Benoît XVI : Saint Jérôme ou la passion des Écritures

Mardi 18 mars 2008 — Dernier ajout samedi 10 avril 2010

Audience générale du 14 novembre 2007. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 15 novembre. Paru dans La Documentation Catholique n° 2393 du 06/01/2008, p. 9. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Nous continuons aujourd’hui la présentation de la figure de saint Jérôme. Comme nous l’avons dit la semaine dernière, il dédia sa vie à l’étude de la Bible, au point que l’un de mes prédécesseurs, le Pape Benoît XV, le reconnut « docteur éminent dans l’interprétation des Saintes Écritures ». Jérôme souligna combien il était l’important de se familiariser avec les textes bibliques et la joie qu’on y trouvait : « Ne te semble-t-il pas, déjà sur cette terre, habiter le royaume des cieux lorsque tu vis au milieu de ces textes, lorsque tu les médites, lorsque tu ne connais et ne recherches rien d’autre ? » [1]. En réalité, le dialogue avec Dieu, avec sa Parole, est, en un certain sens, présence du ciel, c’est-à-dire présence de Dieu. Il est essentiel pour le croyant d’approcher les textes bibliques, spécialement le Nouveau Testament, parce que « ignorer l’Écriture c’est ignorer le Christ », selon sa célèbre phrase, également citée par le Concile Vatican II dans la Constitution Dei Verbum (§ 25).

Véritablement « amoureux » de la Parole de Dieu, il se demandait : « Comment serait-il possible de vivre sans la science des Écritures par lesquelles on apprend à connaître le Christ lui-même, qui est la vie des croyants ? » [2]. La Bible, instrument « par lequel Dieu parle quotidiennement aux fidèles » [3], devient par là encouragement et source de la vie chrétienne pour toute situation et pour toute personne. Lire l’Écriture, c’est converser avec Dieu : « Si tu pries, écrit-il à une jeune fille de la noblesse romaine, tu parles à l’Époux ; si tu lis, c’est lui qui te parle » [4]. L’étude et la méditation de l’Écriture assurent à l’homme sagesse et sérénité [5]. Il est certain que pour pénétrer toujours plus profondément la Parole de Dieu, une application constante et progressive est indispensable. C’est pourquoi Jérôme recommandait au prêtre Népotien : « Lis très fréquemment les divines Écritures ; et même, que le Livre Saint ne soit jamais hors de tes mains. Tu y apprends ce que tu dois enseigner » [6]. À Leta, une mère de famille romaine, il donnait les conseils suivants pour l’éducation de sa fille : « Assure-toi qu’elle étudie tous les jours un passage ou l’autre de l’Écriture […]. À la prière, fais que succède la lecture et à la lecture la prière […]. Que, au lieu de ses bijoux et de ses habits de soie, elle aime les Livres divins » [7]. Avec la méditation et la science des Écritures, « se conserve l’équilibre de l’âme » [8]. Seul un profond esprit de prière et l’aide du Saint-Esprit peuvent introduire à la compréhension de la Bible : « Dans l’interprétation de la Sainte Écriture, nous avons toujours besoin du secours du Saint-Esprit » [9].

Guidé par la foi de l’Église

C’est ainsi qu’un amour passionné des Écritures imprègne toute la vie de Jérôme, un amour qu’il chercha toujours à susciter aussi chez les fidèles. Il recommandait à l’une de ses filles spirituelles : « Aime la Sainte Écriture, et la sagesse t’aimera ; aime-la tendrement, et elle te gardera ; honore-la, et tu recevras ses caresses. Qu’elle soit pour toi comme tes colliers et comme tes boucles d’oreille » [10]. Ou encore :« Aime la science de l’Écriture et tu n’aimeras pas les vices de la chair » [11].

Pour Jérôme, un critère fondamental dans l’interprétation des Écritures était l’harmonie avec le magistère de l’Église. Nous ne pouvons jamais lire seuls l’Écriture. Nous trouvons trop de portes closes et nous glissons facilement dans l’erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration du Saint-Esprit. Ce n’est que dans cette communion avec le Peuple de Dieu que nous pouvons réellement pénétrer par le « nous » jusque dans le noyau de la vérité que Dieu lui-même veut nous dévoiler. Pour Jérôme, une interprétation authentique de la Bible devait toujours être en harmonieuse concordance avec la foi de l’Église catholique. Il ne s’agit pas là d’une exigence imposée à ce Livre à partir de l’extérieur ; le Livre n’est rien d’autre que la voix du Peuple de Dieu en marche, et ce n’est que dans la foi de ce Peuple que, pourrait-on dire, nous sommes dans le ton juste pour comprendre la Sainte Écriture. C’est dans ce but que Jérôme nous met en garde : « Reste fermement attaché à la doctrine traditionnelle qui t’a été enseignée, afin de pouvoir exhorter en conformité avec la saine doctrine et réfuter ceux qui la contredisent » [12]. En particulier, puisque Jésus a fondé son Église sur Pierre, tout chrétien, concluait-il, doit être en communion « avec la Chaire de Pierre. Je sais que sur cette pierre est édifiée l’Église » [13]. Et en conséquence, il déclarait sans compromis : « Je suis avec quiconque est uni à la Chaire de Pierre » [14].

Mortifications et pèlerinages

Jérôme ne néglige évidemment pas le point de vue éthique. Il rappelle souvent aussi le devoir de mettre la vie en accord avec la Parole divine, et également que ce n’est qu’en la vivant que nous trouvons la capacité de la comprendre. Cette cohérence est indispensable à tout chrétien, en particulier au prédicateur, pour que ses actes, s’ils étaient discordants par rapport aux discours, ne le mettent pas dans l’embarras. C’est ainsi qu’il exhorte le prêtre Népotien de la manière suivante : « Que tes actes ne démentent pas tes paroles, pour qu’il n’arrive pas, quand tu prêches à l’église, que quelqu’un ne commente en son for intérieur : « Pourquoi donc n’agis-tu pas de la sorte ? ». Il a bonne mine, vraiment, ce maître qui, le ventre plein, discourt sur le jeûne ! Un voleur peut lui aussi condamner l’avarice ; mais dans le prêtre du Christ l’esprit et la parole doivent s’accorder » [15]. Dans une autre lettre, Jérôme répète : « Même si sa doctrine est splendide, quelqu’un n’en est pas moins impudent s’il est en même temps condamné par sa conscience » [16]. Toujours à propos de la cohérence, il fait observer : l’Évangile doit se traduire par des actes de véritable charité, parce qu’en tout être humain est présente la Personne même du Christ. S’adressant, par exemple, au prêtre Paulin (qui deviendra par la suite évêque de Nole, et saint), Jérôme lui conseille : « L’âme du fidèle est le vrai temple du Christ : orne-le, ce sanctuaire, embellis-le, déposes-y tes offrandes et reçois le Christ. Pourquoi couvrir les murs de pierres précieuses, si le Christ meurt de faim dans la personne d’un pauvre ? » [17]. Jérôme précise de manière concrète : il faut « vêtir le Christ dans les pauvres, le visiter dans les souffrants, le nourrir dans les affamés, l’abriter dans les sans-abri » [18]. L’amour du Christ, nourri par l’étude et la méditation, nous fait surmonter toutes les difficultés : « Nous aussi aimons le Christ, recherchons toujours l’union à lui : alors, nous semblera aisé même ce qui est malaisé » [19].

Jérôme, que Prosper d’Aquitaine qualifiait de « modèle de conduite et maître du genre humain » [20], nous a aussi laissé un enseignement riche et varié sur l’ascétisme chrétien. Il rappelle qu’un engagement courageux vers la perfection requiert une vigilance constante, de fréquentes mortifications, même si elles doivent être accomplies avec modération et prudence, un travail intellectuel ou manuel assidu qui évite l’oisiveté [21], et surtout l’obéissance à Dieu : « Rien […] ne plaît tant à Dieu que l’obéissance […] qui est la plus élevée et l’unique vertu » [22]. Dans la méthode ascétique, on peut compter également la pratique des pèlerinages. En particulier, Jérôme donna une impulsion aux pèlerinages en Terre Sainte, où les pèlerins sont accueillis et logés dans des maisons choisies, proches du monastère de Bethléem, grâce à la générosité de dame Paula, fille spirituelle de Jérôme [23].

L’éducation par l’expérience

On ne peut passer sous silence, enfin, l’apport de Jérôme en matière de pédagogie chrétienne [Cf. Ép. 107 et 128). Il se propose de former « une âme qui doit devenir le temple du Seigneur » [24]. En une intuition profonde, il conseille de la préserver du mal et des occasions de péché, d’exclure les amitiés équivoques ou causes de dissipation [25]. Surtout, il exhorte les parents à créer une ambiance de sérénité et de joie autour de leurs enfants, à les stimuler dans leurs études et dans leur travail, sans oublier les félicitations et l’émulation [26], à les encourager à surmonter les difficultés, à favoriser leurs bonnes habitudes et à les empêcher d’en prendre de mauvaises, parce que (et ici il cite une phrase de Publilius Syrus entendue à l’école) « c’est à grand-peine que tu réussirais à te corriger de ces choses auxquelles tu es en train de t’habituer tranquillement » [27]. Les parents sont les principaux éducateurs des enfants, les premiers maîtres de vie. Avec beaucoup de clairvoyance, Jérôme s’adressant à la mère d’une jeune fille avant de se tourner vers le père, les avertit, presque comme s’il exprimait une exigence fondamentale de toute créature humaine qui se présente à l’entrée dans la vie : « Qu’elle trouve en toi sa maîtresse, et qu’elle te regarde avec admiration en sa jeunesse inexpérimentée. Ni en toi, ni en son père, qu’elle ne voit jamais aucun acte qui la porte au péché s’il était imité. Souvenez-nous […] que vous pouvez l’éduquer davantage par l’exemple que par la parole » [28]. Parmi les principales intuitions de Jérôme comme pédagogue, il faut signaler l’importance qu’il attribuait à une saine éducation intégrale dès le début de la petite enfance, l’importance particulière reconnue aux parents, la nécessité du sérieux de la formation morale et religieuse, l’exigence des études pour une formation humaine plus complète. De plus, un aspect assez inattendu dans ces temps antiques mais que notre auteur considérait comme vital est la promotion de la femme, à qui il reconnaît le droit à une formation complète : humaine, intellectuelle, religieuse, professionnelle. Et nous voyons bien aujourd’hui comment l’éducation intégrale de la personnalité, l’éducation à la responsabilité devant Dieu et devant les hommes, est la véritable condition de tout progrès, de toute paix, de toute réconciliation et de toute exclusion de la violence. L’éducation devant Dieu et devant les hommes : c’est la Sainte Écriture qui nous présente le guide de l’éducation et, en cela, du véritable humanisme.

Il n’est pas possible de conclure ces rapides remarques sur la grandeur de ce Père de l’Église sans souligner l’efficacité de sa contribution à la sauvegarde de ce qui était positif et valable dans les éléments d’antiques cultures hébraïque, grecque et romaine passés dans la civilisation chrétienne en train de naître. Jérôme a reconnu et assimilé les valeurs artistiques, la richesse des sentiments et l’harmonie des images présentes dans les classiques, qui éduquent le cœur et l’imagination à de nobles sentiments. Par-dessus tout, il a mis au centre de sa vie et de son activité la Parole de Dieu, qui montre à l’homme les sentiers de la vie et lui révèle les secrets de la sainteté. De tout cela, nous pouvons, encore aujourd’hui, lui être profondément reconnaissants.

En savoir plus…

Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

[1Ep. 53,10.

[2Ép. 3, 7.

[3Ép. 133, 13.

[4Ép. 22, 25.

[5Cf. In Eph., prol.

[6Ép. 52, 7.

[7Ép. 107, 9-12.

[8Ad Eph. prol.

[9In Mich., I, 1, 10, 15.

[10Ép. 130, 20.

[11Ép. 125, 11.

[12Ép. 52, 7.

[13Ép. 15, 2.

[14Ép. 16.

[15Ép. 52, 7.

[16Ép. 127, 4.

[17Ép. 58, 7.

[18Ép. 130, 14.

[19Ép. 22, 40.

[20Carmen de ingratis, 57.

[21Cf. Ép. 125, 11 et 130, 15.

[22Hom. de oboedientia : CCL 78, 552.

[23Cf. Ép. 108, 14.

[24Ép. 107.], une « perle précieuse » aux yeux de Dieu[[Ép. 103, 13.

[25Cf. Ép. 107, 4 et 8-9 ; cf. aussi Ép. 128, 3-4.

[26Cf. Ép. 107, 4 et 128, 1.

[27Ép. 107, 8.

[28Ép. 107, 9.

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