Félicité Robert de la Mennais : La fleur virginale du christianisme

Samedi 10 novembre 2007 — Dernier ajout jeudi 8 avril 2010

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Vous trouverez ici un petit texte de Félicité Robert de la Mennais qui servait de préface à une sélection d’écrits des Pères de l’Église.

l n’est personne qui n’ait entendu parler des Pères de l’Église : la chaire retentit de leurs noms ; les chrétiens sont, dès l’enfance, habitués à les révérer. D’où vient donc qu’on les lit si peu ? Est-ce qu’ils manquent des qualités qui rendent l’instruction tout ensemble et solide et attachante ? Non ; sous ces deux rapports, ils n’ont pas été surpassés : mais la plupart de leurs ouvrages, ou ne sont pas traduits, ou le sont mal ; quelques-uns traitent de questions importantes à l’époque où elles étaient agitées, mais aujourd’hui de très peu d’intérêt pour les simples fidèles, que rien n’oblige à faire une étude particulière de la théologie. D’ailleurs, les grands écrivains religieux qui ont paru dans les derniers siècles, nourris de la lecture des Pères, ont reproduit sous de nouvelles formes les beautés de tout genre qu’on admire dans leurs écrits. On a dès lors négligé de recourir à la source même, et c’est un malheur ; car cette source, aussi pure que féconde, est loin d’être épuisée.

Les Pères sont la fleur virginale du christianisme

On a donc cru faire une chose utile en choisissant dans les Pères une suite de morceaux qui formassent comme un cours abrégé de doctrine et de morale chrétienne. Ces morceaux, traduits avec soin, donneront une légère idée du mérite propre aux ouvrages d’où ils sont tirés ; et peut-être qu’en les comparant aux passages de Bossuet même et de Fénélon qu’on y a joints, on reconnaîtra que non seulement ils ne sont pas effacés parce redoutable voisinage, mais que, pour la justesse et la force du raisonnement, l’élevation des pensées, la chaleur des mouvements, l’heureuse abondance des images, les Pères n’ont rien à envier à leurs successeurs, et qu’on pourrait quelquefois, en lisant ceux-ci, regretter une certaine simplicité mâle et naïve, une vigueur entraînante, un naturel exquis, en un mot je ne sais quelle fleur virginale de christianisme qui semble n’appartenir qu’aux premiers siècles de la religion.

Les Pères vivaient à l’époque de la décadence des lettres ; et cette décadence, qu’ils retardèrent seuls, est à peine sensible dans les ouvrages de plusieurs d’entre eux. Un goût délicat peut sans doute y découvrir quelques taches, ce qui n’empêche pas qu’ils ne soutiennent avantageusement le parallèle avec les chefs-d’œuvre de l’antiquité profane ; et, si l’on veut juger de la puissance de la parole par ses effets, c’était certes une belle éloquence que celle qui a sauvé le monde.

Dieu est le fond de toutes leurs pensées

Deux caractères surtout les distinguent : une tendresse pénétrante qu’on a nommé onction, et une foi vive qui se communique, et triomphe de toutes les résistances de l’esprit. On est persuadé, entraîné par la conviction de l’écrivain et par le désir de convaincre que l’on sent dans tous ses discours. Ce n’est pas un rhéteur qui disserte pour éblouir ; c’est un ami qui vous entretient avec émotion profonde de vos plus grands intérêts, et dont le bonheur serait d’assurer le vôtre. Ce qu’il dit remue le cœur, parce qu’il part du cœur. Sa voix a des accents qui étonnent l’âme et qui la ravissent, une grâce attirante, une douceur dont le charme céleste peut à peine se comprendre, et ne saurait être peint. Que voyez-vous presque toujours dans les orateurs que l’Antiquité nous vante ? l’orgueil s’efforçant de vaincre et de se soumettre les esprits. Ici c’est un homme qui s’abaisse, qui s’humilie, qui prie, qui conjure ; et pour qui ? pour ceux mêmes à qui s’adressent ces pressantes supplications, content d’être oublié pourvu qu’il les sauve. On ne connaissait avant le christianisme, rien de semblable. Considérez ces sublimes docteurs d’une religion sublime : Dieu est le fond de toutes leurs pensées et de tous leurs sentiments. Plongés dans son immense lumière et dans son amour immense, leur parole ardente, et néanmoins calme, éclaire à la fois et féconde comme celle du Créateur. Tous les secrets du temps et de l’éternité leur sont connus. Ils dévoilent l’homme à l’homme, en l’élevant jusque dans le sein de l’Être de qui émanent les êtres. Ils développent à ses yeux les lois de sa nature, ses devoirs, ses destinées ; ils lui expliquent ce que jamais il ne comprendrait de lui-même, sa grandeur, sa basesse, les contradictions mystérieuses de son esprit et de son cœur, la cause des ses maux et leur remède. Que les philosophes, près d’eux, sont petits ! que leur sagesse est vaine ! Qu’il y a loin des disciples de Socrate et de Zénon aux disciples de Jésus-Christ !

Les premiers, se séparant de la tradition générale, et s’appuyant sur leur raison seule, nièrent successivement toutes les vérités. Flottant à tout vent de doctrine, se combattant les uns les autres au milieu des ténèbres ; toujours doutant, toujours détruisant ; après avoir ébranlé le monde moral par leurs désolantes opinions, ils en auraient consommé la ruine si Dieu lui-même n’était venu le replacer sur sa base.
Les seconds, au contraire, unis par la même foi, enseignent de siècle en siècle une doctrine immubable. Elle n’est point à eux, mais à tous les hommes ; ils ne l’ont point inventée, ils l’ont reçue pour la transmettre fidèlement comme un dépôt sacré ; et, traitant des plus hautes questions, de Dieu et de sa nature, de l’homme et de ses devoirs, des lois universelles, de l’ordre, du monde présent et du monde à venir, ils semblent n’avoir qu’une seule pensée, tant l’accord qui règne entre eux est parfait ! et c’est que tous étaient instruits par cet esprit un, cet esprit divin, qui devait, aux moments fixés, remplir et renouveler la terre.

L’unité de la foi chrétienne s’oppose aux désaccords des philosophes

On sera, je crois, frappé de cette observation en lisant les morceaux qui composent ce recueil. Et qu’y a-t-il, en effet, de plus merveilleux que cette unité d’enseignement et de foi conservée, pendant près de vingt siècles, dans l’immense société catholique ? Quoi ! les philosophes n’ont jamais pu s’accorder sur aucun point ; chacun d’eux a eu son système, ses opinions, ses croyances ; et voilà qu’au sein même de cette effroyable confusion s’établit une doctrine uniforme, invariable, que rien n’altère, que rien ne modifie, ni les âges en s’écoualnt, ni la science, ni l’ignorance, ni la diversité des langues, des lois et des moeurs. Depuis le Chili jusqu’au Groenland, et depuis le Kamtschatka jusqu’à Naples, le catholique aujourd’hui récite le même symbole que récitaient ses frères à Jérusalem et à Memphis, à Nisibe et à Rome au temps de Néron. Certes, il y a ici quelque chose de divin ; et nous plaignons profondément la raison aveugle qui se croirait elle-même de préférence à ce grand et constant témoignage que dix-huit siècles ont entendu, et qui a été cru pendant dix-huit siècles.

Chrétiens que l’impiété de cet âge étonne et déconcerte, venez donc, venez raffermir votre foi, contemplant celle de vos pères. Venez écouter leurs enseignements et recevoir de leur bouche cette sacrée tradition de lumière et de vie, hors laquelle il n’existe que des ténèbres éternelles. Venez, mais avec un esprit docile, un cœur humble, une volonté droite ; car il est écrit : Paix aux hommes de bonne volonté. Et que vous servirait-il d’entendre, si vous ne croyiez pas, ou de croire, si vous ne pratiquiez pas ? Ne l’oubliez jamais : la religion est une loi qui oblige, une loi inflexible autant qu’elle est sainte, et qui aggrave la condamnation de tous ceux qu’elle ne sauve point.

Source :

Félicité de la Mennais, Œuvres complètes de F. de la Mennais, revues et mises en ordre par l’auteur, tome deuxième, Société belge de librairie, Bruxelles 1839, p. 105-106.

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