Théodore de Mopsueste : Explication du symbole de foi (VIII)

Mercredi 28 avril 2010 — Dernier ajout samedi 1er mai 2010

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Les Homélies catéchétiques de Théodore de Mopsueste furent découvertes en 1932 dans un manuscrit syriaque. Elles sont au nombre de seize. Les dix premières commentent la profession de foi, les autres expliquent le Notre Père, la liturgie baptismale et l’eucharistie.

Homélie 8. Vue d’ensemble sur la théologie de l’Incarnation : le Christ est « en les deux » par nature, Dieu et Homme, assumant et assumé (§ 1), fils de David et Seigneur de David (§ 2-4), Dieu habitant le temple dont il a fait sa demeure, et maître de ce temple qu’il peut abandonner à la mort et ressusciter (§ 5-6) ; le Christ dans la mort (§ 7-9). La distinction des natures et leur merveilleuse conjonction en une personne (§ 10), démontrée par la communication des propriétés, qui explique la grandeur des privilèges accordés à la nature humaine (§ 11-13) ; deux natures, mais un Fils : la conjonction est indissoluble et ne supprime pas la distinction (§ 14-16). Et en cette forme d’esclave qui fut assumée était la Trinité, Père, Fils et Esprit Saint (§ 17-18). C’est de ce dernier qu’il va maintenant être question.

1. L’enseignement sur le Christ notre Seigneur, d’une manière conforme à la tradition de nos pères bienheureux, nous l’avons suffisamment donné à votre Charité en ces jours passés. C’est à vous désormais de garder le souvenir de ce qui vous a été dit avec beaucoup de soin. Car c’est aussi une double parole qu’en suivant le sens des Écritures ils nous ont transmis au sujet du Christ notre Seigneur : il ne fut pas Dieu seulement, ni non plus homme seulement ; mais vraiment c’est « en les deux » qu’il est par nature ; aussi Dieu, aussi homme. Il est Dieu le Verbe, celui qui assuma, mais il est l’homme celui qui fut assumé. Et celui qui est forme de Dieu [1] assuma la forme d’esclave ; et la forme d’esclave n’est pas la forme de Dieu. En la forme de Dieu, il est celui qui par nature est Dieu, celui qui assuma la forme d’esclave ; mais la forme d’esclave est celui qui par nature est homme, qui pour notre salut fut assumé. Donc celui qui assuma ne fut pas celui-là même qui fut assumé, ni celui qui fut assumé ne fut celui-là même qui assuma ; mais celui qui assuma est Dieu, tantôt que l’assumé est homme. Et celui qui assuma est ceci par nature : cela même qu’est Dieu le Père, car il est Dieu auprès de Dieu [2] et tel est ce qu’est celui auprès de qui il était. Mais celui qui fut assumé est ceci par nature : cela même qu’étaient David et Abraham dont il est le fils et de la descendance de qui il est. Aussi est-il le Seigneur et le fils de David : fils de David à cause de la nature, mais Seigneur à cause de la dignité qu’il eut ; mais il fut plus élevé que David son père, à cause de la nature qui l’assuma.

2. Aussi quand notre Seigneur demandait aux pharisiens : Jésus-Christ, de qui est-il le fils ? et qu’ils dirent : Il est fils de David [3], il ne rejeta pas la parole dite. C’est, en effet, Matthieu l’évangéliste qui raconta que notre Seigneur demanda cela aux pharisiens, lui, qui au début de son propre évangile écrivit aussi : Commencement de l’évangile de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham [4]. Impossible qu’au commencement de son propre évangile il nous eût enseigné ceci, s’il avait su que notre Seigneur l’avait dénié, car il n’eût pas osé placer même un mot qui fût contraire à l’enseignement de notre Seigneur, lui qui eut un tel soin d’écrire son évangile conformément aux commandements du Christ.

3. Or, on sait que notre Seigneur ne rejeta pas ce qui lui fut dit, que le Christ est fils de David ; au contraire, ce qui fut dit avait été bel et bien dit. Mais parce que (d’une part) tous les pharisiens et les juifs attendaient comme Messie un homme simplement, venu de la descendance de David, et à ceci s’accordaient les dires des prophètes ; mais (parce que, d’autre part) ils ne savaient pas que ce fût le (Fils) Unique de Dieu — celui qui assuma celui qui était de la descendance de David et qui en lui demeurait, qui par son moyen exécuta toute l’économie du salut, et lui fut conjoint et le fit s’élever au-dessus de toute la création ; parce que cela les pharisiens l’ignoraient, notre Seigneur leur demanda : Le Christ, de qui est-il Fils ? Après qu’ils eurent dit ce qu’ils savaient : Fils de David, il leur demanda : Comment David, en l’Esprit Saint, l’appelle-t-il Seigneur en disant : Le Seigneur dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je place tes ennemis comme escabeau sous tes pieds. Si donc David lui-même l’appelle Seigneur, comment est-il son fils ? [5] Ce fut comme en signe, et non pas en langage clair, qu’il leur transmit cet enseignement sur la divinité ; car ceci était trop élevé à ce moment-là pour l’intelligence des juifs, à tel point que les bienheureux disciples, avant la crucifixion, l’ignoraient aussi : Car si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père [6] ; et : Tant de temps que je suis avec vous, et tu ne m’as pas connu, Philippe ? [7] ; et encore : Ces choses, je vous les ai dites en paraboles, mais l’heure vient où ce ne sera pas en paraboles que je vous parlerai, mais clairement je vous ferai connaître mon Père [8] ; et : Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom [9] ; et : J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez maintenant les recevoir, mais quand viendra l’Esprit de vérité, lui, vous conduira en toute vérité [10]. Et on trouvera dans le livre de l’Évangile beaucoup de preuves que les apôtres, avant la crucifixion, ne connaissaient pas la divinité du (Fils) Unique, ni que le Fils fût Dieu le Verbe (issu) du Père — (lui) qui en vérité est Fils de Dieu et que nous reconnaissons comme (étant) de la nature même de son Père.

4. Il croyait en effet que ce n’était pas encore le moment de transmettre clairement cet enseignement sur sa divinité. Mais, par sa question, il indiqua que ce n’est pas une science parfaite du Christ que l’on possède aussi longtemps qu’on le croit être seulement homme, sans connaître la nature divine résidant en lui, (nature) à cause de laquelle celui qui est de la descendance de David mérita la dignité de Seigneur. Car David n’eût pas appelé son Seigneur celui qui par nature est (issu) de lui, s’il n’y avait eu quelque chose de plus élevé, de plus excellent que la nature humaine, qui, en conjonction avec lui, l’élevât à une telle dignité qu’il fût estimé le Seigneur de celui dont il est (issu) par nature. Donc il est connaturel à David en ce qu’il est de sa descendance ; nous tenons qu’il est aussi le Seigneur à cause de la conjonction qu’il eut avec la nature divine, qui est cause et Seigneur de l’univers.

5. Nécessairement donc, il nous faut connaître les deux : la nature qui assuma et (la nature) de celui qui fut assumé, de celui qui est Dieu et de celui qui est forme d’esclave. Et Dieu est celui qui habite, mais homme est son temple, dont lui-même, qui l’a édifié, fait aussi sa demeure. Aussi dit-il : Détruisez ce temple et en trois jours je le restaurerai [11] ; ce qu’expliquant l’évangéliste dit : il parlait du temple de son corps. C’est donc son temple, qu’il appelait cet homme assumé, nous indiquant lui-même qu’il habitait ce temple ; et par « son habitation », évidemment il nous indiqua son empire, puisqu’il le livra à la destruction de la mort, comme il voulut, et, par la vigueur de sa puissance, il le ressuscita. Et en cette mort, il le laissa subir ce qu’il avait par sa nature — lui-même, comme Seigneur, l’empêchant de se corrompre et d’être livré à la destruction. Or il le laissa mourir parce que tel fut son vouloir, et, après sa mort, il le ressuscita selon sa volonté. Il n’aurait pas dit en effet : Détruisez ce temple, s’il n’avait pas su qu’il avait l’empire ; mais maintenant, parce qu’il est Seigneur des deux, il dit : Détruisez ce temple.

6. C’est aussi par nature, en effet, que celui-ci peut être détruit : mais j’ai le pouvoir, dit-il, que cela se fasse ou non, car c’est par ma volonté que je le laisserai détruire selon sa nature ; mais si je ne veux pas, je suis maître d’empêcher cela. Détruisez donc ce temple : quant à moi, que je sois détruit, cela ne se peut pas, puisque ma nature est indestructible ; celui-ci, je le laisserai détruire puisqu’il a cela dans sa nature ; or, cela même je ne le permettrais pas, si ce n’était parce que je veux faire en lui quelque chose d’excellent. Je le permets, parce que je prépare un autre plan. Mais qu’est-ce donc ? En trois jours, de le restaurer ; quand il aura été détruit, de le réédifier et le restaurer par la résurrection d’entre les morts : chose plus élevée de beaucoup et plus excellente que la première. Il ne sera pas mortel, en effet, ni destructible par sa nature, comme maintenant il l’est ; mais immortel et incorruptible et impassible et immuable : car c’est ainsi que je le ressusciterai, bien plus sublime que ce qu’il est maintenant par nature. C’est pour cela donc que je le laisse détruire, pour faire mieux envers lui. Détruisez donc ce temple, achevez effectivement votre volonté, apportez votre ruse, car je permets que vous fassiez ce que vous voulez, afin que, l’ayant fait, vous éprouviez ma puissance plus haute que tout. Par elle, je le ressusciterai d’entre les morts et le ferai beaucoup plus excellent que ce qu’il est maintenant ; et alors vous vous rendrez compte que vous n’auriez pas pu le détruire si moi-même je ne l’eusse voulu ; et qu’il ne serait point mort, si moi-même je ne l’eusse permis. Car, parce que je veux, cela lui sera utile à lui aussi ; Détruisez ce temple et en trois jours je le restaurerai.

7. Suffisamment donc, par ces paroles, il montra la différence qu’il y a entre lui et ce qui fut détruit : c’est que cela est le temple, et lui en est l’habitant. Davantage, cela est son habitation comme temple, et lui-même y réside comme Dieu. Et ce ne fut pas un temple passager seulement, ni où Dieu le Verbe résida un moment puis un autre, non ; mais ce fut un temple dont jamais il ne fut séparé, qui a une conjonction ineffable avec celui qui y réside, et lui-même le perfectionna par sa passion, selon le mot du bienheureux Paul [12]. Et il reçut les souffrances selon sa nature, ayant besoin de Celui qui par les souffrances le sauve, de Celui qui transforma sa nature, la rendit impassible et lui fit une couronne de ses souffrances ; mais (le Verbe) demeure en lui et est impassible par nature, et peut rendre impassible celui-même qui est passible. C’est de la sorte qu’il perfectionna par les souffrances ’la forme d’esclave’ assumée, son temple, cet homme assumé pour notre salut, et il le rendit immortel et immuable absolument.

8. Le bienheureux Paul dit en effet : Ce n’est pas à des anges qu’il a soumis le monde à venir, dont nous parlons, comme en témoigne l’Écriture qui dit : Qu’est-ce que l’homme que tu te sois souvenu de lui ? et le fils de l’homme que tu l’aies regardé avec bienveillance ? Tu l’as abaissé pour peu de temps au-dessous des anges, d’honneur et de gloire tu l’as revêtu, et tu l’as mis à la tête de l’œuvre de tes mains, et tu as tout mis sous ses pieds [13]. Et après avoir indiqué que ce ne fut pas (un) d’entre les anges qu’il assuma, mais un homme, il nous explique ce qu’est cet homme et dit : Nous voyons que celui-là, qui fut pour peu de temps abaissé au-dessous des anges, à savoir Jésus-Christ, pour avoir subi sa mort, a honneur et gloire placés sur sa tête [14], pour indiquer que Jésus, cet homme assumé pour notre salut, a été abaissé pour peu de temps au-dessous des anges puisqu’il a goûté la mort ; mais gloire et honneur sont posés sur sa tête, puisqu’il est ressuscité d’entre les morts, et, par sa conjonction avec Dieu, il a été élevé au-dessus de toute la création.

9. Et, afin de nous enseigner pourquoi il supporta d’être abaissé pour un peu de temps, il dit : En dehors de Dieu, pour tous il goûta la mort [15], parce que la nature divine voulut ceci : que pour le profit de tous, il goûtât la mort. Et, afin d’indiquer que la divinité est distincte de celui qui pâtissait dans l’épreuve de la mort — puisqu’elle ne pouvait pas goûter l’épreuve de la mort —, sans s’éloigner de lui par sa providence, mais étant toute proche, elle opérait ce qui est nécessaire et convient à la nature de celui qu’elle avait assumé. Or il convenait que celui par qui et pour qui sont toutes choses, introduisant un grand nombre de fils en sa louange, rendit parfait par les souffrances le chef de leur salut [16]. Dans l’épreuve de la mort donc, ce ne fut pas lui-même (Dieu) qui fut éprouvé, mais il était auprès de lui et opérait ce qui convient à sa nature, ce qui convient au Créateur qui est cause de tout ; et celui-ci même, pour l’amener par les souffrances à la perfection, (Dieu), le rendait immortel, impassible, incorruptible et absolument immuable pour le salut du grand nombre de ceux qui doivent accepter communion avec lui.

10. C’est ainsi que les saints Livres nous enseignent la différence des deux natures, ce qu’il nous faut nécessairement apprendre : quel est celui qui assuma et quel est celui qui fut assumé ; et que celui-là qui assuma est la nature divine, qui pour nous fit toutes choses ; tandis que celui-ci est la nature humaine, qui pour nous tous fut assumé par celui qui est cause de tout, et il est en une conjonction ineffable et éternellement indissoluble.
C’est pourquoi, chez nous aussi demeurera en vérité le don que nous attendons de recevoir à cause de notre association avec lui. Les divines Écritures en effet nous enseignent aussi cette conjonction ; non seulement quand elles nous enseignent la connaissance de chacune de ces natures, mais aussi quand elles disent comme d’un seul ce qui convient à chacune d’entre elles, nous comprenons quelle merveilleuse et sublime conjonction s’est opérée (entre elles). Et ainsi de cette parole : C’est d’eux (les Juifs) qu’est issu le Christ selon la chair, qui est Dieu au-dessus de tout [17]. Ce n’est pas celui qui est (issu) des Juifs selon la chair, qui est naturellement Dieu au-dessus de tout ; ni celui qui est naturellement Dieu au-dessus de tout, n’est par nature (issu) des Juifs ; mais ce sont les deux natures que nous indiqua l’Apôtre par sa parole. En disant que d’eux est issu le Christ selon la chair, il fit conclure à son humanité ; mais par ce qui est Dieu au-dessus de tout, il nous enseigna sa nature divine. Or il fit cet enseignement (des deux natures) comme d’un seul, en disant : C’est d’eux (les Juifs), qu’est issu le Christ, selon la chair, qui est Dieu au-dessus de tout.

11. Tel est aussi ce que dit notre Seigneur dans l’évangile : Si vous voyez le Fils de l’homme monter au lieu où il était au commencement [18]. Et certes le Fils de l’homme, celui qui fut homme par sa nature, il est certain que ce n’est pas au ciel qu’il était dès le commencement, mais il y monta à cause de la nature divine qui était en lui, elle qui était au ciel. En disant donc de son corps qu’il peut donner la vie immortelle à ceux qui le mangent — comme cette parole était incroyable aux auditeurs —, il voulut les convaincre que tout incroyable qu’elle soit alors, cependant plus tard elle sera crue. Quand vous me verrez devenu immortel et monté au ciel, par ce qui s’opérera en moi vous croirez que vous aussi vous recevrez à cause de votre association avec moi ce qui aura été fait en moi de par la nature divine habitant en moi. Celle-ci, qui dès le commencement est au ciel, donne à celui-là l’immortalité et le fait monter au ciel ; à vous elle donnera association avec lui. Or c’est comme d’un seul qu’il dit ceci : Quand vous aurez vu le Fils de l’homme monter là où il était dès le commencement, pour prouver la conjonction parfaite qui eut lieu. Et si ce n’est pas ainsi, comme nous l’avons dit, il eût fallu dire : quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où était celui qui est en lui, vous comprendrez la grandeur de la nature divine habitant en moi, et vous admirerez la merveille de ce qui s’opère en moi et, à cause de moi, en vous aussi.

12. Et c’est aussi le sens de cette (parole) : Nul n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel [19]. Il ne dit pas : nul n’est monté au ciel — mais moi j’y suis monté à cause de la nature divine habitant en moi, elle qui maintenant encore est au ciel —, mais conjointement il l’attribue comme à un seul : Nul n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui descendit du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel. Et il ne voulut pas, usant de distinction, dire : Nul n’est monté au ciel, si ce n’est le Fils de l’homme, celui en qui habite celui qui descendit du ciel et était au ciel ; mais il laissa cette forme de langage pour le dire conjointement et comme d’un seul, en vue d’exposer et confirmer ces merveilles qui s’opèrent en celui que l’on voit.

Et chaque fois que l’Écriture veut parler de ce qui s’opéra envers la nature humaine, comme c’est beaucoup au-dessus de notre nature, à bon droit signale-t-elle la nature divine, en indiquant sa conjonction, afin que l’on croie les choses dites de cet homme, choses (dites) à cause de cette merveilleuse et divine nature qui se l’est uni : par là il mérita pour soi tout honneur et gloire et par là il nous assure que ces mêmes (biens) doivent être réalisés aussi en nous. Car cet homme n’eût pas eu ces biens magnifiques, s’il n’avait eu conjonction avec Dieu ; ni non plus, nous n’attendrions l’espérance de tels biens à venir, n’eût été que la nature divine, se revêtant de la forme d’esclave, agréa de lui donner tous ces biens et en étendit la jouissance jusqu’à nous aussi.

13. À cause de tout ceci, apprenons donc des Livres Saints la distinction des natures et leur conjonction ; attachons-nous fermement à cette doctrine et appliquons notre esprit à la distinction des natures : que celui qui assuma est Dieu et le Fils Unique ; mais (que) la forme d’esclave, celui qui fut assumé, est homme ; et Dieu assuma les biens de notre race, et celui-ci fut assumé — qui lui-même demeure dans les « excellences », et sur nous répand la participation à sa grâce. Car il nous faut aussi garder connaissance de cette conjonction indissoluble : que jamais, ni à aucun instant, cette forme d’esclave ne peut être séparée de la nature divine qui s’en est revêtue. Certes ce n’est pas la distinction des natures qui anéantit la conjonction exacte, ni cette conjonction exacte qui détruit la distinction des natures ; mais ces natures mêmes distinctes demeurent en leur « ousie », et leur conjonction demeure nécessairement parce que celui qui fut assumé est associé à celui qui assuma, en honneur et en gloire, puisque c’est pour cela que Dieu voulut l’assumer.

14. Ce n’est pas, en effet, parce que nous disons deux natures que nous sommes contraints de dire deux maîtres ou deux fils, ce qui serait d’une naïveté extrême : car tous ceux qui en quelque chose sont deux et un en quelque chose, leur conjonction, qui les fait un, n’anéantit pas la distinction des natures, ni la distinction des natures ne s’oppose à ce qu’ils soient un. Moi, dit-il, et mon Père nous sommes un [20] ; ce n’est pas le un qui supprime le moi et mon Père, qui sont deux. Et ailleurs il est dit de l’homme et de la femme qu’ils ne seront pas deux, mais un seul corps [21] et ce n’est pas parce qu’ils sont un seul corps que l’homme et la femme ne sont pas deux. Mais ils demeurent deux en ce par quoi ils sont deux, et ils sont aussi un en ce par quoi ils sont un et non pas deux. De cette même manière ici, deux par nature, mais un par conjonction ; — deux par nature, parce qu’il y a beaucoup de différences entre les natures ; un par conjonction, parce que ne se divise pas l’adoration, mais que celui qui fut assumé (la) reçoit avec celui qui l’assuma, parce qu’il est le temple dont il est absolument impossible que s’en aille celui qui y demeure.

15. Mais toutes ces choses qui se disent de deux, c’est alors qu’elles prennent la dénomination de deux, quand l’une d’elles n’est pas transformée en cela même qui reçoit le nombre deux. Ainsi l’Écriture nous parle de quatre animaux — le lion, l’ours, le léopard et un autre (animal) pire que ceux-ci ; elle dit quatre, en effet, parce que chacun d’eux est animal par sa nature. Et encore : le témoignage de deux hommes est véridique [22], parce que chacun d’eux est par nature ce qu’est son compagnon. Tel est aussi le Vous ne pouvez servir deux maîtres [23], parce que celui qui met la même application que pour Dieu à servir Mammon, celui-là à deux maîtres. De même dans le cas présent. Si chacun d’eux était fils par nature et seigneur, on pourrait dire deux fils et deux seigneurs, selon le nombre des personnes ; mais puisque l’un est par nature fils et seigneur, tandis que l’autre n’est naturellement ni fils ni seigneur — mais que c’est par sa conjonction exacte avec le (Fils) Unique, Dieu le Verbe, que nous croyons qu’il reçut ces (titres) —, nous confessons qu’unique est le Fils. Et certes nous considérons en premier lieu Fils et Seigneur celui qui naturellement à ces deux (titres) ; mais nous y adjoignons dans notre pensée celui-là aussi, le temple qu’il habite en tout temps et dont il ne se sépare pas, (et cela) à cause de la conjonction indissoluble qu’il a avec lui, et à cause de laquelle nous croyons qu’il est Fils et Seigneur.

16. Mais s’il y a quelqu’autre passage où l’Écriture appelle Fils celui qui fut assumé, c’est à cause de la conjonction exacte qu’il eut avec celui qui l’assuma, qu’il reçut le nom de Fils. Quand en effet il est dit Au sujet de son Fils qui fut de la descendance de David, en la chair, il est certain qu’ici le nom de Fils est donné à celui qui fut de la lignée de David par la chair, et non pas à Dieu le Verbe, mais à la forme d’esclave qui fut assumée. Ce n’est pas en effet que Dieu devint chair, ni non plus que Dieu devint de la lignée de David ; mais cet homme qui fut assumé pour nous, c’est lui évidemment que le bienheureux Paul appelle Fils. Or nous le considérons comme Fils et lui en donnons le nom ; non pas à lui simplement, mais pour la conjonction qu’il eut avec le Fils véritable.

17. Ce que sachant notre Seigneur aussi intima à ses disciples : Allez, évangélisez toutes les nations, et baptisez-les au nom du Père et du Fils et de l’Esprit Saint [24]. Et à cette tradition, voici comme nous faisons honneur : de même que nous appelons Père la nature divine, et Esprit Saint la nature divine qui (procède) de Dieu le Père ; de même que Père et Esprit Saint, ainsi nous nommons aussi fils la nature divine du (Fils) Unique. Mais à (cette) connaissance de la nature divine, nous adjoignons cet homme qui fut assumé, par qui nous avons reçu connaissance de la nature divine, dont est Celui qui l’assuma, lequel est Dieu le Verbe et son Père et l’Esprit Saint : Mon Père qui demeure en moi, c’est lui qui fait ces œuvres [25] ; et de l’Esprit Saint qu’il descendit en forme de colombe et demeura en lui [26]. Puisqu’ils ne se séparent pas l’un de l’autre, le Fils d’avec le Père, ni le Père d’avec le Fils — car moi, je suis en mon Père et mon Père est en moi [27] —, ni non plus le Père d’avec l’Esprit Saint : qui connaît en effet ce qu’il y a en l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? de même ce qui est en Dieu, nul ne le sait, si ce n’est l’Esprit qui (procède) du Père [28], — c’est pour nous indiquer qu’ainsi, continuellement et sans séparation, l’Esprit Saint est auprès de Dieu le Père ; comme nous, tant que nous vivons et sommes hommes, notre âme ne se sépare pas de nous. Nécessairement donc, en cette forme d’esclave qui fut assumée, le Fils était, et le Père avec le Fils et l’Esprit Saint.

18. Si, en effet, du reste des hommes, il est dit : Qui m’aime garde mes commandements, et moi, je l’aimerai et je me montrerai à lui ; et moi et mon Père viendrons et ferons en lui notre demeure [29], pourquoi t’étonnes-tu si, dans le Seigneur Christ en la chair, il y a le Père avec le Fils et aussi l’Esprit Saint ? De même donc qu’en disant : Père, Fils et Esprit Saint, c’est la nature divine que nous nommons, en laquelle on nous a enseigné la religion et en qui il nous faut être baptisés ; ainsi en disant Fils, nous disons la nature divine de l’Unique et nous comprenons bien aussi l’homme assumé pour nous, — en qui Dieu le Verbe fut connu et prêché et en qui maintenant il est, sans que s’en éloignent le Père ni l’Esprit Saint, parce que la Trinité même ne se divise pas, elle dont unique est la nature, incorporelle et sans limite. Cela nous l’avons appris des divines Écritures, et c’est ainsi qu’il nous faut penser et croire.
Mais parce que suffit la mesure de ce qui a été dit, joignons à notre discours louange à Dieu le Père et au Fils Unique et à l’Esprit Saint dans les siècles des siècles. Amen.

Sources :

Les Homélies catéchétiques de Théodore de Mopsueste, trad. Raymond Tonneau et Robert Devreesse, Biblioteca Apostolica Vaticana, Città del Vaticano, 1949, 1961, p. 187-213.

Avec l’aimable autorisation de A. M. Piazzoni, vice-préfet de la Biblioteca Apostolica Vaticana, pour une publication en ligne jusqu’au 31 décembre 2010.

[1Cf. Phi 2, 6.

[2Jn 1, 1.

[3Cf. Mt 22, 42.

[4Mt 1, 1.

[5Mt 22, 42.

[6Jn 8, 19.

[7Jn 14, 9.

[8Jn 16, 25.

[9Jn 16, 24.

[10Jn 16, 12-13.

[11Jn 2, 19.

[12He 2, 10.

[13He 2, 5-8.

[14He 2, 9.

[15He 2, 9.

[16He 2, 10.

[17Ro 9, 5.

[18Jn 6, 62.

[19Voir Jn3, 13.

[20Jn 10, 30.

[21Mt 19, 5.

[22Jn 8, 17.

[23Mt 6, 24.

[24Mt 28, 19.

[25Jn 16, 10.

[26Jn 1, 32.

[27Jn 17, 21.

[281 Co 2, 11.

[29Jn 14, 23.21.

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