et médite cette Loi jour et nuit » (Ps 1, 1-2). Le Prophète rappelle que pour l’homme heureux, le fondement de sa vie repose sur une observance en cinq points : d’abord, « ne pas aller au conseil des impies » ; ensuite, « ne pas s’engager sur le chemin des pécheurs » ; en troisième lieu, « ne pas s’asseoir sur le siège pestilentiel des moqueurs » ; ensuite, « placer tout son désir d’aimer dans la Loi du Seigneur » ; finalement, « faire de cette Loi l’objet de sa méditation, jour et nuit ». Il est donc nécessaire de distinguer l’impie du pécheur, le pécheur de la pestilence, et, précisément, de faire la distinction entre « le conseil des impies », « le chemin des pécheurs », « le siège pestilentiel des moqueurs » ; ensuite, distinguer entre le fait d’être allé au conseil des impies plus que de s’y être établi, entre le fait de s’être tenu sur le chemin des pécheurs plus que d’y être allé. Afin que nous puissions comprendre le pourquoi de ces expressions, il nous faut discerner combien diffère le pécheur de l’impie, pour que, par là, puisse être saisi la raison pour laquelle il est assigné un chemin au pécheur, et un conseil à l’impie. Ensuite, il faudra se demander pourquoi on parle de « se tenir sur le chemin » et « d’aller au conseil » quand la coutume parle plutôt de « se tenir au conseil » et « d’aller sur le chemin ». Tout pécheur n’est pas nécessairement impie, mais l’impie, par contre, ne peut pas ne pas être également pécheur. Prenons un exemple tiré de la conscience commune : les fils peuvent aimer leurs pères quoique ceux-ci soient portés au vin, lascifs et prodigues ; et malgré ces vices qu’ils entretiennent, ils demeurent sans impiété, eux qui pourtant ne sont pas sans reproche. Bien que les impies soient en quelque sorte portés aux vertus de continence et de tempérance, ils considèreront comme une faute tout ce qui sera autre que l’impiété, et ils le transgresseront en le tenant pour irrespectueux envers leurs parents.

7. Ainsi, d’après l’exemple ci-dessus proposé, il ne fait pas de doute que l’impie est distingué du pécheur. La nature même du bon sens commun montre, en vérité, que les impies sont ceux qui dédaignent rechercher la connaissance de Dieu, qui présument, sous l’effet d’une irreligieuse opinion, que nul Créateur du monde n’existe, que le monde - rappellent-ils -, dans sa manière d’être et son ornementation, a été constitué pour des motifs fortuits de peur de devoir laisser au Créateur d’opérer le jugement de discernement entre une vie correctement vécue et un comportement déviant ; ils voudraient être nés par l’effet d’une nécessité de nature et devoir, sous l’effet de cette même nécessité, être dissous dans la mort. Donc, tout conseil flottant dans l’hésitation et provenant d’eux est incertain et vague ; il est à écarter pour les mêmes raisons, du fait de son absence totale de constance : il ne s’appuie sur aucune détermination précise. Dans leur discours, ils osent enseigner qu’il n’y a pas de Créateur du monde - et pourtant, hors de lui, comment trouver réponse lorsque tu cherches pourquoi le monde existe, et quand, et comment, et si c’est le monde pour l’homme ou l’homme pour le monde, et pourquoi la mort -, et où, et jusqu’où -, et quelle mort ? Autour d’eux, les conseils de leur impiété vont et viennent, sans trouver de lieu où se poser.

8. Il y a d’autres « conseils des impies », à savoir les « conseils » de ceux qui sont tombés dans l’hérésie et qui ne s’en tiennent ni aux lois du Nouveau, ni aux lois de l’Ancien Testament. Leur parole est proférée, se disant et se contredisant, circulant sans cesse dans le monde en s’infléchissant dans l’erreur, ne s’attachant à rien de solide : toute la consistance de cette parole tient dans un discours imprécis. Le Dieu de leur impiété est non pas le Dieu qui atteste par lui-même qu’il est « de Dieu », mais qui est mesuré à l’étalon de la volonté de leur propre conseil (arbitrium), ignorant que ce n’est pas une moindre impiété de parler d’un Dieu façonné que de totalement le nier. Lorsque tu requiers d’eux de signifier par quelle espérance et par quelle foi ils adhèrent à l’espoir d’une issue heureuse de leur sort final, ils deviennent confus ; perturbés, ils dissimulent, tournent autour de la question et de l’enjeu de la recherche ; ils évitent d’en discuter. « Bienheureux », donc, « est l’homme qui ne va pas en ce conseil des impies », c’est-à-dire qui ne consentira pas à y aller, car c’est une faute d’adhérer aux impiétés comme ç’en est déjà une d’y avoir seulement pensé.

9. Fait alors suite que « celui qui ne va pas au conseil des impies, n’aille pas non plus sur le chemin des pécheurs ». En effet, nombreux sont ceux qui, bien qu’ils aient, par leur confession de foi en Dieu, renoncé à croire en l’impiété, ils ne sont cependant pas pour autant libérés du péché. Ils demeurent, il est vrai, dans l’Église, mais ils ne se maintiennent pas dans la discipline de l’Église, en tant qu’avares, adonnés à la boisson, querelleurs, insolents, orgueilleux, simulateurs, menteurs, rapaces. En vérité, d’instinct, notre nature nous pousse vers ces vices, mais le chemin qui nous conduira à couper court et à ne pas nous engager dans cette manière de vivre est utile, puisque descendre par habitude dans ces vices, ne permet pas le retour de qui demeure insouciant. A cause de cela, « heureux est l’homme qui ne se tient pas sur le chemin des pécheurs », car si notre nature nous porte vers ce chemin, la vertu de religion nous fait échapper, par la foi, à cette voie.

10. Le troisième point de la disposition à l’obtention de la béatitude est de « ne pas s’asseoir sur le siège pestilentiel des moqueurs ». Les docteurs pharisiens se sont assis sur le siège de Moïse. Il s’est assis à son tribunal, Pilate. De quel siège estimons-nous que l’usage est malsain ? Ce n’est pas indistinctement envers Moïse que le Seigneur désapprouve davantage ceux qui sont assis que la session sur le siège, lorsqu’il dit : « Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur le siège de Moïse ; tout ce qu’ils vous disent, faites-le ; mais ce qu’ils font, ne le faites pas » (Mt 23, 2). La session sur le siège des docteurs n’est pas pestilentielle en soi : l’obédience en est prescrite par l’autorité même du Seigneur. La session qui sera donc pestilentielle, sera celle que Pilate voulut éviter en se lavant les mains. En effet, nombreux encore sont atteints de corruption par l’ambition des honneurs du siècle, et veulent jusqu’à substituer aux lois de l’Église, des lois qui lui sont étrangères. Mais bien qu’à ces services que nos docteurs accomplissent, ils apportent avec eux bienveillance et tempérance, il est cependant inévitable que ceux sur qui sont déversées ces charges, soient comme pollués par le contact malsain contracté en leurs rapports. L’administration des affaires d’utilité publique, ne permet pas, même à ceux qui le veulent, de demeurer dans la sainteté des lois ecclésiastiques. Et quoique résolument déterminés à conserver leur propos religieux, ils sont contraints cependant, par la pression exercée à partir du siège qu’ils occupent, tantôt à l’outrage, tantôt à l’injure, tantôt à devoir infliger des peines - bien que leur désir profond résistât -, et les voilà rendus participants de cette même nécessité, imprégnés qu’ils sont comme d’une corruption morbide. Aussi, le Prophète dénomme-t-il ce siège qui est leur, « siège pestilentiel », car il pénètre même, par contagion, la disposition amoureuse de l’esprit religieux.

11. Mais le Prophète ne résume pas toute la béatitude de l’homme dans le seul fait de n’être pas allé « au conseil des impies » ou de ne pas s’être tenu « sur le chemin des pécheurs », ou encore de ne pas s’être assis « sur le siège pestilentiel des moqueurs ». En effet, ces manières de vivre peuvent se trouver chez un homme du siècle, de telle sorte qu’il affirme que Dieu est le Créateur du monde, qu’il fasse référence, par sa ferveur à s’éloigner du péché, à la modestie de l’innocence, qu’il fasse aussi passer avant les dignités honorifiques le loisir d’une vie tranquille et retirée. Mais maintenant ici-bas, le Prophète fait ressembler l’homme parfait selon Dieu, et qu’il se représente d’après les grands exemples de l’éternelle béatitude, non pas comme celui qui se conforme à ce qu’enseignent les vertus communes, mais, comme celui qui se consume, pour être bienheureux, dans les vertus énoncées ensuite : qu’il prenne son plaisir dans la Loi du Seigneur. La suppression des qualités précédentes n’y fait rien, pourvu que l’intention soit effectivement appliquée, à savoir que « dans la Loi du Seigneur, il mette tout son plaisir ». Le Prophète n’attend pas que cet homme soit parfait dans la crainte de Dieu. Beaucoup tiennent pour de la crainte ce qui est dans la Loi, mais peu font consister la Loi dans une application heureuse de la volonté, car ce qui appartient à la crainte n’est pas d’oser négliger de devoir craindre, mais c’est une religion (une pratique religieuse) parfaite que de se soumettre à ce qui est prescrit. Il s’en suit donc, qu’est bienheureux celui qui, vis à vis de la Loi du Seigneur, n’en éprouve pas de crainte, mais trouve en elle son plaisir (cf. Jn 14, 15 ; 15, 10 etc).

12. Mais il manque parfois quelque chose à la volonté. Le seul vouloir n’obtient pas la parfaite béatitude, à moins que le passage à l’acte ne suive la décision volontaire. D’où ce qui suit : « Et dans la Loi du Seigneur médite jour et nuit ». La méditation continuelle et sans relâche de la Loi, porte à son achèvement la béatitude de cet homme ; mais peut-être que cela n’est pas bien accepté de la nature humaine dans sa faiblesse, nature qui a besoin de se reposer, de dormir, de vaquer à sa nourriture. Devant de tels impératifs - ceux d’une nécessité de nature -, c’est dans l’espérance de la béatitude qui doit suivre la méditation de la Loi, que nous déciderons que soit interrompu un travail corporel pour cette méditation diurne et nocturne. D’une manière semblable à cette parole du psaume, l’Apôtre dit : « Priez sans cesse » (1 Th 5, 17). Il n’est pas possible de ne pas s’occuper des nécessités de notre nature, et de ne pas tenir compte du temps pour effectivement toujours prier. C’est pourquoi, la méditation de la Loi doit non seulement se faire par la lecture de paroles, mais encore dans une relation à Dieu par les œuvres, de sorte que nous repassions dans notre esprit non seulement livres et écrits, mais que nous méditions les gestes et les réalités contenues dans ces livres et écrits, mettant en pratique les œuvres diurnes et nocturnes, expressives de la Loi. Cela, l’Apôtre le dit : « Tout ce que vous faites, faites-le pour la gloire de Dieu, soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez » (1 Co 10, 31). C’est ainsi, en effet, que s’accomplit la prière ininterrompue, de telle sorte que, par les œuvres qui plaisent à Dieu et qui sont toujours exécutées pour sa gloire, toute la vie de cet homme soit une prière. Vivant ainsi jour et nuit selon la Loi, même la vie nocturne appartiendra à la Loi, tandis que la méditation sera diurne.

13. Mais par la réalisation de la béatitude de cet homme qui s’abstient des conseils des impies, des chemins des pécheurs, et du siège pestilentiel des moqueurs, qui veut méditer jour et nuit la Loi de Dieu, nous est enseigné quel fruit cette béatitude acquise lui procurera dans le futur. Vouloir être heureux, en effet, provient de l’attente de cette même béatitude ; ce que montre la suite : « Et il sera comme un arbre planté auprès du cours des eaux qui donne son fruit en son temps, et dont jamais le feuillage ne sèche » (Ps 1, 3). Peut-être, pensera-t-on que cette comparaison est ridicule et inepte pour parler de la béatitude. En vérité, ces éléments de comparaison ne sont peut-être pas très ajustés aux hommes de ce siècle. Mais, selon l’enseignement prophétique, nous voyons combien, dans ces réalités naturelles et ces paroles, se trouve établie la gloire de la béatitude.

14. Dans le livre de la Genèse, où le Législateur (Moïse) nous montre un jardin (paradisum) planté par Dieu, il montre aussi que tout arbre est beau à voir et son produit bon à manger. Il expose aussi qu’au milieu du Paradis se trouve l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal ; il poursuit, disant que le Paradis est irrigué par un fleuve qui se divise, hors de sa source, en quatre bras. Ce qu’était cet arbre de vie, le prophète Salomon l’enseigne, à propos de son exhortation à la Sagesse, en disant : « Elle est un arbre de vie pour ceux qui la saisissent et qui s’y attachent » (Pr 3, 18). Donc, cet arbre de vie n’est pas seulement vivant, mais aussi rationnel ; rationnel en tant qu’il donne du fruit, et qu’il le donne vraiment, non pas de manière confuse, non pas inopportunément, mais « en son temps ». Et cet arbre est planté « près du cours des eaux », à savoir en possession du Règne de Dieu, dans le Paradis, d’où sort un fleuve qui se divise en quatre bras. Il ne dit pas, en effet, « après le cours des eaux », mais « près du cours des eaux », donc avant que le cours des eaux ne se divise et ne se partage en quatre bras. En effet, cet arbre est planté là où le Seigneur, qui est la Sagesse, introduit le fameux larron qui le confessait « Seigneur », disant : « Amen, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 43). Et nous apprenons de l’autorité prophétique que la Sagesse - qui est le Christ -, est appelée « arbre de vie » en vue du mystère de l’Incorporation (l’Incarnation) et de la Passion, et que, même le caractère particulier de cette interprétation doit être attribué aux évangiles. Le Seigneur, en effet, s’est lui-même comparé à un arbre, lorsque les juifs disaient de lui que c’était par Béelzéboul qu’il expulsait les démons : « Ou vous faites que l’arbre soit bon et bon aussi son fruit, ou vous faites que l’arbre soit mauvais et mauvais aussi son fruit. C’est à son fruit que l’on reconnaît l’arbre » (Mt 12, 33). Car, alors que son fruit se révélait le meilleur pour chasser les démons, Béelzéboul, dont les fruits sont exécrables, était aussi désigné par des fruits détestables. Il ne dédaigna pas non plus d’enseigner en lui-même la vertu de ce bon arbre, lorsque, marchant vers la croix, il dit : « S’ils en font ainsi du bois vert, qu’en sera-t-il du bois sec ? » (Lc 23, 31). Par l’image du bois vert, il signifiait qu’en lui, rien n’était servile et bas jusque dans l’aridité même de la mort.

15. C’est pourquoi, ce bienheureux homme est rendu semblable à cet arbre, alors que, transféré à la manière du Larron dans le Paradis, il est lui-même planté « selon le cours des eaux », et cette nouvelle plantation est, elle aussi, bienheureuse, ne devant pas être arrachée. C’est d’elle dont parle le Seigneur dans les évangiles lorsqu’il se plaint au sujet de la plantation étrangère, disant : « Toute plantation que mon Père n’a pas plantée, il l’arrache » (Mt 15, 13). Cet arbre donnera donc ses fruits. Cependant, partout où la parole divine indique quelque chose au sujet des fruits des arbres, elle rappelle qu’il s’agit plutôt de faire du fruit que d’en donner ; ainsi dit-elle : « Un arbre bon ne peut faire de mauvais fruits » (Mt 7, 18). Et, lors de la querelle à propos de la vigne, selon Isaïe : « J’étais en attente, dit le Seigneur par son Prophète, de ce qu’elle fasse du raisin, mais elle a produit des épines » (Is 5, 2). Mais cet arbre-ci donnera ses fruits par la tempérance que lui donneront sa capacité de discernement et sa raison. Il produira en effet du fruit « en son temps » ; mais, en quel temps finalement ? Eh bien, en ce temps dont parle le bienheureux Apôtre lorsqu’il dit : « …nous faisant connaître le mystère de sa volonté, selon son bon plaisir, tel qu’il l’avait librement conçu dans le Christ, pour le réaliser à la plénitude du temps » (Eph 1, 9). Donc, ce temps de l’ « économie » (dispensatio), où l’opportunité de recevoir et de donner est réglée, une fois arrivé à son terme, s’ouvrira l’ère de l’accueil par Dieu de ceux auxquels il donnera accès. Cependant, le délai du temps, dépend de « la plénitude du temps ». En effet, l’ « économie » consistant à donner les fruits récoltés, est conservée jusqu’à la plénitude des temps. Et qui sera en fin de compte le dispensateur du fruit ? Assurément, celui de qui le même Apôtre se souvient, lorsqu’il dit : « Et il transformera notre corps de misère pour le rendre conforme à son corps de gloire » (Ph 3, 21). Il nous donnera donc ces fruits que déjà, en celui qu’il assuma et qui est signifié par l’arbre, il amena pour l’homme à sa maturité parfaite, et qu’il transvasa, en absorbant la mortalité dans la nature même de son immortalité. Ainsi, sera-t-il comme cet arbre l’homme bienheureux du psaume, lorsque lui-même sera rendu conforme à son Seigneur, dans la gloire de Dieu.

16. En outre, le feuillage de cet arbre ne se flétrit pas (v.3). Rien d’étonnant si les feuilles de cet arbre ne sèchent pas puisque ses fruits sont offerts sur les branches, et non pas tombés à terre, non pas écartés de l’arbre par leur maturité, non pas tombés par terre sous l’effet d’une force extérieure qui les aurait secoués, mais en proportion de l’ « économie » d’un devoir rationnel bienfaisant. Partant d’une comparaison avec les éléments corporels de la nature sensible, ce qui est signifié dans les feuilles est manifeste. En effet, si nous considérons attentivement ce qu’est la nature des feuilles, nous voyons qu’elle est de se précipiter autour des fruits pour les entourer de leur protection, afin de protéger, comme d’une sorte de rempart, la tendre fragilité commençante des fruits. Ainsi, l’enseignement des paroles de Dieu qui recouvre comme d’un vêtement protecteur les fruits qui nous sont promis, c’est cela même qui est signifié par les feuilles. En effet, par ces paroles de Dieu, notre espérance est protégée d’ombre pour que les fruits soient dérobés à la vue des tempêtes de ce monde et protégés comme par un abri. Donc, les feuilles, c’est-à-dire les paroles de Dieu, ne dépérissent pas, puisqu’il fut dit par le Seigneur que « le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas ». Ainsi, rien de ce que le Seigneur a dit, ne se dispersera, ni ne tombera pour sa perte.

17. Que les feuilles de cet arbre ne soient pas inutiles mais salutaires pour les Gentils, saint Jean en témoigne dans l’Apocalypse lorsqu’il dit : « Puis il (l’Ange) me montra le fleuve de l’eau de la vie, brillant comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau ; au milieu de la place de la Cité et entre les deux rives du fleuve, est l’arbre de vie qui porte douze fois des fruits, les donnant une fois par mois, et dont les feuilles servent pour la guérison des nations païennes ». Le mystère céleste est ainsi présenté sous des formes corporelles pour que ces réalités corporelles elles-mêmes, quoiqu’elles ne puissent pas rendent compte, étant incorporées, de toute la réalité, n’affaiblissent cependant pas l’intelligence spirituelle du texte du psaume. Il aurait convenu, en effet, qu’il fût dit, dans l’Apocalypse, que de l’un et l’autre côtés du fleuve se trouvaient plantés des arbres, et non seulement un seul arbre. Mais parce que, dans le sacrement du baptême, l’arbre de vie se trouve en tout lieu pour apporter le fruit de la prédication apostolique à ceux qui, de toute part, s’en approchent, pour cette raison, un seul arbre de vie se tient de part et d’autre du fleuve - car un seul Agneau est contemplé sur le trône de Dieu, et un seul fleuve, et un seul arbre de vie : toutes ces réalités contemplées contiennent en elles-mêmes tous les mystères de l’Incorporation du Seigneur, de son Baptême et de sa Passion, arbre dont les feuilles, qui ne tombent pas et représentent les paroles de la prédication, communiquent en partage aux païens le salut, par l’enseignement de la foi.

18. « Et tout ce qu’il entreprend réussit » (v. 3). Ce n’est pas comme en Adam où le don qui lui fut fait et les conditions de son établissement dans la justice furent perturbées, pour avoir perdu par lui-même, en péchant par transgression de la Loi, la béatitude dans l’état d’immortalité. Mais, par la rédemption de l’Arbre de vie, c’est-à-dire par la Passion seigneuriale, déjà, alors que nous lui serons rendus semblables par ce même arbre de vie, tout ce qu’il réalise en nous, c’est de l’éternel ; un « éternel » à entendre au sens de béatitude. « Tout ce qu’il fait réussi ». Tous ceux-là (les rachetés par l’Arbre de vie) réussissent ce qu’ils entreprennent, non par une transformation incertaine, non dans une nature affaiblie, mais lorsque l’incorruptibilité aura absorbé la corruption, et l’éternité, la faiblesse, et la forme de Dieu, la forme de la chair de cette terre. D’où ce qui suit : cet homme sera semblable à un arbre planté donnant ses fruits en temps opportun ; lui aussi sera planté en Paradis, de sorte qu’en ce lieu où toutes choses créées par Dieu sont implantées pour prospérer, la plantation de Dieu ne souffre aucun arrachement, et qu’ensuite, elle ne soit déracinée sous l’effet de quelque transformation ou de notre condition de faiblesse, ou de durée.

19. Par la béatitude reconnue parfaite de cet homme, dont parle le psaume, était montré, en conséquence, que le châtiment demeurait effectif pour les impies. Le psaume poursuit, en effet : « Il n’en va pas de même pour les impies, non, pas de même ; il en va pour eux comme de la poussière emportée par le souffle du vent » (v. 4) ». Il ne reste pas d’espérance d’entrer pour les impies, dans cette béatitude, présentée ici sous forme de comparaisons, mais ils demeurent errants, écrasés, emportés à tous vents, dispersés et sans repos, de sorte qu’à partir de cette image de la solide fermeté du corporel, ils soient dispersés pour le châtiment, comme la poussière d’un objet battu, et cependant non retourné dans le néant ; cela, pour que le motif pénal soit maintenu, mais que, abattus dans une terre desséchée, poussiéreuse et sans consistance, ils soient jetés dehors pour subir leur peine dans une mobilité de dérision. De cette peine, le même Prophète se souvient, dans un autre endroit, lorsqu’il dit (de la part du Seigneur) : « Je les ai broyés comme la poussière livrée au vent, je les ai écrasés comme la boue des places publiques » (Ps 17, 43). C’est pourquoi un parallèle est ainsi tracé entre la béatitude et la peine. En effet, que ce ne soit aucun travail difficile pour le vent de dissiper la poussière, et que ceux qui foulent la boue des places ne s’en aperçoivent même pas, cette évidence rappelle qu’il est aisé, pour cette peine d’en-bas, de broyer et de disperser ceux que le rapport au péché a dissouts dans la boue et transformés en poussière, pour être réduits en une substance sans solidité, comme le sont la poussière et la boue ; les voici donc passés dans une nature substantiellement vouée aux supplices.

20. Parce que, par ce changement d’une substance solide à l’inconsistance de la poussière, ils ne participeront pas à ce bien qui est donné à l’homme heureux, à partir du fruit de l’arbre produit en temps opportun ; aussi le Psalmiste ajoute-t-il : « C’est pourquoi, ils ne se dresseront pas debout, les impies, au jour du jugement ». Ce n’est pas une destruction sans exception qui sera déclarée pour ceux qui giseront dans la poussière, par le fait qu’ils ne se dresseront pas debout ; mais, la résurrection pour le jugement leur sera refusée. Ce n’est pas, en effet, parce qu’ils ne seront pas - au sens de devoir manquer le jugement -, que ferait l’économie de la peine ce qui ne subsisterait pas pour subir le châtiment. Mais ils ont encore assez d’être pour subsister, puisqu’ils sont poussière. À la vérité, devenir poussière soit par l’aridité, soit pour avoir été broyé, ce n’est pas avoir perdu la nature de ce qui doit subsister, mais c’est subsister en une autre nature. Par le fait aussi qu’au jugement ils ne se dresseront pas, est prouvé que ce n’est pas à leur nature qu’ils doivent de ne pouvoir se dresser, mais au fait d’avoir perdu la disposition leur permettant de se mettre debout pour le jugement. Cette disposition nécessaire à la résurrection et au jugement doit être comprise selon ce que montre le Seigneur dans les évangiles, lorsqu’il dit : « Qui croit en moi, n’est pas jugé (condamné) ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé (condamné) ; et voici pourquoi : la lumière est venue en ce monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière » (Jn 3, 18-19).

21. L’énoncé de la parole du Seigneur trouble fortement à la fois l’indifférente disposition des auditeurs et l’incurie des lecteurs. Lorsqu’il dit en effet : « Qui croit en moi ne sera pas jugé », cela exclut du jugement les fidèles ; et lorsqu’il dit plus loin : « Mais qui ne croit pas en moi est déjà condamné », cette parole n’admet pas au jugement les infidèles. Donc, si les croyants sont exclus et les infidèles rejetés, comment, par cette sorte de présentation du jugement, estimer convenable dans toute sa réalité cette troisième parole : « Et voici le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière » ? Il ne peut y avoir de place pour le jugement lorsque ni infidèles, ni fidèles, ne sont en capacité d’être jugés. À la vérité, cela apparaît ainsi aux auditeurs négligents et aux lecteurs peu perspicaces ; mais en fait, la vigueur même des mots en eux-mêmes contient la qualité propre qui leur appartient et leur compréhension.

22. « Qui croit en moi ne sera pas jugé (d’un jugement de condamnation) ». Quelle nécessité en effet de juger le croyant ? Le jugement se justifie pour dénouer des affaires ambiguës ; et lorsque l’ambiguïté est levée, l’examen de la situation ne requiert plus de jugement. De cela il ressort que, de peur que les infidèles ne soient pas nécessairement jugés - parce que l’ambiguïté ne subsiste pas lorsqu’il s’avère qu’ils ne sont pas infidèles -, mais que le jugement soit enlevé pour les croyants et pour les non-croyants, le Seigneur ajoute un motif de jugement pour ceux qui le produisent et doivent nécessairement être jugés. En effet, il y en a quelques-uns parmi les justes et les impies, qui se trouvent au milieu, mêlés aux uns et aux autres et pourtant, à leur manière propre, ni l’un ni l’autre ; en cela même ils dépendent les uns des autres, ne se mêlant pas à la foi car il y a en eux quelque chose qui participe à l’infidélité, ni s’estimant devoir pactiser avec l’infidélité car ils possèdent quelque chose de la foi. Plusieurs, en effet, conservent dans l’Église la crainte de Dieu, quoique les agréments du siècle les attirent vers les vices mondains. Ils prient, parce qu’ils craignent. Ils pèchent, parce qu’ils le veulent bien. Ils se nomment chrétiens, parce que l’espérance de l’éternité leur est bonne. Ils agissent comme des païens, parce que leur agréable présence leur agrée. Impies, ils ne se maintiennent pas, car pour eux le nom de Dieu est en honneur ; gens pieux, ils ne le sont pas vraiment, car ce qui est du domaine de la piété, ils le jugent étranger à leurs pratiques. Il leur est nécessaire d’aimer plus ces biens étrangers par lesquels le nom qu’ils redoutent (celui de chrétien) ne peut être réel selon l’amour qu’il requiert et que dément leur peu d’empressement pour les œuvres de l’amour. D’où ce qu’a ajouté le Seigneur, après qu’il ait parlé des croyants qui n’ont pas été jugés, et des non-croyants qu’il a dit avoir été déjà jugés : « Voici en quoi consiste le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ». Pour ceux-ci, il y a bien un jugement qui déjà, dans les incrédules, est à l’œuvre, et qui, pour les croyants, n’est pas nécessaire. Pour les premiers, s’ils ont aimé les ténèbres plus que la lumière, ce n’est pas qu’ils n’aient pas aimé du tout la lumière, mais parce que leur amour se sera davantage incliné vers les ténèbres. En effet, comme il est de coutume, l’amour est une préférence par rapport à une autre chose qui pourrait aussi être aimée. De là, le jugement : tout en ayant aimé le Christ, ils lui ont préféré les ténèbres. Ils seront donc jugés, eux qui, ni comme gens pieux auraient à l’être, ni comme impies auraient dû l’être, mais d’un jugement s’effectuant à partir de leur préférence d’un amour sur l’autre.

23. Il est vrai, le Prophète montre bien qu’il détient la raison de cette disposition évangélique, lorsqu’il dit : « C’est pourquoi, les impies ne se lèveront pas lors du jugement, ni les pécheurs au conseil des justes » (v. 5). Le jugement pour les impies ne se maintient pas, car ils sont déjà jugés. Cependant, pour les pécheurs, dont nous avons dit plus haut qu’ils devaient être distingués des impies, le conseil (l’assemblée) des justes les réfutera, car ils doivent être jugés. En effet, l’impiété les juge avant le temps, eux que le péché tient effectivement éloignés pour être jugés. C’est pourquoi, ni l’impiété qui est déjà jugée et tolérée en vue du jugement des pécheurs, ni les pécheurs qui devront être jugés, ne mériteront la dignité de figurer au conseil des justes qui seuls ne seront pas jugés.

24. D’où la différenciation procédant de cette diversité d’état : « Le Seigneur connaît le chemin des justes, et le chemin des impies se perdra » (v. 6). Les pécheurs ne vont pas au conseil des justes, car le Seigneur connaît le chemin des justes. Cependant, il ne connaît pas d’une science faite d’ignorance, mais par une condescendance qui implique connaissance. En effet, ce n’est pas cette mutation permanente des passions humaines qui est en Dieu, de telle sorte qu’il connaîtrait ou ignorerait. Le bienheureux apôtre Paul expose pour quelle raison nous serons connus de Dieu, lorsqu’il dit : « Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré par l’Esprit, qu’il reconnaisse que ce que je vous écris vient de Dieu ; mais si quelqu’un le méconnaît, c’est qu’il n’est pas connu » (1 Co 14, 37-38). Il montre donc que ceux-là sont connus de Dieu qui ont reconnu les choses de Dieu (les réalités révélées). Alors, devant être connus comme ils ont eux-mêmes connu, ils sont accordés à la dignité de connaître par le mérite de la religion révélée offerte à la connaissance, de sorte que ce qui est connu n’est pas compris comme un progrès venant de l’ignorant, mais venant de celui qui est connu. Aussi, le Seigneur montra-t-il de manière précise en Adam et en Abraham que les pécheurs s’ignorent, et que les fidèles se connaissent. En effet, après son péché, il est dit à Adam : « Où es-tu, Adam ? » non que Dieu qui avait jusqu’ici mis Adam en Paradis ignorât où était Adam, mais tandis que Dieu l’interrogeait sur le lieu, Adam se montrait, du fait qu’il avait péché, indigne d’une connaissance de Dieu. Ainsi, pendant un temps, Abraham fut ignoré, jusqu’à ce qu’à soixante-dix ans la parole de Dieu lui fut adressée, tandis que par l’oblation d’Isaac, il prouva sa fidélité au Seigneur ; alors il fut reçu avec honneur dans la divine familiarité : « Maintenant, j’ai reconnu que tu crains le Seigneur ton Dieu et que tu n’as pas épargné ton fils bien-aimé à cause de moi » (Gn 22, 12). Il n’ignorait pas entièrement la foi d’Abraham qui le porta à croire en l’engendrement d’Isaac, et, pour ce motif, le considéra comme un homme juste, car, en offrant son fils, il donnait un grand témoignage de sa crainte envers Dieu. Dès lors, il était connu ; dès lors, il avait été mis à l’épreuve ; dès lors, il était digne, lui qui n’était plus ignoré. Ainsi, Dieu connaît et ignore, lorsque Adam pécheur est ignoré et qu’Abraham, le fidèle, est connu. Est digne, celui qui de Dieu est connu, lui qui n’ignore absolument rien. Le chemin des justes est donc connu de Dieu, eux qui ne seront pas jugés (pour être condamnés). Et, pour cette raison, les pécheurs qui devront être jugés, seront écartés du conseil des justes, tandis que les impies ne se lèveront pas au jugement puisque leur chemin s’est perdu ; déjà, ils sont jugés par celui qui a dit : « Le Père ne juge personne ; mais, tout le jugement, il l’a remis au Fils » (Jn 5, 22), notre Seigneur Jésus-Christ, qui est béni dans les siècles des siècles. Amen.

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