Benoît XVI : Saint Augustin, les écrits (IV)

Mardi 12 août 2008 — Dernier ajout samedi 10 avril 2010

Dans la même rubrique…

Mots-clés

Articles liés

Audience générale du 20 février 2008. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 21 février. Paru dans La Documentation Catholique n° 2399 du 06/04/2008, p. 312. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Après la pause pour les exercices spirituels de la semaine dernière, nous en revenons aujourd’hui à la grande figure de saint Augustin dont j’ai déjà plusieurs fois parlé lors des catéchèses du mercredi. Il est le Père de l’Église qui a laissé le plus grand nombre d’œuvres, et c’est de celles-ci que je voudrais parler brièvement aujourd’hui.

Quelques-uns des écrits augustiniens sont d’une importance capitale, non seulement pour l’histoire du christianisme, mais pour la formation de la culture occidentale : l’exemple le plus clair en est les Confessions, sans nul doute l’un des livres de l’Antiquité chrétienne le plus lu encore aujourd’hui. En effet, comme plusieurs autres Pères de l’Église, mais dans une mesure incomparablement plus grande, l’évêque d’Hippone a exercé une influence étendue et persistante, comme on le constate par la quantité innombrable des transcriptions manuscrites de ses œuvres.

Lui-même les a passées en revue quelques années avant de mourir, dans ses Retractationes, et elles ont été soigneusement enregistrées peu après sa mort, dans l’Indiculus (index) que son ami fidèle Possidius ajouta à sa biographie de saint Augustin, Vita Augustini. Cette liste des œuvres d’Augustin fut compilée dans l’intention explicite d’en sauvegarder la mémoire alors que l’invasion des Vandales submergeait l’Afrique romaine ; elle n’aligne pas moins de 1 030 écrits numérotés par leur auteur, avec d’autres encore « qui ne peuvent pas être spécifiés parce qu’ils ne portent pas de numéro ». C’est à Hippone même, où il s’était réfugié et avait assisté à la mort de son ami, que Possidius, qui était évêque d’une cité voisine, dicta ces termes, se basant presque certainement sur le catalogue de la bibliothèque personnelle d’Augustin. Il faut y ajouter plus de 300 lettres de l’évêque d’Hippone qui lui ont survécu et sont parvenues jusqu’à nous, et près de 600 homélies, celles-ci étant originellement bien plus nombreuses, peut-être même de 3 à 4 000, fruit de quarante années de prédication de l’ancien rhéteur qui avait décidé de suivre Jésus et de parler non plus aux grands de la cour impériale mais au petit peuple d’Hippone.

De plus, la découverte, ces dernières années, d’un recueil de lettres et de quelques homélies a enrichi notre connaissance de ce Père de l’Église… « Il écrivit et publia bien des œuvres, écrit Possidius, donna bien des prédications dans des églises, mises ensuite par écrit et corrigées, pour réfuter divers hérétiques et pour interpréter les Saintes Écritures en vue de l’édification des pieux fils de l’Église. Ces œuvres, souligne l’évêque ami, sont si nombreuses qu’à grand-peine un savant pourrait-il les lire et commencer à les connaître » [1].

Les Confessions : un dialogue avec Dieu

Parmi la production littéraire d’Augustin - c’est-à-dire parmi plus de 1 000 publications où l’on peut distinguer des œuvres philosophiques, apologétiques, doctrinales, morales, monastiques, exégétiques, anti-hérétiques, sans parler des lettres et des homélies - ressortent quelques œuvres exceptionnelles de haute inspiration théologique et philosophique. Il faut tout d’abord rappeler les 13 livres des Confessions déjà mentionnées, écrites à la gloire de Dieu entre 397 et 400. Il s’agit d’une sorte d’autobiographie sous forme de dialogue avec Dieu. Ce genre littéraire est le reflet exact de la vie de saint Augustin : elle n’était pas renfermée sur soi, ni dispersée en de multiples choses, mais substantiellement vécue comme un dialogue avec Dieu et, par là, une vie avec autrui. Déjà, le titre lui-même, Confessions, marque la spécificité de cette autobiographie. En latin chrétien, le mot confessiones, développé à partir de la tradition psalmique, a deux significations qui se superposent. Il indique, en premier lieu, l’aveu de ses propres faiblesses, de la misère de ses péchés ; mais en même temps il signifie louange de Dieu, reconnaissance à Dieu. Le fait de voir sa propre misère à la lumière de Dieu devient louange et action de grâce parce que Dieu nous aime et nous accueille, nous transforme et nous élève vers lui. À propos de ces Confessions qui eurent grand succès dès le vivant de saint Augustin, il écrit lui-même : « Elles ont exercé sur moi une grande influence pendant que je les écrivais, et elles en exercent encore quand je les relis. Ces œuvres ont plu à de nombreux frères (Retractationes II, 6) - et je dois dire que moi-même aussi je suis un de ces “frères” ». Et grâce aux Confessions, il nous est possible de suivre pas à pas le chemin intérieur de cet homme extraordinaire et passionné de Dieu.

Moins connus, mais pourtant originaux et très importants, viennent ensuite les deux livres des Retractationes, composés vers 427, dans lesquels saint Augustin, désormais âgé, accompli un travail de « révision » (retractatio) de toute son œuvre écrite, nous laissant ainsi un singulier et très précieux document littéraire, en même temps qu’il nous donne une leçon de sincérité et d’humilité intellectuelle.

C’est de 413 à 426 qu’il écrivit les 22 livres de sa Cité de Dieu, œuvre imposante, qui allait être décisive pour le développement de la pensée politique occidentale et pour la théologie chrétienne de l’histoire. L’occasion lui en fut donnée par le sac de Rome par les Goths en 410. Parmi les païens encore présents, et même parmi les chrétiens, nombreux étaient ceux qui se disaient alors : Rome est tombée, désormais le Dieu chrétien et les apôtres ne peuvent plus protéger la ville. Pendant la présence des divinités païennes, Rome était caput mundi, la ville capitale du monde, personne ne pouvant penser qu’elle soit susceptible de tomber aux mains des ennemis. Et voilà que, désormais, avec le Dieu chrétien, cette grande cité ne semblait plus en sûreté. C’est donc que le Dieu des chrétiens n’était pas protecteur, ne pouvait être le Dieu à qui se fier. C’est à cette objection, qui atteignait profondément le cœur des chrétiens, que répondait saint Augustin par cette œuvre grandiose qu’est la La Cité de Dieu, éclairant ce que nous devons attendre de Dieu ou non, quelle est la relation entre la sphère politique et la sphère de la foi, de l’Église. Aujourd’hui encore, ce livre est une référence pour une bonne définition de la véritable laïcité et de la compétence de l’Église, la grande et vraie espérance que nous donne la foi. Ce grand livre est une présentation de l’histoire de l’humanité gouvernée par la Divine Providence, mais actuellement partagée entre deux amours. C’en est là la visée fondamentale, son interprétation de l’histoire comme un combat entre deux amours : l’amour de soi « jusqu’à l’indifférence à l’égard de Dieu », et l’amour de Dieu « jusqu’à l’indifférence à l’égard de soi-même » [2], jusqu’à la pleine liberté de soi pour les autres dans la lumière de Dieu. C’est par conséquent le plus grand livre de saint Augustin, peut-être, et d’une importance permanente.

Également important est son De la Trinité (De Trinitate), sur le noyau central de la foi chrétienne, la foi en un Dieu trinitaire ; les quinze livres en furent écrits en deux temps : les douze premiers entre 399 et 412, qui furent rendus publics à l’insu d’Augustin, lequel, vers 420, les compléta et revit l’œuvre entière. Il réfléchit ici sur le visage de Dieu et cherche à comprendre ce mystère du Dieu qui est unique, l’unique créateur du monde, de nous tous, et Dieu unique qui pourtant, parce qu’il est trinitaire, est cercle d’amour. Il cherche à comprendre le mystère insondable : l’être trinitaire lui-même, en trois Personnes, est précisément l’unité la plus réelle et la plus profonde du Dieu unique.

Par ailleurs, le Doctrine chrétienne est une véritable introduction culturelle, authentique et exacte, à l’interprétation de la Bible, et, en définitive, au christianisme lui-même, et il eut une importance décisive dans la formation de la culture occidentale.

Une poésie simple contre les Donatistes

Malgré toute son humilité, Augustin fut certainement conscient de sa propre stature intellectuelle. Mais pour lui, ce qui était plus important que la réalisation de grandes œuvres d’une haute inspiration théologique, c’était de porter le message chrétien aux petits. Telle était la plus profonde intention qui le guida toute sa vie, et qui apparaît dans une lettre écrite à son collègue Évode, où il lui fait part de sa décision de suspendre pour un moment la dictée des livres De la Trinité, « parce qu’ils sont trop fatigants et que je pense qu’ils ne peuvent être compris que par trop peu de monde ; c’est pour cela qu’il est plus urgent d’avoir des textes qui, espérons-le, seront utiles à beaucoup » (Epistulae, 169, 1, 1). Il était donc plus utile pour lui de communiquer la foi de façon compréhensible à tous que d’écrire de grandes œuvres théologiques. La responsabilité ressentie avec acuité de la propagation du message chrétien est ainsi à l’origine d’écrits tels que De catechizandis rudibus, théorie aussi bien que praxis de la catéchèse, ou bien de Psalmus contra partem Donati. Les Donatistes étaient le grand problème de l’Afrique de saint Augustin, tenants d’un schisme expressément africain. Ils affirmaient : le vrai christianisme est le christianisme africain. Ils s’opposaient à l’unité de l’Église. Le grand évêque lutta toute sa vie contre ce schisme, cherchant à convaincre les Donatistes que l’africanité elle-même ne peut être vraie que dans l’unité. Et pour se faire comprendre des humbles qui ne pourraient entendre le grand latin du rhéteur, il se dit qu’il devait écrire, fût-ce avec des fautes de grammaire, en un latin très simplifié. Ce qu’il fit surtout dans le Psalmus, une sorte de poésie simple contre les Donatistes, pour aider toute la population à comprendre que seulement dans l’unité de l’Église se réalise pour tous réellement notre relation avec Dieu et croît la paix dans le monde.

Dans ces productions destinées à un plus large public, revêt une importance particulière la masse des homélies le plus souvent prononcées au pied levé, notées en sténographie pendant la prédication puis immédiatement mises en circulation. Parmi elles, se trouvent les très beaux Discours sur les psaumes, que le Moyen Âge a beaucoup exploitées. La pratique de la publication des milliers d’homélies d’Augustin, souvent sans contrôle de l’auteur, explique leur diffusion et la dispersion qui en est résultée, tout comme leur vitalité. En effet, les prédications de l’évêque d’Hippone devinrent immédiatement, par la renommée de leur auteur, des textes très recherchés, qui servaient aussi de modèles aux autres évêques et aux prêtres les adaptant à des contextes toujours nouveaux.

La tradition iconographique, déjà visible dans une fresque du Latran remontant au VIe siècle, représente saint Augustin tenant un livre à la main, évidemment pour signifier sa production littéraire qui influença tant la mentalité et la pensée chrétiennes, mais aussi pour exprimer son amour des livres et de la lecture et sa connaissance de la grande culture antérieure. À sa mort, il ne laisse rien, mais, raconte Possidius, il « recommanda de toujours conserver soigneusement pour ses successeurs la bibliothèque de l’église avec tous les codex », surtout ceux de ses propres œuvres. En ces dernières, souligne Possidius, Augustin est « toujours vivant », et à quiconque les lit ses écrits sont bénéfiques, même si, conclut-il, « je crois qu’ont pu profiter davantage de son contact ceux qui ont été en mesure de le voir et de l’écouter quand il parlait en personne dans une église, et plus encore ceux qui partagèrent sa vie quotidienne au milieu des fidèles » [3]. Oui, pour nous également, il aurait été beau de pouvoir l’entendre de vive voix. Mais il est réellement vivant par ses écrits, il nous est présent, et ainsi voyons-nous la vitalité de la foi à laquelle il dédia toute sa vie.

En savoir plus…

Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

[1Vita Augustini, 18, 9.

[2La Cité de Dieu, XIV, 28

[3Vita Augustini 31.

Revenir en haut