Benoît XVI : Saint Augustin au seuil de la mort (II)

Dimanche 13 juillet 2008 — Dernier ajout samedi 10 avril 2010

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Audience générale du 16 janvier 2008. Texte original italien dans l’Osservatore Romano du 17 janvier. Paru dans La Documentation Catholique n° 2397 du 02/03/2008, p. 213. (*)

Chers Frères et Sœurs,

Je voudrais aujourd’hui, comme mercredi dernier, parler du grand évêque d’Hippone, saint Augustin. Quatre ans avant sa mort, il voulut désigner son successeur. À cette fin, le 26 septembre 426, il rassembla donc le peuple, dans la Basilique de la Paix, à Hippone, pour présenter aux fidèles celui qu’il avait choisi pour cette tâche. Il dit : « En cette vie nous sommes tous des mortels, mais le dernier jour de cette vie est toujours incertain pour chaque personne. Et pourtant, pendant l’enfance, on espère atteindre à l’adolescence ; dans l’adolescence, à la jeunesse ; dans la jeunesse à l’âge adulte ; dans l’âge adulte, à la maturité ; dans la maturité, à la vieillesse. On n’est pas certain d’y arriver, mais on l’espère. La vieillesse, au contraire, n’a devant soi aucun espace de temps à pouvoir espérer ; sa durée elle-même est incertaine […]. Pour moi, par la volonté de Dieu, je suis arrivé dans cette ville à la force de mon âge ; mais maintenant, ma jeunesse est écoulée et désormais je suis vieux. » [1] À ce point de son discours, Augustin donna le nom de son successeur désigné, le prêtre Éraclius. L’assemblée éclata en applaudissements, répétant par vingt-trois fois « Rendons grâce à Dieu ! Jésus-Christ soit loué ! ». Les fidèles approuvèrent encore par d’autres acclamations ce qu’Augustin leur dit qu’il se proposait pour son avenir : il voulait consacrer les années qui lui restaient à une étude plus intensive des Saintes Écritures [2].

En effet, les années qui suivirent furent quatre années d’une extraordinaire activité intellectuelle : il mena à bonne fin des œuvres importantes et il en entreprit d’autres non moins exigeantes ; il mena des débats publics avec les hérétiques, cherchant toujours le dialogue ; il intervint pour promouvoir la paix dans les provinces africaines assiégées par les tribus barbares du sud. Il écrivit dans ce sens au comte Darius, venu en Afrique pour résoudre les querelles entre le comte Boniface et la cour impériale, dont profitaient les tribus maures pour mener leurs incursions : « Le plus grand titre de gloire, lui écrivait-il, est de tuer la guerre par les mots, et non pas de tuer les hommes par l’épée, et de procurer ou de maintenir la paix par la paix, et non pas par la guerre. Certes, ceux qui combattent, s’il sont bons, cherchent eux aussi sans doute la paix, mais au prix du sang versé. Toi, au contraire, tu as été envoyé précisément pour empêcher que l’on cherche à verser le sang de quiconque. » [3] Malheureusement, l’espérance d’une pacification des territoires africains allait être déçue : en mai 429, les Vandales, que Boniface lui-même, par dépit, avait invités en Afrique, traversèrent le détroit de Gibraltar et se répandirent en Mauritanie. L’invasion atteignit rapidement les autres riches provinces africaines. Et en mai ou juin 430, « les destructeurs de l’Empire romain », comme Possidius appelle les Barbares [4], étaient aux approches d’Hippone dont ils commencèrent le siège.

Les larmes d’Augustin

S’y était réfugié même Boniface, lequel, trop tardivement réconcilié avec la cour, tentait maintenant vainement de barrer le passage aux envahisseurs. Le biographe Possidius décrit la douleur d’Augustin : « Plus qu’à l’accoutumée, les larmes étaient son pain nuit et jour, et, désormais à l’extrême de sa vie, il passait des jours de vieillesse bien amers et bien lugubres, plus que les autres. » [5] Il explique : « En effet, cet homme de Dieu voyait les massacres et les destructions des villes ; démolies les maisons dans les campagnes, et les habitants tués par l’ennemi ou mis en fuite et dispersés ; les églises privées de prêtres et de ministres, les vierges consacrées et les religieux dispersés de toutes parts ; parmi eux, certains soumis à la torture, d’autres tués par l’épée, d’autres faits prisonniers, l’intégrité de l’âme et du corps et la foi même détruites, avant d’être réduits à une douloureuse et longue servitude par les ennemis. » [6]

Même vieilli et fatigué, Augustin resta cependant sur la brèche, se confortant et confortant les autres par la prière et la méditation des mystérieux desseins de la Providence. Il parlait à ce propos de la « vieillesse du monde », et il est vrai que ce monde romain était vieux, il parlait de cette vieillesse comme il l’avait fait des années auparavant pour réconforter les réfugiés venant d’Italie quand, en 410, les Goths d’Alaric avaient envahi la ville de Rome. Dans la vieillesse, disait-il, les ennuis de santé et les infirmités abondent : la toux, le catarrhe, la chassie, l’angoisse, l’épuisement. Mais, si le monde vieillit, le Christ est perpétuellement jeune ; d’où l’invitation : « Ne pas refuser de rajeunir uni au Christ même dans un monde vieux. Il te dit : “Ne crains pas, ta jeunesse se renouvellera comme celle de l’aigle”. » [7] Le chrétien ne doit donc pas se laisser abattre même dans les situations difficiles, mais doit tout mettre en œuvre pour aider qui est dans le besoin. C’est ce que le grand Docteur suggère quand il répond à l’évêque de Thiave, Honoré, qui lui avait demandé si, étant donné le harcèlement des invasions barbares, un évêque ou un prêtre ou tout homme d’Église pouvait fuir pour sauver sa vie : « Quand le péril est commun à tous, c’est-à-dire aux évêques, aux clercs, il ne faut pas que ceux qui ont besoin des autres soient abandonnés de ceux dont ils ont besoin. Dans ce cas, qu’ils aillent cependant tous ensemble dans des lieux sûrs ; mais, s’il est nécessaire que certains demeurent, qu’ils ne soient pas abandonnés de ceux qui ont le devoir de les assister de leur saint ministère, de sorte qu’ils soient tous sauvés ensemble ou bien que, ensemble, ils supportent les calamités dont le Père de famille voudra qu’ils souffrent. » [8] Et il concluait : « C’est là la preuve suprême de la charité. » [9] Comment ne pas reconnaître dans ces mots le message héroïque que tant de prêtres ont entendu au cours des siècles et ont fait leur ?

Livré seul à l’oraison

Pendant ce temps, la cité d’Hippone résistait. Le monastère où habitait Augustin avait ouvert ses portes pour accueillir ses collègues dans l’épiscopat qui demandaient l’hospitalité. Parmi eux, il y avait Possidius, qui avait déjà été son disciple et qui fut ainsi en mesure de nous laisser le témoignage direct de ces derniers jours dramatiques. « Au troisième mois du siège, raconte-t-il, il se coucha avec la fièvre : ce fut sa dernière maladie. » [10] Le saint vieillard profita de ce temps finalement libre pour s’adonner plus intensément à la prière. Il avait l’habitude d’affirmer que personne, évêque, religieux ou laïc, tout irréprochable que puisse sembler sa vie, ne peut affronter la mort sans une pénitence adéquate. C’est pour cela qu’il répétait sans cesse en pleurant les psaumes de la pénitence qu’il avait si souvent récités avec le peuple. [11]

Plus le mal s’aggravait, plus l’évêque mourant ressentait le besoin de solitude et de prière : « Pour n’être pas dérangé par quiconque dans son recueillement, environ dix jours avant de quitter cette vie, il nous pria, nous, les personnes présentes, de ne laisser entrer personne dans sa chambre en dehors des heures où les médecins venaient le voir ou auxquelles on lui apportait ses repas. Sa volonté fut scrupuleusement respectée et pendant tout ce temps il se livra à l’oraison. » [12] Il cessa de vivre le 28 août 430 : finalement son grand cœur se reposait en Dieu.

« Pour la déposition du corps, nous raconte Possidius, on offrit à Dieu le Saint Sacrifice, auquel nous assistâmes, avant qu’il ne soit enseveli. » [13] À une date dont nous ne sommes pas certains, son corps fut transféré en Sardaigne et, de là, vers 725, à Pavie, dans la basilique Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or, où il repose encore aujourd’hui. Son premier biographe porte sur lui ce jugement en forme de conclusion : « Il laissa à l’Église un très nombreux clergé, de même que des monastères remplis d’hommes et de femmes voués à la continence sous l’obéissance à leurs supérieurs, et des bibliothèques contenant des livres et des discours de lui-même et d’autres saints, et par lesquels on mesure quels furent, avec la grâce de Dieu, son mérite et sa grandeur dans l’Église, et par lesquels les fidèles le retrouvent vivant. » [14] C’est un jugement auquel nous pouvons nous associer : nous aussi nous le « retrouvons vivant » dans ses écrits. Quand je lis les écrits de saint Augustin, je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’un mort d’il y a quelque mille six cents ans, mais je le perçois comme un homme d’aujourd’hui : un ami, un contemporain qui me parle, qui nous parle avec sa foi fraîche et actuelle. En saint Augustin qui nous parle, qui me parle à moi par ses écrits, nous voyons l’actualité permanente de sa foi, de la foi qui vient du Christ, Verbe Éternel Incarné, Fils de Dieu et Fils de l’homme. Et nous pouvons voir que cette foi n’est pas d’hier, même si elle a été prêchée hier ; elle est continuellement d’aujourd’hui, parce que le Christ est réellement hier, aujourd’hui et pour toujours. Il est la Voie, la Vérité et la Vie. Ainsi saint Augustin nous encourage à nous confier à ce Christ toujours vivant et à trouver par là la route de la vie.

En savoir plus…

Traduction du Fr. Michel Taillé pour La Documentation Catholique.

[1Ép. 213.

[2Cf. Ép. 213, 6.

[3Ép. 229, 3.

[4Cf. Vie, 30, 1.

[5Vie, 28, 6.

[6Ibid., 28, 8.

[7Cf. Sermon, 81, 8.

[8Ép. 228, 2.

[9 Ibid., 3.

[10Vie, 29, 3.

[11Cf. ibid., 31, 2.

[12Ibid., 31, 3.

[13Vie, 31, 5.

[14Voir Possidius, Vie, 31, 8.

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