Benoît XVI : Saint Grégoire de Nazianze, théologien et poète

Mardi 16 octobre 2007 — Dernier ajout vendredi 9 avril 2010

Audience générale du 8 août 2007. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 9 août. Paru dans La Documentation Catholique n° 2388 du 21/10/2007, p. 893. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Mercredi dernier, j’ai parlé d’un grand maître de la foi, saint Basile, Père de l’Église. Je voudrais aujourd’hui parler de son ami Grégoire de Nazianze, lui aussi, comme Basile, originaire de Cappadoce. Théologien illustre, orateur, défenseur de la foi chrétienne au IVe siècle, il était célèbre pour son éloquence, et fut aussi un poète à l’âme raffinée et sensible.

Grégoire naquit dans une noble famille. Sa mère le consacra à Dieu dès sa naissance, aux alentours de l’an 330. Après la première éducation en famille, il fréquenta les écoles les plus célèbres de son époque : d’abord à Césarée de Cappadoce, où il se lia d’amitié avec Basile qui allait devenir évêque de la ville, avant de s’arrêter en d’autres métropoles du monde antique, comme Alexandrie d’Égypte et surtout Athènes où il rencontra à nouveau Basile [1]. Plus tard, évoquant cette amitié il allait écrire : « Non seulement je fus pris de vénération pour mon ami, le grand Basile, pour le sérieux de sa conduite, pour la maturité et la sagesse de ses discours, mais j’encourageais les autres à en faire autant, même s’ils ne le connaissaient pas encore. Nous guidait la même soif de savoir… Nous étions en compétition, non pas pour être le premier mais pour permettre à l’autre de l’être. Il semblait que nous n’avions qu’une âme en deux corps » [2]. Ce sont là des mots qui tracent un peu l’autoportrait de cette âme noble. Mais on peut imaginer aussi que cet homme, qui se projetait tellement au-delà des valeurs terrestres, avait beaucoup souffert des choses de ce monde.

Se recueillir en soi-même

Revenu chez lui, Grégoire reçut le baptême et s’orienta vers la vie monastique : la solitude, la méditation philosophique et spirituelle le fascinaient. Il écrira lui-même : « Rien ne me semblait plus grand que ceci : faire taire ses sens, sortir de la chair du monde, se recueillir en soi-même, ne plus s’occuper des choses humaines qui ne sont pas strictement nécessaires ; converser avec soi-même et avec Dieu ; mener une vie qui transcende les choses visibles ; porter dans l’âme une image divine toujours épurée, sans mélange de formes terrestres et erronées ; être réellement un miroir immaculé de Dieu et des choses divines, et le devenir de plus en plus, prenant la lumière à la lumière (…) ; jouir, dans l’espérance du temps présent, des biens à venir, et converser avec les anges ; avoir déjà laissé la terre tout en étant sur terre, transporté en haut par l’esprit » [3].

Comme il le confie dans son autobiographie [4], c’est avec quelque réticence qu’il reçut l’ordination sacerdotale, sachant qu’il lui faudrait ensuite exercer la fonction de pasteur, s’occuper des autres et de leurs affaires et donc ainsi ne plus être recueilli dans la méditation pure. Pourtant, il accepta ensuite cette vocation et assuma le ministère pastoral en pleine obéissance, acceptant, comme il lui arriva souvent dans sa vie, d’être mené par la Providence là où il ne voulait pas aller (cf. Jn 21, 18). En 371, son ami Basile, évêque de Césarée, contre le désir de Grégoire lui-même, voulut l’ordonner évêque de Sasimes, localité stratégiquement importante en Cappadoce. Mais suite à diverses difficultés, il n’en prit jamais possession, demeurant dans la cité de Nazianze.

Vers 379, Grégoire fut appelé dans la capitale, Constantinople, à la tête de la petite communauté catholique fidèle au concile de Nicée et à la foi trinitaire. En ce temps, la majorité adhérait à l’arianisme, qui était le « politiquement correct » et que les empereurs jugeaient politiquement bénéfique. Il se trouva donc dans une condition minoritaire, et entouré d’hostilité. Dans la petite église de l’Anastasis (Résurrection), il prononça cinq Discours théologiques [5], précisément pour défendre et même rendre intelligible la foi trinitaire. Ce sont des discours restés célèbres pour la sûreté de leur doctrine et par l’habileté du raisonnement qui font réellement comprendre quelle est la logique divine. Et leur splendeur formelle nous fascine encore aujourd’hui. Suite à ces discours, Grégoire fut qualifié de « théologien », et c’est ainsi que l’appelle l’Église orthodoxe, « Le Théologien ». Et cela parce que la théologie n’est pas pour lui une réflexion purement humaine, ou seulement le fruit de spéculations complexes, mais parce qu’elle découle d’une vie de prière et de sainteté, d’un dialogue assidu avec Dieu. C’est seulement ainsi qu’il fait apparaître à notre raison la réalité de Dieu, le mystère trinitaire. Dans le silence contemplatif, marqué par l’admiration des merveilles du mystère révélé, l’âme accueille la beauté et la gloire divines.

Étude et vie ascétique

Pendant qu’il participait au deuxième concile œcuménique, en 381, Grégoire fut élu évêque de Constantinople et assuma la présidence du Concile. Mais se déchaîna tout de suite contre lui une si forte opposition que la situation devint intenable. Pour une âme aussi sensible, ces inimitiés étaient insupportables. Se reproduisait ce que Grégoire avait déjà regretté précédemment en des mots d’affliction : « Nous avons divisé le Christ, nous qui aimions tellement Dieu et le Christ ! Nous nous sommes menti les uns aux autres pour des motifs de vérité ; nous avons nourri des sentiments de haine à cause de l’Amour ; nous nous sommes séparés les uns des autres ! » [6]. Dans ce climat de tension, il en arriva à sa démission. Devant la foule qui remplissait la cathédrale, Grégoire prononça un discours d’adieu de grande volée et de grande dignité [7]. Il conclut par ces mots son intervention pleine de tristesse : « Adieu, grande cité, aimée du Christ. Mes enfants, je vous en supplie, gardez le dépôt de la foi qui vous a été confié (cf. 1 Tim 6, 20), souvenez-vous de mes souffrances (cf. Col 1,18). Que la grâce de notre Seigneur Jésus, le Christ, soit avec vous tous » [8].

Il retourna à Nazianze où, pendant environ deux ans, il se dédia au soin pastoral de la communauté chrétienne. Puis il se retira définitivement dans une solitude voisine, à Arianze, sa terre natale, s’adonnant à l’étude et à la vie ascétique. C’est pendant cette période de sa vie qu’il composa la majeure partie de son œuvre poétique, essentiellement autobiographique : son Sur ma vie, une relecture en vers de son chemin humain et spirituel, chemin exemplaire d’un chrétien souffrant, d’un homme de grande intériorité au milieu d’un monde noyé de conflits. C’est un homme qui nous fait sentir la primauté de Dieu, et en cela il nous parle encore aujourd’hui, à notre monde à nous : sans Dieu, l’homme perd sa grandeur, sans Dieu il n’y a pas de véritable humanisme. Écoutons donc cette voix et cherchons nous aussi à connaître le visage de Dieu. Dans l’un de ses poèmes, il écrit, s’adressant à Dieu : « Montre ta bienveillance, Toi, l’Au-delà de tout » [9]. Et en 390 Dieu accueillit dans ses bras ce serviteur fidèle qui, avec une intelligence aiguë l’avait défendu par ses écrits, et avec tant d’amour l’avait chanté dans ses poésies.

En savoir plus…

Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

[1Cf. Discours 43, 14-24 ; SC 384, p. 146-180.

[2Discours 43, 16, 20 ; SC 384, p. 154-156,164.

[3Discours 2,7 ; SC 247, p. 96.

[4Cf. Poèmes : « Sur ma vie » 2, 1, 11 ; PG 37, 1053.

[5Discours 27-31 ; SC 250, p. 70-343.

[6Discours VI, 3 ; SC 405, p. 128.

[7Cf. Discours 42 ; SC 384, p. 48-114.

[8Cf. Discours 42, 27 ; SC 384, p. 112-114.

[9Poèmes dogmatiques 1, 1, 29 ; PG 37, 508.

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