Benoît XVI : Saint Grégoire de Nysse, parler de Dieu et le porter en soi

Samedi 17 novembre 2007 — Dernier ajout vendredi 9 avril 2010

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Audience générale du 5 septembre 2007. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 6 septembre. Paru dans La Documentation Catholique n° 2390 du 18/11/2007, p. 988. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Je me propose de vous présenter quelques aspects de la doctrine de saint Grégoire de Nysse, dont nous avons déjà parlé mercredi dernier. Avant toute chose, Grégoire de Nysse manifeste une conception très élevée de la dignité de l’homme. La fin de l’homme, nous dit ce saint évêque, est de se rendre semblable à Dieu, et cette fin il l’atteint d’abord et avant tout par l’amour, la connaissance et la pratique de la vertu, « rayons lumineux qui descendent de la nature divine » [1], en un perpétuel mouvement d’adhésion au bien, comme la tension d’un coureur vers l’avant. À ce propos, Grégoire utilise une image parlante qui était déjà présente dans la lettre de Paul aux Philippiens (3, 13) : épekteinómenos, c’est-à-dire « tendu vers l’avant », vers ce qui est plus grand, vers la vérité et l’amour. Cette expression frappante renvoie à une réalité profonde : la perfection que nous voulons trouver n’est pas chose acquise une fois pour toutes ; la perfection est le fait d’être en route, c’est une disposition continuelle à aller de l’avant, parce qu’on n’atteint jamais la totale ressemblance à Dieu, qu’on est toujours en chemin [2]. L’histoire de toute âme est celle d’un amour chaque fois comblé et en même temps ouvert sur de nouveaux horizons, parce que Dieu dilate continuellement les possibilités de l’âme afin de la rendre capable de biens toujours plus grands. Dieu lui-même, qui a déposé en nous les germes du bien, et de qui procède toute tentative de sainteté, « façonne le bloc brut […], polissant et nettoyant notre esprit, et il forme en nous le Christ » [3].

Semblable à la divinité

Grégoire prend bien soin de préciser : « Ce n’est, en effet, pas notre œuvre, pas plus que le résultat d’une entreprise humaine, que devenir semblable à la Divinité, mais c’est le fruit de la munificence de Dieu qui, depuis sa toute première origine, a fait à notre nature la grâce de la ressemblance avec lui » [4]. Pour l’âme donc, « il s’agit non pas de connaître quelque chose de Dieu mais d’avoir Dieu en soi » [5]. Et Grégoire note avec acuité : « La divinité est pureté, elle est affranchissement des passions et libération vis-à-vis de tout mal : si tout cela est en toi, Dieu est réellement en toi » [6].

Quand nous avons Dieu en nous, quand l’homme aime Dieu, par cette réciprocité qui est proprement le loi de l’amour il veut ce que veut Dieu lui-même [7], et donc il coopère avec Dieu pour modeler en soi l’image divine, de sorte que « notre naissance spirituelle est le résultat d’un choix libre, et qu’en quelque sorte nous nous engendrons nous-mêmes, nous créant comme nous-mêmes nous désirons être, par notre volonté nous formant sur le modèle que nous choisissons » [8]. L’homme doit se purifier pour monter vers Dieu : « La route qui reconduit vers le ciel la nature humaine n’est rien d’autre que l’éloignement des maux de ce monde […]. Devenir semblable à Dieu signifie devenir juste, saint et bon […]. Si bien que, si Dieu est au ciel comme le dit l’Écclésiaste (5, 1), et si, comme le dit le prophète (Ps 72, 28), vous vous attachez à Dieu, il s’ensuit nécessairement que vous devez être là où se trouve Dieu, du moment que vous lui êtes unis. Lorsqu’il vous a commandé d’appeler Dieu Père quand vous priez, il ne vous a dit là rien de moins que de devenir semblable à votre Père céleste, menant une vie digne de Dieu, comme le Seigneur nous l’ordonne plus clairement encore ailleurs lorsqu’il dit Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Mt 5, 48) » [9].

L’échelle qui mène à Dieu

Sur cette voie d’ascension spirituelle, le Christ est le modèle et le maître, lui qui nous fait voir la belle image de Dieu [10]. Chacun de nous, en le regardant, aboutit à être « le peintre de sa propre vie », dont la volonté est l’exécuteur de l’œuvre et les vertus les couleurs à utiliser [11]. Mais alors, si l’on considère que l’homme est digne du nom du Christ, comment doit-il donc se comporter ? Grégoire répond ainsi : « Il doit toujours examiner l’intimité de ses pensées, de ses paroles et de ses actions, pour voir si elles sont tournées vers le Christ ou bien si elles s’éloignent de lui » [12]. Et ce point est important par la valeur qu’il accorde au mot « chrétien ». Un chrétien est quelqu’un qui porte le nom du Christ et donc doit s’assimiler à lui également dans sa vie. Nous autres, Chrétiens, avec le baptême nous endossons une grande responsabilité. Mais le Christ, nous rappelle Grégoire, est présent aussi dans les pauvres - c’est pourquoi il ne doivent jamais subir d’outrages : « Ne pas mépriser ceux qui gisent à terre, comme s’ils ne valaient plus rien. Réfléchis à ce qu’ils sont et tu découvriras quelle est leur dignité : ils représentent la Personne du Sauveur. Et il en est réellement ainsi : parce que le Seigneur dans sa bonté leur a donné sa propre Personne afin que, par elle, soient touchés de compassion ceux qui ayant le cœur endurci sont les ennemis de pauvres » [13]. Nous avons dit que Grégoire parle de montée : montée vers Dieu dans la prière grâce à la pureté de cœur ; mais montée vers Dieu également grâce à l’amour pour le prochain. L’amour est l’échelle qui mène à Dieu. C’est pourquoi Grégoire apostrophe vivement son auditeur : « Sois généreux avec ces frères qui sont victimes de l’infortune. Donne à l’affamé ce dont tu prives ton ventre » [14].

Avec beaucoup de clarté, Grégoire rappelle que tous nous dépendons de Dieu, ce qui le fait s’exclamer : « Ne pensez pas que tout soit à vous ! Il doit encore y avoir une partie pour les pauvres, les amis de Dieu. La vérité, en effet, est que tout vient de Dieu, le Père universel, et que nous sommes frères et appartenons à une même race » [15]. Puisqu’il en est ainsi, insiste Grégoire, le chrétien doit s’examiner : « Mais à quoi cela te sert-il de jeûner et de faire abstinence, si ensuite tu ne fais que mordre ton frère avec méchanceté ? Que gagnes-tu, que retires-tu, à ne pas manger ce qui est à toi si ensuite tu agis injustement et arraches des mains du pauvre ce qui est à lui ? [16]

L’importance de la prière

Nous conclurons ces catéchèses sur les trois grands Cappadociens Pères de l’Église, en rappelant encore une fois cet aspect important de la doctrine spirituelle de Grégoire de Nysse, qui est la prière. Pour progresser sur le chemin de la perfection et accueillir Dieu en soi, porter en soi l’Esprit de Dieu, l’amour de Dieu, l’homme doit, avec confiance, se tourner vers lui dans la prière : « Par la prière, nous réussissons à être avec Dieu. Mais qui est avec Dieu est loin de l’ennemi. La prière est soutien et défense de la chasteté, frein de la colère, apaisement et maîtrise de l’orgueil. La prière est gardien de la virginité, protection de la fidélité dans le mariage, espérance pour les veilleurs, abondance de fruits pour les agriculteurs, sécurité pour les navigateurs » [17]. Le chrétien prie en s’inspirant toujours de la prière du Seigneur : « Donc, si nous voulons prier pour que descende sur nous le Royaume de Dieu, nous le lui demanderons avec la puissance de la Parole : que je sois préservé de la corruption, que je sois libéré de la mort, que je sois affranchi des chaînes de l’erreur ; que jamais la mort ne règne sur moi, que la tyrannie du mal n’ait jamais aucun pouvoir sur moi, que l’adversaire ne l’emporte pas sur moi et ne me fasse pas prisonnier du péché, mais que vienne sur moi ton Règne afin que s’éloignent de moi, ou, mieux encore, que soient anéanties les passions qui, à l’heure actuelle, me dominent et me régissent » [18].

À la fin de sa vie terrestre, le chrétien pourra ainsi se tourner vers Dieu avec sérénité. À ce sujet, saint Grégoire pense à la mort de sa sœur Macrine et décrit comment à ce moment-là elle priait Dieu avec ces mots : « Toi qui as sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, pardonne-moi pour que je puisse recevoir le réconfort (Ps 38, 14) et pour que je parvienne sans tache en ta présence au moment où je serai dépouillée de mon corps (cf. Col 2, 11), de sorte de mon esprit, saint et immaculé (cf. Eph 5, 27), soit reçu en tes mains “ comme l’encens qui monte vers toi ” (Ps 140, 2) » [19]. Cet enseignement de saint Grégoire garde toujours toute sa valeur : non seulement parler de Dieu, mais porter Dieu en soi. Nous le faisons avec l’engagement de la prière et en vivant dans un esprit d’amour pour tous nos frères.

En savoir plus…

Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

[1Homélies sur les Béatitudes 6 ; PG 44, 1272c.

[2Cf. Homélies sur le Cantique 12 ; PG 44, 1025.

[3In Psalmos 2, 11 ; PG 44, 544b.

[4Sur le virginité 12, 2 ; SC 119, p. 408-410

[5Sur les Béatitudes ; PG 44, 1269c.

[6Sur les Béatitudes ; PG 44, 1272c.

[7Cf. Homélies sur le Cantique 9 ; PG 44, 956ac.

[8Vie de Moïse 2, 3 ; SC 1 bis, 108.

[9Sur l’oraison dominicale 2 ; PG 44, 1145ac.

[10Cf. Sur la perfection chrétienne ; PG 46, 272a.

[11Voir ib. ; PG 12, 272b.

[12Voir ib. ; PG 46, 284c.

[13Sur l’amour des pauvres ; PG 46, 460bc.

[14Voir ib. ; PG 46, 457c

[15Voir ib. ; PG 46, 465b.

[16Voir ib. ; PG 46, 456a.

[17Sur l’oraison dominicale 1 ; PG 44, 1124ab.

[18Voir ib. 3 ; PG 44, 1156d-1157a.

[19Vie de sainte Macrine 24 ; SC 178, 224.

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