Benoît XVI : Saint Jérôme

Mardi 18 mars 2008 — Dernier ajout vendredi 9 avril 2010

Audience générale du 7 novembre 2007. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 8 novembre. Paru dans La Documentation Catholique n° 2393 du 06/01/2008, p. 7. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Aujourd’hui nous fixerons notre attention sur saint Jérôme, un Père de l’Église qui a mis la Bible au centre de sa vie : il l’a traduite en latin, l’a commentée dans ses œuvres, et par-dessus tout il s’est engagé à la vivre dans le concret au cours de sa longue existence sur terre, en dépit du caractère notoirement difficile et fougueux qu’il avait reçu de la nature.

Jérôme était né à Stridon, vers 347, au sein d’une famille chrétienne qui lui assura une solide formation, l’envoyant même à Rome poursuivre ses études. Dans sa jeunesse, il se sentait attiré par la vie dans le monde [1], mais prévalurent en lui le désir et l’intérêt pour la vie chrétienne. Après avoir reçu le baptême, vers 366, il s’orienta vers la vie ascétique et, s’étant établi à Aquilée, il y rejoignit un groupe de chrétiens fervents qu’il définit comme « presque un chœur de bienheureux » [2], qui se réunissait autour de l’évêque Valérien. Puis il se rendit en Orient et vécut en ermite dans le désert de Chalcis, au sud l’Alep [3], se livrant sérieusement à l’étude. Il perfectionna ses connaissances en grec, commença l’étude de l’hébreu [4], transcrivit des codex d’œuvres des Pères [5]. La méditation, la solitude, le contact avec la Parole de Dieu firent mûrir sa sensibilité chrétienne. Il ressentit de façon plus vive le poids de ses errements de jeunesse [6] et comprit vivement le contraste entre la mentalité païenne et la vie chrétienne : un contraste rendu célèbre par la vive et dramatique « vision » dont il nous a laissé le récit. Il lui semblait être flagellé en présence de Dieu, parce qu’il était « cicéronien et non pas chrétien » [7].

Ascète et érudit

En 382, il s’installa à Rome, où le Pape Damase, au courant de sa renommée d’ascète et de sa compétence d’érudit, se l’attacha comme secrétaire et conseiller ; il l’encouragea à entreprendre une nouvelle traduction latine des textes bibliques dans un but pastoral et culturel. Quelques membres de l’aristocratie romaine, spécialement des dames de la noblesse comme Paula, Marcella, Asella, Lea et d’autres, désireuses de s’engager dans la voie de la perfection chrétienne et d’approfondir leur connaissance de la Parole de Dieu, le choisirent comme guide spirituel et maître dans l’approche méthodique des textes sacrés. Ces dames nobles apprirent aussi le grec et l’hébreu.

Après la mort du Pape Damase, Jérôme quitta Rome en 385 et partit en pèlerinage, d’abord vers la Terre Sainte, silencieuse témoin de la vie terrestre du Christ, puis vers l’Égypte, terre d’élection de nombreux moines [8]. En 386, il s’arrêta à Bethléem où, par la générosité de dame Paula furent construits un monastère pour hommes, un autre pour femmes, et un hospice pour les pèlerins venant en Terre Sainte, « en souvenir de Marie et de Joseph qui n’avaient pas trouvé où se loger » [9]. Il allait rester à Bethléem jusqu’à sa mort, continuant à se livrer à une activité intense : commentaires de la Parole de Dieu ; défense de la foi ; opposition vigoureuse à diverses hérésies ; exhortation à la perfection adressée aux moines ; enseignement de la culture classique et chrétienne à de jeunes élèves ; accueil pastoral de pèlerins qui visitaient la Terre Sainte. Il s’éteignit dans sa cellule, toute proche de la grotte de la Nativité, le 30 septembre 419 ou 420.

La Vulgate, texte ’officiel’ de l’Église latine

Sa préparation littéraire et sa vaste érudition valurent à Jérôme de pouvoir réviser et traduire de nombreux textes bibliques : ce fut là une œuvre précieuse pour l’Église latine et pour la culture occidentale. Sur la base des textes originaux en grec et en hébreu, grâce à la confrontation avec les versions antérieures, il réalisa la révision des quatre évangiles en langue latine, puis celle des psaumes et d’une grande partie de l’Ancien Testament. Utilisant l’original hébreu ou grec, les textes de la Septante (traduction grecque classique de l’Ancien Testament remontant aux temps préchrétiens) et ceux des versions latines antérieures, Jérôme, bientôt aidé de divers collaborateurs, put présenter une traduction améliorée : elle constitue ce qu’on appelle la Vulgate, qui est le texte ’officiel’ de l’Église latine, reconnu comme tel par le Concile de Trente et qui, après la récente révision, reste le texte ’officiel’ de l’Église de langue latine. Il est intéressant de relever les critères auxquels le grand bibliste obéit dans son travail de traducteur. Il les relève lui-même quand il affirme respecter jusqu’à l’ordre même des mots des Saintes Écritures parce que dit-il, en eux « jusqu’à l’ordre des mots est un mystère » [10], c’est-à-dire une révélation. Il souligne d’autre part la nécessité de recourir aux textes originaux : « Quand surgit une discussion entre les Latins sur le Nouveau Testament à cause de leçons discordantes entre les manuscrits, nous avons recours à l’original, c’est-à-dire au texte grec dans lequel fut écrite la Nouvelle Alliance. De la même façon, pour l’Ancien Testament, s’il s’y trouve quelque divergence entre les textes grecs et latins, nous en appelons au texte original, en hébreu ; de sorte que tout ce qui jaillit de la source nous pouvons le retrouver dans les ruisseaux » [11]. En outre, Jérôme commente aussi plusieurs textes bibliques. Pour lui, les commentaires doivent représenter des opinions multiples, « de sorte que le lecteur avisé, ayant lu les explications diverses et ayant été mis au courant d’opinions variées, à accepter ou à repousser, juge ce qui est le plus digne de foi et, tel un changeur expert, rejette la fausse monnaie » [12].

Il réfuta énergiquement et vigoureusement les hérétiques par qui s’introduisait la contestation dans la tradition et la foi de l’Église. Il démontra également l’importance et la valeur de la littérature chrétienne, devenue véritablement une culture digne désormais d’être comparée à la culture classique : il le fit comprendre en composant son De viris illustribus, œuvre où Jérôme présente la biographie de plus d’une centaine d’auteurs chrétiens. Il écrivit aussi des biographies de moines, illustrant l’idéal monastique à côté d’autres itinéraires spirituels ; en plus, il traduisit diverses œuvres d’auteurs grecs. Enfin, dans son important recueil d’épîtres, chef d’œuvre de la littérature latine, Jérôme montra ses qualités d’homme cultivé, d’ascète et de guide spirituel.

Parole de Dieu et vie éternelle

Que pouvons-nous apprendre de saint Jérôme ? Ceci avant tout, me semble-t-il : aimer la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture. Saint Jérôme nous dit : « Ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ ». Il est donc important pour tout chrétien de vivre au contact de la Parole de Dieu et en dialogue personnel avec elle, qui nous a été donnée dans la Sainte Écriture. Ce dialogue que nous aurons avec elle doit toujours avoir deux dimensions : d’une part, ce doit être un dialogue réellement personnel, parce que Dieu parle avec chacun de nous au travers de la Sainte Écriture, et il a un message pour chacun. Nous devons lire la Sainte Écriture non pas comme une parole venant du passé, mais comme la Parole de Dieu adressée aussi à nous, et chercher à comprendre ce que le Seigneur veut nous dire à nous. Mais, d’autre part, pour ne pas tomber dans l’individualisme nous devons avoir à l’esprit que la Parole de Dieu ne nous est donnée que pour construire la communion, pour nous unir dans la vérité lors de notre marche vers Dieu. Et donc, tout en étant toujours une Parole personnelle, elle est aussi une Parole qui construit la communauté, qui construit l’Église. C’est pourquoi nous devons la lire en communion avec l’Église vivante. Le lieu privilégié de la lecture et de l’écoute de la Parole de Dieu est la liturgie, au cours de laquelle, célébrant la Parole et rendant présent le Sacrement du Corps du Christ, nous actualisons la Parole dans notre vie et la rendons présente parmi nous. Il ne nous faut jamais oublier que la Parole de Dieu transcende les temps. Les opinions humaines vont et viennent. Ce qui aujourd’hui est à la pointe du moderne, sera demain complètement vieilli. Au contraire, la Parole de Dieu, est Parole de vie éternelle, elle porte en elle l’éternité, ce qui est valable à jamais. Portant en nous la Parole de Dieu, c’est donc l’éternel que nous portons, la vie éternelle.

Et je conclus ici par une parole de saint Jérôme à saint Paulin de Nole. Le grand exégète y exprime exactement cette réalité, que c’est dans la Parole de Dieu que nous recevons l’éternité, la vie éternelle : « Cherchons à apprendre sur Terre ces vérités dont la pertinence persistera encore au ciel » [13].

En savoir plus…

Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

[1Cf. Ép. 22, 7.

[2Chron. pour l’année 374.

[3Cf. Ép. 41, 1.

[4Cf. Ép. 125, 12.

[5Cf. Ép. 22, 7.

[6Cf. Ép. 22, 4.

[7Cf. Ép. 22, 30.

[8Cf. Contra Rufinum, 32, 22 ; Ép. 10, 6-14.

[9Ép. 108,14.

[10Ép. 54, 5.

[11Ép. 106, 2.

[12Contra Rufinum 1, 15.

[13Ép. 53, 10.

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