Benoît XVI : Saint Augustin, la passion de la vérité (V)

Mardi 12 août 2008 — Dernier ajout samedi 10 avril 2010

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Audience générale du 27 février 2008. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 28 février. Paru dans La Documentation Catholique n° 2399 du 06/04/2008, p. 314. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Je voudrais avec cette rencontre d’aujourd’hui conclure la présentation de la figure de saint Augustin. Après nous être arrêtés sur sa vie, ses œuvres et quelques aspects de sa pensée, je voudrais revenir sur son expérience intime, celle qui fit de lui un des plus grands convertis de l’histoire chrétienne. C’est à cette expérience que j’ai particulièrement consacré ma réflexion pendant le pèlerinage que j’ai accompli à Pavie l’année dernière pour vénérer la dépouille mortelle de ce Père de l’Église. J’ai voulu par là exprimer l’hommage de l’Église entière et aussi témoigner de ma dévotion personnelle et de ma reconnaissance, à l’égard d’un homme à qui je me sens très lié, de par le rôle qu’il a joué dans ma vie de théologien, de prêtre et de pasteur.

Aujourd’hui il est encore possible de retracer le parcours de saint Augustin, en particulier grâce au livre des Confessions, écrit à la gloire de Dieu et à l’origine de l’une des formes littéraires les plus spécifiques de l’Occident, l’autobiographie, c’est-à-dire l’expression personnelle de la conscience de soi. En effet, quiconque prend connaissance de ce livre extraordinaire et fascinant, très lu de nos jours encore, se rend facilement compte que la conversion d’Augustin ne s’est ni produite ni complétée de but en blanc, mais pourrait plutôt être définie exactement comme un véritable cheminement, qui constitue encore un modèle pour chacun de nous. Certes, cet itinéraire trouva son point culminant dans la conversion puis dans le baptême, mais cette veillée pascale de l’année 387, au cours de laquelle Ambroise, évêque de Milan, baptisa le rhéteur africain, n’en fut pas le point final. Le chemin de conversion d’Augustin, en effet, se poursuivit dans l’humilité jusqu’à la fin de sa vie, tant et si bien que l’on peut dire en toute vérité que les trois étapes qui le constituent, et que l’on peut aisément distinguer, forment une unique et grande conversion.

« Tolle, lege, tolle, lege »

Saint Augustin fut un chercheur passionné de la vérité : il le fut dès le début, puis tout au long de sa vie. La première étape de son chemin de conversion se réalisa simplement par une approche progressive du christianisme. Dans les faits, il avait reçu une éducation chrétienne de sa mère Monique, à qui il resta toujours très lié, et, bien qu’il passât ses années de jeunesse dans une vie déréglée, il ressentit toujours une attraction profonde pour le Christ, ayant absorbé l’amour du nom du Seigneur en même temps que le lait maternel, comme il le souligne lui-même [1]. Mais, si la philosophie par elle-même, surtout celle inspirée de Platon, avait contribué à le rapprocher ultérieurement du Christ, en lui rendant manifeste l’existence du Logos, la raison créatrice, si les livres des philosophes lui indiquaient qu’existe d’abord la raison d’où vient le monde entier, ils ne lui disaient pas comment atteindre ce Logos, semblant si lointain. Seule la lecture des épîtres de saint Paul, dans la foi de l’Église catholique, allait lui révéler pleinement la vérité. Augustin a synthétisé cette expérience dans une des pages les plus célèbres des Confessions ; il raconte comment, dans le tourment de ses réflexions, alors qu’il s’était retiré en un jardin, il entendit subitement une voix d’enfant qui répétait une ritournelle jamais entendue auparavant : « Tolle, lege, tolle, lege / Prends, lis, prends, lis » [2]. Il se souvint alors de la conversion de saint Antoine, le père du monachisme, et se hâta de revenir au livre paulinien qu’il avait entre les mains quelques instants plus tôt, il l’ouvrit, et son regard tomba sur le passage de l’épître aux Romains où l’Apôtre exhorte à abandonner les œuvres de chair et à se revêtir du Christ (13, 13-14). Il avait compris que cette parole lui était à ce moment-là adressée personnellement, qu’elle venait de Dieu par l’Apôtre, et lui indiquait quoi faire alors. C’est alors qu’il sentit les ténèbres du doute se dissiper et finalement se trouva libre de se donner entièrement au Christ : « Tu avais converti à toi mon être », commente-t-il [3]. Ce fut la première et décisive conversion.

Ordonné prêtre malgré lui

Le rhéteur africain arriva à cette étape fondamentale de son long chemin grâce à sa passion pour l’homme et pour la vérité, passion qui le portait à chercher Dieu, grand et inaccessible. La foi dans le Christ allait lui faire comprendre que le Dieu apparemment si lointain ne l’était pas en réalité. En effet, il s’est fait proche de nous, est devenu l’un de nous. Dans ce sens, la foi au Christ mena à son accomplissement la longue recherche d’Augustin sur le chemin de la vérité. Finalement, seul un Dieu qui s’est rendu « tangible », l’un de nous, était un Dieu que l’on peut prier, pour qui et avec qui il est possible de vivre. C’est là une voie à parcourir avec courage et en même temps avec humilité, dans l’ouverture à la purification permanente dont chacun de nous a toujours besoin. Mais, comme nous l’avons dit, en cette vigile pascale de l’an 387, le chemin d’Augustin n’était pas terminé. Retourné en Afrique, y ayant fondé un petit monastère, il s’y retira avec quelques amis pour s’adonner à la vie contemplative et studieuse. Tel était le rêve de sa vie.

Il était désormais appelé à vivre totalement pour la vérité, avec la vérité, dans l’amitié avec le Christ qui est la vérité. Un beau rêve, qui dura trois ans, jusqu’à ce qu’il soit, malgré lui, ordonné prêtre à Hippone et destiné à servir les fidèles, continuant de cette manière à vivre avec le Christ et pour le Christ, mais par le service de tous. Cela lui était difficile, mais il comprit dès le début que ce n’est qu’en vivant pour le prochain, et pas simplement dans la contemplation privée, que l’on peut réellement vivre avec le Christ et pour le Christ. Alors, renonçant à une vie qui ne serait que de méditation, Augustin apprit, souvent avec difficulté, à mettre les fruits de son intelligence à la disposition des autres pour leur bénéfice. Il apprit à communiquer sa foi aux gens simples, et à vivre ainsi pour eux dans ce qui était devenu sa ville, s’engageant inlassablement en une intense et généreuse activité qu’il décrit ainsi dans un de ses très beaux sermons : « Prêcher, reprendre, corriger, édifier, s’inquiéter pour chacun, quelle charge, quel poids, quel travail ! » [4]. Mais ce fardeau il le prit sur lui, comprenant que c’est de cette façon qu’il pouvait être le plus proche du Christ. Comprendre que l’on atteint le prochain par la simplicité et l’humilité, telle fut sa deuxième et véritable conversion.

Une humilité profonde et intellectuelle

Mais, sur le chemin d’Augustin, il y a une ultime étape, une troisième conversion : celle qui le mena chaque jour de sa vie à demander pardon à Dieu. Il avait tout d’abord pensé que, une fois baptisé, une fois en vie de communion avec le Christ par les sacrements, par la célébration de l’Eucharistie, il aurait atteint à la vie que propose le Sermon sur la montagne : à la perfection donnée au baptême et renouvelée dans l’Eucharistie. Dans la dernière partie de sa vie, il comprit que ce qu’il avait dit dans ses premières prédications sur le Sermon sur la montagne - c’est-à-dire que désormais nous autres, en tant que chrétiens, nous vivons en permanence cet idéal - était erroné. Seul le Christ en personne réalise vraiment et complètement le Sermon sur la montagne. Il nous faut, nous, toujours être lavés par le Christ, il faut qu’il nous lave les pieds, que nous soyons renouvelés par lui. Nous avons toujours besoin d’une permanente conversion. Jusqu’à la fin, nous avons besoin de cette humilité qui reconnaît que nous sommes des pécheurs en chemin, jusqu’à ce que le Seigneur nous donne la main définitivement et nous introduise dans la vie éternelle. C’est dans cette ultime disposition, vécue jour après jour, qu’est mort Augustin.

Cette disposition d’humilité profonde devant l’unique Seigneur Jésus l’introduisit à l’expérience d’une humilité qui était aussi une humilité intellectuelle. Augustin, en effet, qui est une des plus grandes figures dans l’histoire de la pensée, voulut, dans les dernières années de sa vie, soumettre à un examen critique lucide ses très nombreuses œuvres. Ce fut l’origine des Retractationes (révisions), qui de cette façon insèrent sa pensée théologique, réellement considérable, dans la foi humble et sainte de celle qu’il appelle simplement du nom de Catholica, c’est-à-dire l’Église. « Je compris », écrit-il à ce propos dans ce livre très particulier [5], « qu’un seul est véritablement parfait, et que les paroles du Sermon sur la montagne se réalisent en un seul, en Jésus-Christ même. Au contraire, toute l’Église, nous tous, y compris les apôtres, devons prier quotidiennement : pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ».

Converti au Christ qui est vérité et amour, Augustin le suivit toute sa vie, et il est devenu un exemple pour tout être humain, pour nous tous, dans la recherche de Dieu. C’est pourquoi j’ai voulu conclure mon pèlerinage à Pavie remettant symboliquement à l’Église et au monde, devant le tombeau de ce grand amoureux de Dieu, ma première encyclique Deus caritas est. Celle-ci, en effet, doit beaucoup, spécialement en sa première partie, à la pensée de saint Augustin. Aujourd’hui encore, comme en son temps, l’humanité a besoin de connaître et plus encore de vivre cette réalité fondamentale : Dieu est amour, et la rencontre avec lui est la seule réponse aux inquiétudes du cœur humain. Un cœur qui est habité par l’espérance, peut-être encore dans l’obscur et l’inconscient pour beaucoup de nos contemporains, mais qui, pour nous chrétiens, ouvre déjà sur l’avenir, au point que saint Paul a pu écrire « Dans l’espérance nous avons été sauvés » (Ro 8, 24). À l’espérance, j’ai voulu consacrer ma deuxième encyclique, Spe salvi, et celle-ci aussi est largement débitrice envers saint Augustin et sa rencontre avec Dieu.

Dans un de ses très beaux textes, saint Augustin définit la prière comme une expression du désir, et il affirme que Dieu y répond en élargissant vers lui notre cœur. De notre part, il nous faut purifier nos désirs et nos espérances pour accueillir la douceur de Dieu [6]. En effet, seule celle-ci, nous ouvrant au prochain, nous sauve. Prions donc pour que, dans notre vie, il nous soit quotidiennement accordé de suivre l’exemple de ce grand converti, comme lui rencontrant à chaque instant de notre existence le Seigneur Jésus, le seul à nous sauver, à nous purifier, et à nous donner la vraie joie, la vraie vie.

En savoir plus…

Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

[1Cf. Confessions, III, 4, 8.

[2Confessions VIII, 12, 29.

[3Confessions VIII, 12, 30.

[4Sermons 339, 4.

[5I, 19, 2-3.

[6Cf. In I Joannis, 4, 6.

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